Le Rouge et Le Noir Mais, avec qui mangerai-je?
Publié le 12/04/2014
Extrait du document
«
\24Oh! bien, dit Sorel, d'un ton de voix traînard, il ne reste donc plus qu'à nous mettre d'accord sur une seule
chose, l'argent que vous lui donnerez.
\24Comment! s'écria M.
de Rênal indigné, nous sommes d'accord depuis hier: je donne trois cents francs; je
crois que c'est beaucoup, et peut-être trop.
\24C'était votre offre, je ne le nie point, dit le vieux Sorel, parlant encore plus lentement, et, par un effort de
génie qui n'étonnera que ceux qui ne connaissent pas les paysans francs-comtois, il ajouta, en regardant
fixement M.
de Rênal: Nous trouvons mieux ailleurs.
A ces mots, la figure du maire fut bouleversée.
Il revint cependant à lui, et, après une conversation savante de
deux grandes heures, où pas un mot ne fut dit au hasard la finesse du paysan l'emporta sur la finesse de
l'homme riche, qui n'en a pas besoin pour vivre.
Tous les nombreux articles, qui devaient régler la nouvelle
existence de Julien, se trouvèrent arrêtés; non seulement ses appointements furent réglés à quatre cents francs,
mais on dut les payer d'avance, le premier de chaque mois.
\24Eh bien, je lui remettrai trente-cinq francs, dit M.
de Rênal.
\24Pour faire la somme ronde, un homme riche et généreux comme monsieur notre maire, dit le paysan d'une
voix câline, ira bien jusqu'à trente-six francs.
\24Soit, dit M.
de Rênal, mais finissons-en.
Pour le coup, la colère lui donnait le ton de la fermeté.
Le paysan
vit qu'il fallait cesser de marcher en avant.
Alors, à son tour M.
de Rênal fit des progrès.
Jamais il ne voulut
remettre le premier mois de trente-six francs au vieux Sorel fort empressé de le recevoir pour son fils.
M.
de
Rênal vint à penser qu'il serait obligé de raconter à sa femme le rôle qu'il avait joué dans toute cette
négociation.
\24Rendez-moi les cent francs que je vous ai remis, dit-il avec humeur.
M.
Durand me doit quelque chose.
J'irai avec votre fils faire la levée du drap noir.
Après cet acte de vigueur, Sorel rentra prudemment dans ses formules respectueuses; elles prirent un bon
quart d'heure.
A la fin voyant qu'il n'y avait décidément plus rien à gagner, il se retira.
Sa dernière révérence
finit par ces mots:
\24Je vais envoyer mon fils au château.
C'était ainsi que les administrés de M.
le maire appelaient sa maison quand ils voulaient lui plaire.
De retour à son usine, ce fut en vain que Sorel chercha son fils.
Se méfiant de ce qui pouvait arriver, Julien
était sorti au milieu de la nuit.
Il avait voulu mettre en sûreté ses livres et sa croix de la Légion d'honneur.
Il
avait transporté le tout chez un jeune marchand de bois, son ami, nommé Fouqué, qui habitait dans la haute
montagne qui domine Verrières.
Quand il reparut:
\24Dieu sait, maudit paresseux, lui dit son père, si tu auras jamais assez d'honneur pour me payer le prix de ta
nourriture, que j'avance depuis tant d'années! Prends tes guenilles, et va-t'en chez M.
le maire.
Julien.
étonné de n'être pas battu.
se hâta de partir.
Mais à peine hors de la vue de son terrible père il ralentit le
pas.
Il jugea qu'il serait utile à son hypocrisie d'aller faire une station à l'église.
Le Rouge et Le Noir
CHAPITRE V.
UNE NEGOCIATION 13.
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