Le sommeil du condor (Leconte de Lisle).

Étudier, comme dans la pièce précédente, la composition.  Il y a là une sorte d'action dramatique.  Le condor, du haut du pic le plus élevé des Cordillères, observe la lutte du soleil et de la nuit; et quand la nuit a gagné le sommet où il perche, il échappe à l'ombre qui a envahi la terre, et se tient suspendu dans la région que la lumière illumine encore.

Par delà l'escalier des roides Cordillères, Par delà les brouillards hantés des aigles noirs, Plus hauts que les sommets creusés en entonnoirs, Où bout le flux sanglant des laves familières, L'envergure pendante et rouge par endroits, 5 Le vaste Oiseau, tout plein d'une morne indolence, Regarde l'Amérique et l'espace en silence, Et le sombre soleil qui meurt dans ses yeux froids. La nuit roule de l'Est, où les pampas sauvages Sous les monts étagés s'élargissent sans fin ; 10 Elle endort le Chili, les villes, les rivages Et la mer Pacifique et l'horizon divin; Du continent muet elle s'est emparée : Des sables aux coteaux, des gorges aux versants, De cime en cime, elle enfle, en tourbillons croissants, 15 Le lourd débordement de sa haute marée. Lui, comme un spectre, seul, au front du pic altier, Baigné d'une lueur qui saigne sur la neige, Il attend cette mer sinistre qui l'assiège : Elle arrive, déferle, et le couvre en entier. 20 Dans l'abîme sans fond la Croix australe allume Sur les côtes du ciel son phare constellé. Il râle de plaisir, il agite sa plume, Il érige son cou musculeux et pelé. Il s'enlève en fouettant l'âpre neige des Andes, 25 Dans un cri rauque il monte où n'atteint pas le vent, Et, loin du globe noir, loin de l'astre vivant, Il dort dans l'air glacé, les ailes toutes grandes.

(Poèmes barbares, A. Lemerre, éditeur.)

QUESTIONS D'EXAMEN I. — L'ensemble. — Un tableau saisissant, d'un puissant relief. — Où le poète en place-t-il le cadre? (au-dessus des cimes altières et des abîmes effrayants de la chaîne des Cordillères...); 2° A quel moment du jour évoque-t-il ce grandiose paysage exotique? 3° Le condor observe, planant au-dessus des sommets les plus élevés, la lutte du soleil et de la nuit : montrez qu'il se produit, à ce moment-là, une sorte d'action dramatique; 4° Que fait l'oiseau aussitôt que la nuit l'a envahi? Il s'enlève. il monte...; lui triomphe de la nuit, qui a vaincu le soleil..., il dort dans une haute région que n'atteint pas la nuit.

II. — L'analyse de la poésie. — 1° Distinguez les différentes parties de la poésie : a) Cadre dans lequel se déroule l'action. — Attitude du condor ; b) Action dramatique : lutte du soleil et de la nuit (ici personnifiés); attitude de l'oiseau; c) Victoire de la nuit; — envol majestueux du condor ; d) Attitude finale du condor. 2° Quelle est tout d'abord l'attitude de l'oiseau? (Impassible, il regarde, plein d'une morne indolence...), 3° Quelle est son attitude, et quel aspect présente-t-il, alors que la nuit devient de plus en plus envahissante? (Il est calme; du haut d'un pic élevé, il attend l'arrivée de la nuit; — il apparaît comme un spectre — mot expressif, très juste...); 4° Quelle est son attitude quand la nuit est définitivement victorieuse? (Il râle de plaisir, agite sa plume..., la nuit a vaincu le soleil; lui, sera victorieux de la nuit...; il s'enlève dans un cri rauque, qui est un cri de joie...); 5° Montrez son attitude finale. (Après son majestueux envol, loin de la terre qui n'est plus qu'un « globe noir «.) Il dort dans l'air glacé, les ailes toutes grandes. 6° Là encore, montrez, — ainsi que vous l'avez fait dans la poésie précédente, — le talent de Leconte de Lisle comme peintre animalier.

III. — Le style ; — les expressions. — Quels vous paraissent être les caractères distinctifs du style, dans cette poésie? (La pureté..., la précision..., l'énergie..., le relief...), 2° Citez quelques vers vraiment évocateurs (Lui, comme un spectre, seul, au front du pic altier...) 3° Expliquez les expressions suivantes : sommets creusés en entonnoirs, — des laves familières (familières au condor...), — le sombre soleil qui meurt; cette mer sinistre qui l'assiège.

IV. — La grammaire. — 1° Indiquez un synonyme de altier (pic altier), — de déferle (elle arrive, déferle...) ; 2° Quels sont les compléments de dort (les deux derniers vers) ? et quelle en est la nature ? Rédaction. — Décrivez un gros oiseau au vol puissant, que vous avez observé.