Le Rat et l'Eléphant. La Fontaine
Publié le 12/07/2011
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Se croire un personnage est fort commun en France; On y fait l'homme d'importance, Et l'on n'est souvent qu'un bourgeois. C'est proprement le mal françois: La sotte vanité nous est particulière. Les Espagnols sont vains, mais d'une autre manière; Leur orgueil me semble, en un mot, Beaucoup plus fou, mais pas si sot. Donnons quelque image du nôtre, Qui sans doute en vaut bien un autre. Un rat des plus petits voyait un éléphant Des plus gros, et raillait le marcher un peu lent De la bête de haut parage, Qui marchait à gros équipage. Sur l'animal à triple étage Une sultane de renom, Son chien, son chat et sa guenon, Son perroquet, sa vieille, et toute sa maison, S'en allait en pèlerinage. Le rat s'étonnait que les gens Fussent touchés de voir cette pesante masse : « Comme si d'occuper ou plus ou moins de place Nous rendait, disait-il, plus ou moins importants! Mais qu'admirez-vous tant en lui, vous autres hommes? Serait-ce ce grand corps qui fait peur aux enfants? Nous ne nous prisons pas, tout petits que nous sommes, D'un grain moins que les éléphants. « Il en aurait dit davantage; Mais le chat, sortant de sa cage, Lui fit voir en moins d'un instant Qu'un rat n'est pas un éléphant.
L'ensemble. — L'ironie de La Fontaine se manifeste ici de façon délicieuse. Cette ironie s'exerce d'abord contre la vanité du bourgeois français qui a toujours tendance à « faire l'homme d'importance «, à se mettre en avant, à critiquer les puissants. Mais La Fontaine ne se borne pas à l'observation sociale de son temps, il va plus loin, et raille l'humanité tout entière. Ce rat qui ne comprend pas qu'on regarde plus l'éléphant que lui-même, qui cherche à rabaisser par tous les moyens le voisin qui blesse sa vanité, n'est-ce pas l'homme en général, qui a tant de mal à reconnaître la supériorité des autres et que la réalité, seule, des événements convainc de sa faiblesse. On remarquera aussi l'art du peintre dans cette fable. La Fontaine décrit admirablement cet éléphant d'Orient qui porte une souveraine et « toute sa maison «. Précision, couleur, pittoresque, tout y est, et nous voyons vraiment le tableau.
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