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Les Bijoux Indiscrets mettent, interrompit Mirzoza ; et, s'imaginant que c'était

Publié le 11/04/2014

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Les Bijoux Indiscrets mettent, interrompit Mirzoza ; et, s'imaginant que c'était par égard pour elle que Sélim se défendait : Que ma présence ne vous en impose point, ajouta-t-elle : nous cherchons à nous amuser ; et je m'engage, parole d'honneur, à m'appliquer tout ce que vous direz d'obligeant de mon sexe, et de laisser le reste aux autres femmes. Vous avez donc beaucoup étudié les femmes ? Eh bien ! faites nous le récit du cours de vos études : il a été des plus brillants, à en juger par les succès connus ; et il est à présumer qu'ils ne sont pas démentis par ceux qu'on ignore. " Le vieux courtisan céda à ses instances, et commença de la sorte : " Les bijoux ont beaucoup parlé de moi, j'en conviens ; mais ils n'ont pas tout dit. Ceux qui pouvaient compléter mon histoire ou ne sont plus, ou ne sont point dans nos climats, et ceux qui l'ont commencée n'ont qu'effleuré la matière. J'ai observé jusqu'à présent le secret inviolable que je leur avais promis, quoique je fusse plus fait qu'eux pour parler ; mais puisqu'ils ont rompu le silence, il semble qu'ils m'ont dispensé de le garder. " " Né avec un tempérament de feu, je connus à peine ce que c'était qu'une belle femme, que je l'aimai. J'eus des gouvernantes que je détestai ; mais en récompense, je me plus beaucoup avec les femmes de chambre de ma mère. Elles étaient pour la plupart jeunes et jolies : elles s'entretenaient, se déshabillaient, s'habillaient devant moi sans précaution, m'exhortaient même à prendre des libertés avec elles ; et mon esprit, naturellement porté à la galanterie, mettait tout à profit. Je passai à l'âge de cinq ou six ans entre les mains des hommes avec ces lumières ; et Dieu sait comment elles s'étendirent, lorsqu'on me mit sous les yeux les anciens auteurs, et que mes maîtres m'interprétèrent certains endroits, dont peut-être ils ne pénétraient point eux-mêmes le sens. Les pages de mon père m'apprirent quelques gentillesses de collège ; et la lecture de l' Aloysia, qu'ils me prêtèrent, me donna toute les envies du monde de me perfectionner. J'avais alors quatorze ans. " Je jetai les yeux autour de moi, cherchant entre les femmes qui fréquentaient dans la maison celle à qui je m'adresserais ; mais toutes me parurent également propres à me défaire d'une innocence qui m'embarrassait. Un commencement de liaison, et plus encore le courage que je me sentais d'attaquer une personne de mon âge, et qui me manquait vis-à-vis des autres, me décidèrent pour une de mes cousines. Émilie, c'était son nom, était jeune, et moi aussi ; je la trouvai jolie, et je lui plus : elle n'était pas difficile ; et j'étais entreprenant : j'avais envie d'apprendre, et elle n'était pas moins curieuse de savoir. Nous nous faisions souvent des questions très ingénues et très fortes : et un jour elle trompa la vigilance de ses gouvernantes, et nous nous instruisîmes. Ah ! que la nature est un grand maître ! elle nous mit bientôt au fait du plaisir, et nous nous abandonnâmes à son impulsion, sans aucun pressentiment sur les suites : ce n'était pas le moyen de les prévenir. Émilie eut des indispositions qu'elle cacha d'autant moins qu'elle n'en soupçonnait pas la cause. Sa mère la questionna, lui tira l'aveu de notre commerce, et mon père en fut instruit. Il m'en fit des réprimandes mêlées d'un air de satisfaction ; et sur-le-champ il fut décidé que je voyagerais. Je partis avec un gouverneur chargé de veiller attentivement sur ma conduite, et de ne la point gêner ; et cinq mois après j'appris, par la gazette, qu'Émilie était morte de la petite vérole ; et par une lettre de mon père, que la tendresse qu'elle avait eue pour moi lui coûtait la vie. Le premier fruit de mes amours sert avec distinction dans les troupes du sultan ; je l'ai toujours soutenu par mon crédit ; et il ne me connaît encore que pour son protecteur. " Nous étions à Tunis, lorsque je reçus la nouvelle de sa naissance et de la mort de sa mère : j'en fus vivement touché ; et j'en aurais été, je crois, inconsolable, sans l'intrigue que j'avais liée avec la femme d'un corsaire, qui ne me laissait pas le temps de me désespérer : la Tunisienne était intrépide ; j'étais fou : et tous les jours, à l'aide d'une échelle de corde qu'elle me jetait, je passais de notre hôtel sur sa terrasse, et de là dans un cabinet où elle me perfectionnait ; car Émilie ne m'avait qu'ébauché. Son époux revint de course précisément dans le temps que mon gouverneur, qui avait ses instructions, me pressait à passer en Europe ; je m'embarquai sur un vaisseau qui partait pour Lisbonne : mais ce ne fut pas sans avoir fait et réitéré des CHAPITRE XLIV. HISTOIRE DES VOYAGES DE SÉLIM. 