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Le Rouge et Le Noir Une idée l'illumina tout à coup: "J'ai le bonheur d'aimer, se dit-elle un jour, avec un transport de joie incroyable.

Publié le 12/04/2014

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Le Rouge et Le Noir Une idée l'illumina tout à coup: "J'ai le bonheur d'aimer, se dit-elle un jour, avec un transport de joie incroyable. J'aime, j'aime, c'est clair! A mon âge, une fille jeune, belle, spirituelle, où peut-elle trouver des sensations, si ce n'est dans l'amour? J'ai beau faire, je n'aurai jamais 'amour pour Croisenois, Caylus, et tutt, quanti. Ils sont parfaits, trop parfaits peut-être, enfin, ils m'ennuient." Elle repassa dans sa tête toutes les descriptions de passion qu'elle avait lues dans Manon Lescaut, la Nouvelle Héloïse, les Lettres d'une Religieuse portugaise, etc., etc. Il n'était question, bien entendu, que de la grande passion; l'amour léger était indigne d'une fille de son âge et de sa naissance. Elle ne donnait le nom d'amour qu'à ce sentiment héroïque que l'on rencontrait en France du temps de Henri III et de Bassompierre. Cet amour-là ne cédait point bassement aux obstacles, mais, bien loin de là, faisait faire de grandes choses. "Quel malheur pour moi qu'il n'y ait pas une cour véritable, comme celle de Catherine de Médicis ou de Louis XIII! Je me sens au niveau de tout ce qu'il y a de plus hardi et de plus grand. Que ne ferais-je pas d'un roi homme de coeur, comme Louis XIII, soupirant à mes pieds! Je le mènerais en Vendée, comme dit si souvent le baron de Tolly, et de là il reconquerrait son royaume; alors plus de charte... et Julien me seconderait. Que lui manque-t-il? un nom et de la fortune. Il se ferait un nom, il acquerrait de la fortune. "Rien ne manque à Croisenois, et il ne sera toute sa vie qu'un duc à demi ultra, à demi libéral, un être indécis parlant quand il faut agir, toujours éloigné des extrêmes, et par conséquent se trouvant le second partout. "Quelle est la grande action qui ne soit pas un extrême au moment où on l'entreprend? C'est quand elle est accomplie, qu'elle semble possible aux êtres du commun. Oui, c'est l'amour avec tous ses miracles qui va régner dans mon coeur; je le sens au feu qui m'anime. Le ciel me devait cette faveur. Il n'aura pas en vain accumulé sur un seul être tous les avantages. Mon bonheur sera digne de moi. Chacune de mes journées ne ressemblera pas froidement à celle de la veille. Il y a déjà de la grandeur et de l'audace à oser aimer un homme placé si loin de moi par sa position sociale. Voyons: continuera-t-il à me mériter? A la première faiblesse que je vois en lui, je l'abandonne. Une fille de ma naissance, et avec le caractère chevaleresque que l'on veut bien m'accorder (c'était un mot de son père), ne doit pas se conduire comme une sotte. "N'est-ce pas là le rôle que je jouerais si j'aimais le marquis de Croisenois? J'aurais une nouvelle édition du bonheur de mes cousines, que je méprise si complètement. Je sais d'avance tout ce que me dirait le pauvre marquis, tout ce que j'aurais à lui répondre. Qu'est-ce qu'un amour qui fait bâiller? autant vaudrait être dévote. J aurais une signature de contrat comme celle de la cadette de mes cousines, où les grands-parents s'attendriraient, si pourtant ils n'avaient pas d'humeur à cause d'une dernière condition introduite la veille dans le contrat par le notaire de la partie adverse." CHAPITRE XII. SERAIT-CE UN DANTON? Le besoin d'anxiété, tel était le caractère de la belle Marguerite de Valois, ma tante, qui bientôt épousa le roi de Navarre, que nous voyons de présent régner en France, sous le nom de Henry IVe. Le besoin de jouer formait tout le secret du caractère de cette princesse aimable; de là ses brouilles et ses raccommodements avec ses frères dès l'âge de seize ans. Or que peut jouer une jeune fille? Ce qu'elle a de plus précieux: sa réputation, la considération de toute sa vie. Mémoires du duc d'ANGOULEME, fils naturel de Charles IX "Entre Julien et moi il n'y a