L'ÉPOUVANTE DE LA BOURGEOISIE
Publié le 12/08/2011
Extrait du document
Ce qui caractérisait l'ancienne bourgeoisie, ce qui manque à la nouvelle, c'est surtout la sécurité. Celle des deux derniers siècles, fortement assise sur la base de fortunes déjà anciennes, sur des charges de robe et de finance qui comptaient pour propriétés, sur le monopole des corporations marchandes, etc. se croyait tout aussi ferme en France que le Roi. Son ridicule fut l'orgueil, la gauche imitation des grands. Cet effort pour monter plus haut qu'on ne le peut, se traduit par l'emphase, la bouffissure qui marque la plupart des monuments du XVIIe siècle. Le ridicule de la nouvelle bourgeoisie, c'est le contraste de ses précédents militaires, et de cette peur actuelle qu'elle ne cache nullement, qu'elle exprime à tout propos avec une naïveté singulière. Que trois hommes soient dans la rue à causer de salaires, qu'ils demandent à l'entrepreneur, riche de leur travail, un sol d'augmentation, le bourgeois s'épouvante, il crie, il appelle main-forte. L'ancien bourgeois du moins était plus conséquent. Il s'admirait dans ses privilèges, il voulait les étendre, il regardait en haut. Le nôtre regarde en bas, il voit monter la foule derrière lui, comme il a monté, et il n'aime pas qu'elle monte, il recule, il se serre du côté du pouvoir. S'avoue-t-il nettement ses tendances rétrogrades? Rarement, son passé y répugne; il reste presque toujours dans cette position contradictoire, libéral de principe, égoïste d'application, voulant, ne voulant pas. S'il lui reste quelque chose de français qui réclame, il l'apaise par la lecture de quelque journal innocemment grondeur, pacifiquement belliqueux. La plupart des gouvernements, il faut le dire, ont spéculé sur ce triste progrès de la peur qui n'est autre à la longue que celui de la mort morale. Ils ont pensé qu'on avait meilleur marché des morts que des vivants. Pour leur faire peur du peuple, ils ont montré sans cesse à ces gens effrayés deux têtes de Méduse qui les ont à la longue changés en pierre : la Terreur et le Communisme. L'histoire n'a pas encore examiné de près ce phénomène unique de la Terreur, qu'aucun homme, aucun parti, à coup sûr, ne pourrait ramener. Tout ce que j'en puis dire ici, c'est que, derrière cette fantasmagorie populaire, les meneurs, nos grands Terroristes, n'étaient nullement des hommes du peuple, mais des bourgeois, des nobles, des esprits cultivés, subtils, bizarres, des sophistes et des scolastiques. Quand au Communisme, auquel je reviendrai, un mot suffit. Le dernier pays du monde où la propriété sera abolie, c'est justement la France. Si, comme disait quelqu'un de cette école, « La propriété n'est autre chose que le vol «, il y a ici vingt-cinq millions de voleurs, qui ne se dessaisiront pas demain. Ce n'en sont pas moins là d'excellentes machines politiques pour effrayer ceux qui possèdent, les faire agir contre leurs principes, leur ôter tout principe.
MICHELET. Le Peuple, 1re Partie, chap. vii.
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