114 Les Bijoux Indiscrets adieux fort tendres à Elvire, dont je reçus le diamant que vous voyez. " Le bâtiment que nous montions était chargé de marchandises ; mais la femme du capitaine était la plus précieuse à mon gré : elle avait à peine vingt ans ; son mari en était jaloux comme un tigre, et ce n'était pas tout à fait sans raison. Nous ne tardâmes pas à nous entendre tous : Dona Velina conçut tout d'un coup qu'elle me plaisait, moi que je ne lui étais pas indifférent, et son époux qu'il nous gênait ; le marin résolut aussitôt de ne pas désemparer que nous ne fussions au port de Lisbonne ; je lisais dans les yeux de sa chère épouse combien elle enrageait des assiduités de son mari ; les miens lui déposaient les mêmes choses, et l'époux nous comprenait à merveille. Nous passâmes deux jours entiers dans une soif de plaisir inconcevable ; et nous en serions morts à coup sûr, si le ciel ne s'en fût mêlé ; mais il aide toujours les âmes en peine. A peine avions-nous passé le détroit de Gibraltar, qu'il s'éleva une tempête furieuse. Je ne manquerais pas, madame, de faire siffler les vents à vos oreilles, et gronder la foudre sur votre tête, d'enflammer le -ciel d'éclairs, de soulever les flots jusqu'aux nues, et de vous décrire la tempête la plus effrayante que vous ayez jamais rencontrée dans aucun roman, si je ne vous faisais une histoire ; je vous dirai seulement que le capitaine fut forcé, parles cris des matelots, de quitter sa chambre, et de s'exposer à un danger par la crainte d'un autre : il sortit avec mon gouverneur, et je me précipitai sans hésiter entre les bras de ma belle portugaise, oubliant tout à fait qu'il y eût une mer, des orages, des tempêtes ; que nous étions portés sur un frêle vaisseau, et m'abandonnant sans réserve à l'élément perfide. Notre course fut prompte ; et vous jugez bien, madame, que, par le temps qu'il faisait, je vis bien du pays en peu d'heures : nous relâchâmes à Cadix, où je laissai à la signora une promesse de la rejoindre à Lisbonne, s'il plaisait à mon mentor, dont le dessein était d'aller droit à Madrid. " Les Espagnoles sont plus étroitement resserrées et plus amoureuses que nos femmes : l'amour se traite là par des espèces d'ambassadrices qui ont l'ordre d'examiner les étrangers, de leur faire des propositions, de les conduire, de les ramener, et les dames se chargent du soin de les rendre heureux. Je ne passai point par ce cérémonial, grâce à la conjoncture. Une grande révolution venait de placer sur le trône de ce royaume un prince du sang de France ; son arrivée et son couronnement donnèrent lieu à des fêtes à la cour, où je parus alors : je fus accosté dans un bal ; on me proposa un rendez-vous pour le lendemain ; je l'acceptai, et je me rendis dans une petite maison, où je ne trouvai qu'un hommc masqué, le nez enveloppé dans un manteau, qui me rendit un billet par lequel dona Oropeza remettait la partie au jour suivant, à pareille heure. Je revins, et l'on m'introduisit dans un appartement assez somptueusement meublé, et éclairé par des bougies : ma déesse ne se fit point attendre ; elle entra sur mes pas, et se précipita dans mes bras sans dire mot, et sans quitter son masque. Était-elle laide ? était-elle jolie ? c'est ce que j'ignorais ; je m'aperçus seulement, sur le canapé où elle m'entraîna, qu'elle était jeune, bien faite, et qu'elle aimait le plaisir : lorsqu'elle se crut satisfaite de mes éloges, elle se démasqua, et me montra l'original du portrait que vous voyez dans cette tabatière. " Sélim ouvrit et présenta en même temps à la favorite une boite d'or d'un travail exquis, et enrichie de pierreries. " Le présent est galant ! dit Mangogul. - Ce que j'en estime le plus, ajouta la favorite, c'est le portrait. Quels yeux ! quelle bouche ! quelle gorge ! mais tout cela n'est-il point flatté ?Si peu, madame, répondit Sélim, qu'Oropeza m'aurait peut-être fixé à Madrid, si son époux, informé de notre commerce, ne l'eût troublé par ses menaces. J'aimais Oropeza, mais j'aimais encore mieux la vie ; ce n'était pas non plus l'avis du gouverneur, que je m'exposasse à être poignardé du mari, pour jouir quelques mois de plus de la femme : j'écrivis donc à la belle Espagnole une lettre d'adieux fort touchants que je tirai de quelque roman du pays, et je partis pour la France. " Le monarque qui régnait alors en France était grand-père du roi d'Espagne, et sa cour passait avec raison pour la plus magnifique, la plus polie et la plus galante de l'Europe : j'y parus comme un phénomène. CHAPITRE XLIV. HISTOIRE DES VOYAGES DE SÉLIM. 115

« adieux fort tendres à Elvire, dont je reçus le diamant que vous voyez. " Le bâtiment que nous montions était chargé de marchandises ; mais la femme du capitaine était la plus précieuse à mon gré : elle avait à peine vingt ans ; son mari en était jaloux comme un tigre, et ce n'était pas tout à fait sans raison.

