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Le Rouge et Le Noir L'entretien continua en latin.

Publié le 12/04/2014

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Le Rouge et Le Noir L'entretien continua en latin. L'expression des yeux de l'abbé s'adoucissait; Julien reprenait quelque sang-froid. "Que je suis faible, pensa-t-il, de m'en laisser imposer par ces apparences de vertu! cet homme sera tout simplement un fripon comme M. Maslon"; et Julien s'applaudit d'avoir caché presque tout son argent dans ses bottes. L'abbé Pirard examina Julien sur la théologie, il fut surpris de l'étendue de son savoir. Son étonnement augmenta quand il l'interrogea en particulier sur les saintes écritures. Mais quand il arriva aux questions sur la doctrine des Pères, il s'aperçut que Julien ignorait presque jusqu'aux noms de saint Jérôme, de saint Augustin, de saint Bonaventure de saint Basile, etc., etc. "Au fait, pensa l'abbé Pirard, voilà bien cette tendance fatale au protestantisme que j'ai toujours reprochée à Chélan. Une connaissance approfondie et trop approfondie des saintes écritures." (Julien venait de lui parler, sans être interrogé à ce sujet, du temps véritable où avaient été écrits la Genèse, le Pentateuque, etc.) "A quoi mène ce raisonnement infini sur les saintes écritures, pensa l'abbé Pirard, si ce n'est à l'examen personnel, c'est-à-dire au plus affreux protestantisme? Et à côté de cette science imprudente, rien sur les Pères qui puisse compenser cette tendance." Mais l'étonnement du directeur du séminaire n'eut plus de bornes, lorsqu'interrogeant Julien sur l'autorité du Pape, et s'attendant aux maximes de l'ancienne église gallicane, le jeune homme lui récita tout le livre de M. de Maistre. "Singulier homme que ce Chélan, pensa l'abbé Pirard; lui a-t-il montré ce livre pour lui apprendre à s'en moquer?" Ce fut en vain qu'il interrogea Julien pour tâcher de deviner s'il croyait sérieusement à la doctrine de M. de Maistre. Le jeune homme ne répondait qu'avec sa mémoire. De ce moment, Julien fut réellement très bien, il sentait qu'il était maître de soi. Après un examen fort long, il lui sembla que la sévérité de M. Pirard envers lui n'était plus qu'affectée. En effet, sans les principes de gravité austère que, depuis quinze ans, il s'était imposés envers ses élèves en théologie, le directeur du séminaire eût embrassé Julien au nom de la logique tant il trouvait de clarté, de précision et de netteté dans ses réponses. "Voilà un esprit hardi et sain, se disait-il, mais corpus débile (le corps est faible)." Tombez-vous souvent ainsi? dit-il à Julien en français et lui montrant du doigt le plancher. C'est la première fois de ma vie, la figure du portier m'avait glacé, ajouta Julien en rougissant comme un enfant. L'abbé Pirard sourit presque. Voilà l'effet des vaines pompes du monde, vous êtes accoutumé apparemment à des visages riants, véritables théâtres de mensonge. La vérité est austère, monsieur. Mais notre tâche ici-bas n'est-elle pas austère aussi? Il faudra veiller à ce que votre conscience se tienne en garde contre cette faiblesse: Trop de sensibilité aux vaines grâces de l'extérieur. "Si vous ne m'étiez pas recommandé, dit l'abbé Pirard, en reprenant la langue latine avec un plaisir marqué, si vous rie m'étiez pas recommandé par un homme tel que l'abbé Chélan, je vous parlerais le vain langage de ce monde auquel il paraît que vous êtes trop accoutumé. La bourse entière que vous sollicitez, vous dirais-je, est CHAPITRE XXV. LE SÉMINAIRE 98 Le Rouge et Le Noir la chose du monde la plus difficile à obtenir. Mais l'abbé Chélan a mérité bien peu, par cinquante-six ans de travaux apostoliques, s'il ne peut disposer d'une bourse au séminaire. Après ces mots, l'abbé Pirard recommanda à Julien de n'entrer dans aucune société ou congrégation secrète sans son consentement. Je vous en donne ma parole d'honneur, dit Julien avec l'épanouissement de coeur d'un honnête homme. Le directeur du séminaire sourit pour la première fois. Ce mot n'est point de mise ici, lui dit-il, il rappelle trop le vain honneur des gens du monde qui les conduit à tant de fautes, et souvent à des crimes. Vous me devez la sainte obéissance, en vertu du paragraphe dix-sept de la bulle Unam ecclesiam de saint Pie V. Je suis votre supérieur ecclésiastique. Dans cette maison, entendre, mon très-cher fils, c'est obéir. Combien avez-vous d'argent? "Nous y voici, se dit Julien; c'était pour cela qu'était le très-cher fils"." Trente-cinq francs, mon père. Ecrivez soigneusement l'emploi de cet argent; vous aurez à m'en rendre compte. Cette pénible séance avait duré trois heures, Julien appela le portier. Allez installer Julien Sorel dans la cellule n¨ 103, dit l'abbé Pirard à cet homme. Par une grande distinction, il accordait à Julien un logement séparé. Portez-y sa malle, ajouta-t-il. Julien baissa les yeux et vit sa malle précisément en face de lui; il la regardait depuis trois heures, et ne l'avait pas reconnue. En arrivant au n¨ 103 (c'était une petite chambrette de huit pieds en carré, au dernier étage de la maison), Julien remarqua qu'elle donnait sur les remparts, et par-delà on apercevait la jolie plaine que le Doubs sépare de la "Quelle vue charmante!" s'écria Julien; en se parlant ainsi, il ne sentait pas ce qu'exprimaient ces mots. Les sensations si violentes qu'il avait éprouvées depuis le peu de temps qu'il était à Besançon, avaient entièrement épuisé ses forces. Il s'assit près de la fenêtre sur l'unique chaise de bois qui fût dans sa cellule, et tomba aussitôt dans un profond sommeil. Il n'entendit point la cloche du souper, ni celle du salut; on l'avait oublié. Quand les premiers rayons du soleil le réveillèrent le lendemain matin, il se trouva couché sur le plancher. CHAPITRE XXVI. LE MONDE OU CE QUI MANQUE AU RICHE Je suis seul sur la terre, personne ne daigne penser à moi. Tous ceux que je vois faire fortune ont une effronterie et une dureté de coeur que je ne me sens point. Ils me haïssent à cause de ma bonté facile. Ah! bientôt je mourrai, soit de faim, soit du malheur de voir les hommes si durs. YOUNG. CHAPITRE XXVI. LE MONDE OU CE QUI MANQUE AU RICHE 99

