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L'ÉCONOMIE LIBÉRALE, SCIENCE INHUMAINE, ET L'ALIÉNATION (Manuscrit de 1844, traduction Molitor)

Publié le 07/02/2011

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Le fait que l'accroissement des besoins et des moyens de les satisfaire produit le manque de besoins et le manque de moyens, l'économiste (et le capitaliste ; d'ailleurs nous parlons toujours des hommes d'affaires empiriques quand nous nous adressons à l'économiste, leur aveu scientifique et leur existence le prouve : 1. en réduisant le besoin de l'ouvrier à l'entretien le plus indispensable et le plus lamentable de la vie physique, et son activité au mouvement mécanique le plus abstrait ; il dit donc : l'homme n'a en dehors de cela, ni besoin, ni activité, ni jouissance ; car il explique également cette vie comme une vie et une existence humaines ; 2. en calculant comme norme, comme norme générale, la vie (l'existence) la plus pauvre possible. De façon générale, parce que s'appliquant à la masse des hommes, il fait de l'ouvrier un être qui n'a ni sens ni besoins, de même qu'il fait de son activité une pure abstraction de toute activité ; tout luxe de l'ouvrier lui paraît donc condamnable et tout ce qui dépasse le besoin le plus abstrait — que ce soit esprit positif ou manifestation d'activité — lui semble du luxe. L'économie politique, cette science de la richesse, est donc en même temps la science du renoncement, des privations, de l'épargne, et elle arrive réellement à épargner à l'homme jusqu'au besoin d'un air pur ou du mouvement physique. Cette science de l'industrie merveilleuse est en même temps la science de l'ascétisme, et son vrai idéal est l'avare ascétique mais usurier et l'esclave ascétique mais producteur. Son idéal moral est l'ouvrier qui apporte à la caisse d'épargne une partie de son salaire ; et, pour cette idée favorite qui est la sienne, elle a même trouvé sous la main un art servile. C'est ce qu'on a de façon sentimentale, mis à la scène. Elle est donc — malgré son air mondain et jouisseur — une science vraiment morale, la science la plus morale de toutes. Le renoncement volontaire, le renoncement à la vie et à tous les besoins humains, est sa thèse principale. Moins vous mangez, buvez, achetez de livres, allez au théâtre, au bal, au cabaret, moins vous pensez, aimez, faites de la théorie, chantez, agissez, sentez, etc..., et d'autant plus vous épargnez, d'autant plus grand devient votre trésor à l'abri des mites et des voleurs, votre capital. Moins vous êtes, moins vous extériorisez votre vie, et d'autant plus vous avez, d'autant plus grande est votre vie aliénée, d'autant plus vous économisez sur votre être aliéné. Tout ce que l'économiste vous prend dans la vie et dans votre humanité, il vous le remplace en argent et en richesse, et tout ce que vous ne pouvez pas votre argent le peut : il peut manger, boire, aller au bal, au théâtre, il se fait l'art, le savoir, les curiosités historiques, la puissance politique, il peut jouir (?), il peut vous approprier tout cela, acheter tout cela ; il est la véritable puissance. Mais, étant tout cela, il ne demande qu'à se créer lui-même, qu'à s'acheter lui-même, car tout le reste est à son service, et quand on a le maître on a aussi le valet et on n'a pas besoin du valet du maître. Mais toutes les passions et toute l'activité doivent donc sombrer dans l'avarice. L'ouvrier doit avoir tout juste de quoi vivre, et il ne doit avoir la volonté de vivre que pour avoir.

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