Nous ne tardâmes pas à nous entendre tous : Dona Velina conçut tout d'un coup qu'elle me plaisait, moi que je ne lui étais pas indifférent, et son époux qu'il nous gênait ; le marin résolut aussitôt de ne pas désemparer que nous ne fussions au port de Lisbonne ; je lisais dans les yeux de sa chère épouse combien elle enrageait des assiduités de son mari ; les miens lui déposaient les mêmes choses, et l'époux nous comprenait à merveille.

Nous passâmes deux jours entiers dans une soif de plaisir inconcevable ; et nous en serions morts à coup sûr, si le ciel ne s'en fût mêlé ; mais il aide toujours les âmes en peine.

A peine avions-nous passé le détroit de Gibraltar, qu'il s'éleva une tempête furieuse.

Je ne manquerais pas, madame, de faire siffler les vents à vos oreilles, et gronder la foudre sur votre tête, d'enflammer le -ciel d'éclairs, de soulever les flots jusqu'aux nues, et de vous décrire la tempête la plus effrayante que vous ayez jamais rencontrée dans aucun roman, si je ne vous faisais une histoire ; je vous dirai seulement que le capitaine fut forcé, parles cris des matelots, de quitter sa chambre, et de s'exposer à un danger par la crainte d'un autre : il sortit avec mon gouverneur, et je me précipitai sans hésiter entre les bras de ma belle portugaise, oubliant tout à fait qu'il y eût une mer, des orages, des tempêtes ; que nous étions portés sur un frêle vaisseau, et m'abandonnant sans réserve à l'élément perfide.

Notre course fut prompte ; et vous jugez bien, madame, que, par le temps qu'il faisait, je vis bien du pays en peu d'heures : nous relâchâmes à Cadix, où je laissai à la signora une promesse de la rejoindre à Lisbonne, s'il plaisait à mon mentor, dont le dessein était d'aller droit à Madrid. " Les Espagnoles sont plus étroitement resserrées et plus amoureuses que nos femmes : l'amour se traite là par des espèces d'ambassadrices qui ont l'ordre d'examiner les étrangers, de leur faire des propositions, de les conduire, de les ramener, et les dames se chargent du soin de les rendre heureux.

Je ne passai point par ce cérémonial, grâce à la conjoncture.

Une grande révolution venait de placer sur le trône de ce royaume un prince du sang de France ; son arrivée et son couronnement donnèrent lieu à des fêtes à la cour, où je parus alors : je fus accosté dans un bal ; on me proposa un rendez-vous pour le lendemain ; je l'acceptai, et je me rendis dans une petite maison, où je ne trouvai qu'un hommc masqué, le nez enveloppé dans un manteau, qui me rendit un billet par lequel dona Oropeza remettait la partie au jour suivant, à pareille heure.

Je revins, et l'on m'introduisit dans un appartement assez somptueusement meublé, et éclairé par des bougies : ma déesse ne se fit point attendre ; elle entra sur mes pas, et se précipita dans mes bras sans dire mot, et sans quitter son masque.

Était-elle laide ? était-elle jolie ? c'est ce que j'ignorais ; je m'aperçus seulement, sur le canapé où elle m'entraîna, qu'elle était jeune, bien faite, et qu'elle aimait le plaisir : lorsqu'elle se crut satisfaite de mes éloges, elle se démasqua, et me montra l'original du portrait que vous voyez dans cette tabatière.

" Sélim ouvrit et présenta en même temps à la favorite une boite d'or d'un travail exquis, et enrichie de pierreries. " Le présent est galant ! dit Mangogul. ­ Ce que j'en estime le plus, ajouta la favorite, c'est le portrait.

Quels yeux ! quelle bouche ! quelle gorge ! mais tout cela n'est-il point flatté ?\24Si peu, madame, répondit Sélim, qu'Oropeza m'aurait peut-être fixé à Madrid, si son époux, informé de notre commerce, ne l'eût troublé par ses menaces.

J'aimais Oropeza, mais j'aimais encore mieux la vie ; ce n'était pas non plus l'avis du gouverneur, que je m'exposasse à être poignardé du mari, pour jouir quelques mois de plus de la femme : j'écrivis donc à la belle Espagnole une lettre d'adieux fort touchants que je tirai de quelque roman du pays, et je partis pour la France. " Le monarque qui régnait alors en France était grand-père du roi d'Espagne, et sa cour passait avec raison pour la plus magnifique, la plus polie et la plus galante de l'Europe : j'y parus comme un phénomène.

Les Bijoux Indiscrets CHAPITRE XLIV.

HISTOIRE DES VOYAGES DE SÉLIM.

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