« la chose du monde la plus difficile à obtenir.

Mais l'abbé Chélan a mérité bien peu, par cinquante-six ans de travaux apostoliques, s'il ne peut disposer d'une bourse au séminaire. Après ces mots, l'abbé Pirard recommanda à Julien de n'entrer dans aucune société ou congrégation secrète sans son consentement. \24Je vous en donne ma parole d'honneur, dit Julien avec l'épanouissement de coeur d'un honnête homme. Le directeur du séminaire sourit pour la première fois. \24Ce mot n'est point de mise ici, lui dit-il, il rappelle trop le vain honneur des gens du monde qui les conduit à tant de fautes, et souvent à des crimes.

Vous me devez la sainte obéissance, en vertu du paragraphe dix-sept de la bulle Unam ecclesiam de saint Pie V.

Je suis votre supérieur ecclésiastique.

Dans cette maison, entendre, mon très-cher fils, c'est obéir.

Combien avez-vous d'argent? "Nous y voici, se dit Julien; c'était pour cela qu'était le très-cher fils"." \24Trente-cinq francs, mon père. \24Ecrivez soigneusement l'emploi de cet argent; vous aurez à m'en rendre compte. Cette pénible séance avait duré trois heures, Julien appela le portier. \24Allez installer Julien Sorel dans la cellule n¨ 103, dit l'abbé Pirard à cet homme. Par une grande distinction, il accordait à Julien un logement séparé. \24Portez-y sa malle, ajouta-t-il. Julien baissa les yeux et vit sa malle précisément en face de lui; il la regardait depuis trois heures, et ne l'avait pas reconnue. En arrivant au n¨ 103 (c'était une petite chambrette de huit pieds en carré, au dernier étage de la maison), Julien remarqua qu'elle donnait sur les remparts, et par-delà on apercevait la jolie plaine que le Doubs sépare de la "Quelle vue charmante!" s'écria Julien; en se parlant ainsi, il ne sentait pas ce qu'exprimaient ces mots.

Les sensations si violentes qu'il avait éprouvées depuis le peu de temps qu'il était à Besançon, avaient entièrement épuisé ses forces.

Il s'assit près de la fenêtre sur l'unique chaise de bois qui fût dans sa cellule, et tomba aussitôt dans un profond sommeil.

Il n'entendit point la cloche du souper, ni celle du salut; on l'avait oublié. Quand les premiers rayons du soleil le réveillèrent le lendemain matin, il se trouva couché sur le plancher. CHAPITRE XXVI.

LE MONDE OU CE QUI MANQUE AU RICHE Je suis seul sur la terre, personne ne daigne penser à moi.

Tous ceux que je vois faire fortune ont une effronterie et une dureté de coeur que je ne me sens point.

Ils me haïssent à cause de ma bonté facile.

Ah! bientôt je mourrai, soit de faim, soit du malheur de voir les hommes si durs. YOUNG.

Le Rouge et Le Noir CHAPITRE XXVI.

LE MONDE OU CE QUI MANQUE AU RICHE 99. »

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