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Les Chansons des rues et des bois Sitôt levé, je me recouche ; Et je suis comme si j'avais De la terre au fond de la bouche ; Je trouve le souffle mauvais.

Publié le 12/04/2014

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Les Chansons des rues et des bois Sitôt levé, je me recouche ; Et je suis comme si j'avais De la terre au fond de la bouche ; Je trouve le souffle mauvais. Comme une voile entrant au havre, Je frissonne ; mes pas sont lents, J'ai froid ; la forme du cadavre, Morne, apparaît sous mes draps blancs. Mes mains sont en vain réchauffées ; Ma chair comme la neige fond ; Je sens sur mon front des bouffées De quelque chose de profond. Est-ce le vent de l'ombre obscure ? Ce vent qui sur Jésus passa ! Est-ce le grand Rien d'Épicure, Ou le grand Tout de Spinosa ? Les médecins s'en vont moroses ; On parle bas autour de moi, Et tout penche, et même les choses Ont l'attitude de l'effroi. Perdu ! voilà ce qu'on murmure. Tout mon corps vacille, et je sens Se déclouer la sombre armure De ma raison et de mes sens. Je vois l'immense instant suprême Dans les ténèbres arriver. L'astre pâle au fond du ciel blême Dessine son vague lever. L'heure réelle, ou décevante, Dresse son front mystérieux. Ne crois pas que je m'épouvante ; J'ai toujours été curieux. Mon âme se change en prunelle ; Ma raison sonde Dieu voilé ; Je tâte la porte éternelle, Et j'essaie à la nuit ma clé. C'est Dieu que le fossoyeur creuse ; Mourir, c'est l'heure de savoir ; Je dis à la mort : Vieille ouvreuse, Je viens voir le spectacle noir. III. LIBERTÉ, ÉGALITÉ, FRATERNITÉ 137 Les Chansons des rues et des bois III À un ami Sur l'effrayante falaise, Mur par la vague entrouvert, Roc sombre où fleurit à l'aise Un charmant petit pré vert, Ami, puisque tu me laisses Ta maison loin des vivants Entre ces deux allégresses, Les grands flots et les grands vents, Salut ! merci ! les fortunes Sont fragiles, et nos temps, Comme l'algue sous les dunes, Sont dans l'abîme, et flottants. Nos âmes sont des nuées Qu'un vent pousse, âpre ou béni, Et qui volent, dénouées, Du côté de l'infini. L'énorme bourrasque humaine, Dont l'étoile est la raison, Prend, quitte, emporte et ramène L'espérance à l'horizon. Cette grande onde inquiète Dont notre siècle est meurtri Écume et gronde, et me jette Parfois mon nom dans un cri. La haine sur moi s'arrête. Ma pensée est dans ce bruit Comme un oiseau de tempête Parmi les oiseaux de nuit. Pendant qu'ici je cultive Ton champ comme tu le veux, Dans maint journal l'invective Grince et me prend aux cheveux. La diatribe m'écharpe ; Je suis âne ou scélérat ; Je suis Pradon pour Laharpe, Et pour de Maistre Marat. Qu'importe ! les coeurs sont ivres. Les temps qui viennent feront Ce qu'ils pourront de mes livres III. LIBERTÉ, ÉGALITÉ, FRATERNITÉ 138

« III À un ami Sur l'effrayante falaise, Mur par la vague entrouvert, Roc sombre où fleurit à l'aise Un charmant petit pré vert, Ami, puisque tu me laisses Ta maison loin des vivants Entre ces deux allégresses, Les grands flots et les grands vents, Salut ! merci ! les fortunes Sont fragiles, et nos temps, Comme l'algue sous les dunes, Sont dans l'abîme, et flottants.

Nos âmes sont des nuées Qu'un vent pousse, âpre ou béni, Et qui volent, dénouées, Du côté de l'infini.

L'énorme bourrasque humaine, Dont l'étoile est la raison, Prend, quitte, emporte et ramène L'espérance à l'horizon.

Cette grande onde inquiète Dont notre siècle est meurtri Écume et gronde, et me jette Parfois mon nom dans un cri.

La haine sur moi s'arrête.

Ma pensée est dans ce bruit Comme un oiseau de tempête Parmi les oiseaux de nuit.

Pendant qu'ici je cultive Ton champ comme tu le veux, Dans maint journal l'invective Grince et me prend aux cheveux.

La diatribe m'écharpe ; Je suis âne ou scélérat ; Je suis Pradon pour Laharpe, Et pour de Maistre Marat.

Qu'importe ! les coeurs sont ivres.

Les temps qui viennent feront Ce qu'ils pourront de mes livres Les Chansons des rues et des bois III.

LIBERTÉ, ÉGALITÉ, FRATERNITÉ 138. »

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