point de signature de contrat, point de notaire pour la cérémonie bourgeoise; tout est héroïque, tout sera fils du hasard. A la noblesse près, qui lui manque, c'est l'amour de Marguerite de Valois pour le jeune La Mole, l'homme le plus distingué de son temps. Est-ce ma faute à moi, si les jeunes gens de la Cour sont de si grands partisans du convenable, et pâlissent à la seule idée de la moindre aventure un peu singulière? Un petit voyage en Grèce ou en Afrique est, pour eux, le comble de l'audace, et encore ne savent-ils marcher qu'en troupe. Dès qu'ils se voient seuls, ils ont peur, non de la lance du Bédouin, mais du CHAPITRE XII. SERAIT-CE UN DANTON? 178 Le Rouge et Le Noir ridicule, et cette peur les rend fous. "Mon petit Julien, au contraire, n'aime à agir que seul. Jamais, dans cet être privilégié, la moindre idée de chercher de l'appui et du secours dans les autres! il méprise les autres et c'est pour cela que je ne le méprise pas. "Si, avec sa pauvreté, Julien était noble, mon amour ne serait qu'une sottise vulgaire, une mésalliance plate; je n'en voudrais pas; il n'aurait point ce qui caractérise les grandes passions: l'immensité de la difficulté à vaincre et la noire incertitude de l'événement." Mlle de La Mole était si préoccupée de ces beaux raisonnements, que le lendemain, sans s'en douter, elle vantait Julien au marquis de Croisenois et à son frère. Son éloquence alla si loin, qu'elle les piqua. Prenez bien garde à ce jeune homme qui a tant d'énergie, s'écria son frère; si la révolution recommence, il nous fera tous guillotiner. Elle se garda de répondre, et se hâta de plaisanter son frère et le marquis de Croisenois sur la peur que leur faisait l'énergie. Ce n'est au fond que la peur de rencontrer l'imprévu, que la crainte de rester court en présence de l'imprévu... Toujours, toujours, messieurs, la peur du ridicule, monstre qui, par malheur, est mort en 1816. Il n'y a plus de ridicule, disait M. de La Mole, dans un pays où il y a deux partis. Sa fille avait compris cette idée. Ainsi, messieurs, disait-elle aux ennemis de Julien, vous aurez eu bien peur toute votre vie, et après on vous dira: ce n'était pas un loup, ce n'en était que l'ombre. Mathilde les quitta bientôt. Le mot de son frère lui faisait horreur; il l'inquiéta beaucoup; mais, dès le lendemain, elle y voyait la plus belle des louanges. "Dans ce siècle, où toute énergie est morte, son énergie leur fait peur. Je lui dirai le mot de mon frère, je veux voir la réponse qu'il y fera. Mais je choisirai un des moments où ses yeux brillent. Alors il ne peut me mentir. "Ce serait un Danton! ajouta-t-elle après une longue et indistincte rêverie. Eh bien! la révolution aurait recommencé. Quels rôles joueraient alors Croisenois et mon frère? Il est écrit d'avance: La résignation sublime. Ce seraient des moutons héroïques, se laissant égorger sans mot dire. Leur seule peur en mourant serait encore d'être de mauvais goût. Mon petit Julien brûlerait la cervelle au jacobin qui viendrait l'arrêter, pour peu qu'il eût l'espérance de se sauver. Il n'a pas peur d'être de mauvais goût, lui." Ce dernier mot la rendit passive; il réveillait de pénibles souvenirs, et lui ôta toute sa hardiesse. Ce mot lui rappelait les plaisanteries de MM. de Caylus, de Croisenois, de Luz et de son frère. Ces messieurs reprochaient unanimement à Julien l'air prêtre: humble et hypocrite. "Mais, reprit-elle tout à coup, l'oeil brillant de joie, l'amertume et la fréquence de leurs plaisanteries prouvent, en dépit d'eux, que c'est l'homme le plus distingué que nous ayons eu cet hiver. Qu'importent ses défauts, ses ridicules? Il a de la grandeur et ils en sont choqués, eux d'ailleurs si bons et si indulgents. Il est sûr qu'il est pauvre et qu'il a étudié pour être prêtre; eux sont chefs d'escadron, et n'ont pas eu besoin d'études, c'est plus CHAPITRE XII. SERAIT-CE UN DANTON? 179
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« ridicule, et cette peur les rend fous. "Mon petit Julien, au contraire, n'aime à agir que seul.

Jamais, dans cet être privilégié, la moindre idée de chercher de l'appui et du secours dans les autres! il méprise les autres et c'est pour cela que je ne le méprise pas. "Si, avec sa pauvreté, Julien était noble, mon amour ne serait qu'une sottise vulgaire, une mésalliance plate; je n'en voudrais pas; il n'aurait point ce qui caractérise les grandes passions: l'immensité de la difficulté à vaincre et la noire incertitude de l'événement." Mlle de La Mole était si préoccupée de ces beaux raisonnements, que le lendemain, sans s'en douter, elle vantait Julien au marquis de Croisenois et à son frère.

Son éloquence alla si loin, qu'elle les piqua. \24Prenez bien garde à ce jeune homme qui a tant d'énergie, s'écria son frère; si la révolution recommence, il nous fera tous guillotiner. Elle se garda de répondre, et se hâta de plaisanter son frère et le marquis de Croisenois sur la peur que leur faisait l'énergie.

Ce n'est au fond que la peur de rencontrer l'imprévu, que la crainte de rester court en présence de l'imprévu... \24Toujours, toujours, messieurs, la peur du ridicule, monstre qui, par malheur, est mort en 1816. \24Il n'y a plus de ridicule, disait M.

de La Mole, dans un pays où il y a deux partis. Sa fille avait compris cette idée. \24Ainsi, messieurs, disait-elle aux ennemis de Julien, vous aurez eu bien peur toute votre vie, et après on vous dira: ce n'était pas un loup, ce n'en était que l'ombre. Mathilde les quitta bientôt.

Le mot de son frère lui faisait horreur; il l'inquiéta beaucoup; mais, dès le lendemain, elle y voyait la plus belle des louanges. "Dans ce siècle, où toute énergie est morte, son énergie leur fait peur.

Je lui dirai le mot de mon frère, je veux voir la réponse qu'il y fera.

Mais je choisirai un des moments où ses yeux brillent.

Alors il ne peut me mentir. "Ce serait un Danton! ajouta-t-elle après une longue et indistincte rêverie.

Eh bien! la révolution aurait recommencé.

Quels rôles joueraient alors Croisenois et mon frère? Il est écrit d'avance: La résignation sublime.

Ce seraient des moutons héroïques, se laissant égorger sans mot dire.

Leur seule peur en mourant serait encore d'être de mauvais goût.

Mon petit Julien brûlerait la cervelle au jacobin qui viendrait l'arrêter, pour peu qu'il eût l'espérance de se sauver.

Il n'a pas peur d'être de mauvais goût, lui." Ce dernier mot la rendit passive; il réveillait de pénibles souvenirs, et lui ôta toute sa hardiesse.

Ce mot lui rappelait les plaisanteries de MM.

de Caylus, de Croisenois, de Luz et de son frère.

Ces messieurs reprochaient unanimement à Julien l'air prêtre: humble et hypocrite. "Mais, reprit-elle tout à coup, l'oeil brillant de joie, l'amertume et la fréquence de leurs plaisanteries prouvent, en dépit d'eux, que c'est l'homme le plus distingué que nous ayons eu cet hiver.

Qu'importent ses défauts, ses ridicules? Il a de la grandeur et ils en sont choqués, eux d'ailleurs si bons et si indulgents.

Il est sûr qu'il est pauvre et qu'il a étudié pour être prêtre; eux sont chefs d'escadron, et n'ont pas eu besoin d'études, c'est plus Le Rouge et Le Noir CHAPITRE XII.

SERAIT-CE UN DANTON? 179. »

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