Le nabab, tome II place volée, dans quel enfer!
Publié le 11/04/2014
Extrait du document
«
voyagea jusqu'au soir à travers un paysage féerique avec la jolie mariée du déjeuner, qui emportait dans les
plis de sa modeste robe, de son mantelet de jeune fille, toutes les violettes de Bordighera.
XXV.
LA PREMIÈRE DE «RÉVOLTE»
«En scène pour le premier acte!»
Ce cri du régisseur debout, les mains en porte-voix, au bas de l'escalier des artistes, s'engouffre dans sa haute
cage, monte, roule, se perd au fond des couloirs pleins d'un bruit de portes battantes, de pas précipités,
d'appels désespérés au coiffeur, aux habilleuses, tandis qu'apparaissent successivement aux paliers des
différents étages, lents et majestueux, la tête immobile, de peur de déranger le moindre détail de leur
accoutrement, tous les personnages du premier acte de Révolte, costumes de bal élégants et modernes, avec
des craquements de souliers neufs, le frôlement soyeux des traînes, le cliquetis des bracelets riches remontés
par le gant qu'on boutonne.
Tout ce monde-là paraît ému, nerveux, pâle sous le fard, et dans les satins
savamment préparés des épaules arrosées de céruse, des frissons passent en moires d'ombres.
On parle peu, la
bouche sèche.
Les plus rassurés en affectant de sourire ont dans les yeux, dans la voix, l'hésitation de la
pensée absente, cette appréhension de la bataille aux feux de la rampe, qui reste un des attraits les plus
puissants du métier de comédien, son piquant, son renouveau.
Sur la scène encombrée d'un va-et-vient de machinistes, de garçons d'accessoires se hâtant, se bousculant
dans le jour doux, neigeux, tombé des frises, qui fera place tout à l'heure, quand le rideau se lèvera, à la
lumière éclatante de la salle.
Cardailhac, en habit noir et cravate blanche, le chapeau casseur sur l'oreille, jette
un dernier coup d'oeil à l'installation des décors, presse les ouvriers, complimente l'ingénue en toilette,
rayonnant, fredonnant, superbe.
On ne se douterait jamais à le voir des terribles préoccupations qui
l'enfièvrent.
Entraîné lui aussi dans la débâcle du Nabab, où s'est engloutie sa commandite, il joue son va-tout
sur la pièce de ce soir, contraintsi elle ne réussit pasà laisser impayés ces décors merveilleux, ces étoffes
à cent francs le mètre.
C'est une quatrième faillite qui l'attend.
Mais, bah! notre directeur a confiance.
Le
succès, comme tous les monstres mangeurs d'hommes, aime la jeunesse; et cet auteur inconnu, tout neuf sur
une affiche, flatte les superstitions du joueur.
André Maranne n'est pas aussi rassuré.
A mesure que la représentation approche, il perd la foi dans son
oeuvre, atterré par la vue de la salle qu'il regarde au trou du rideau comme au verre étroit d'un stéréoscope.
Une salle splendide, remplie jusqu'au cintre, malgré le printemps avancé et le goût mondain pour la
villégiature précoce; une salle que Cardailhac, ennemi déclaré de la nature et de la campagne, s'efforçant
toujours de retenir les Parisiens le plus tard possible dans Paris, est parvenu à combler, à faire aussi brillante
qu'en plein hiver.
Quinze cents têtes fourmillant sous le lustre, droites, penchées, détournées, interrogeantes,
d'une grande vie d'ombres et de reflets, les unes massées aux coins obscurs du bas pourtour, les autres
éclairées vivement, les portes des loges ouvertes, par la réverbération des murs blancs du couloir; public des
premières toujours le même, ce brigand de tout Paris qui va partout, emportant d'assaut ces places enviées,
quand une faveur, une fonction quelconque ne les lui donne pas.
A l'orchestre, les gilets à coeur, les clubs, crânes luisants, larges raies dans des cheveux rares, gants clairs,
grosses lorgnettes braquées.
Aux galeries, mêlées de mondes et de toilettes, tous les noms connus de ces sortes
de solennités, et la promiscuité gênante qui place le sourire contenu et chaste de l'honnête femme à côté des
yeux brûlants de kohl, de la bouche en traits de vermillon des autres.
Chapeaux blancs, chapeaux roses,
diamants et maquillage.
Au-dessus, les loges présentent la même confusion: des actrices et des filles, des
ministres, des ambassadeurs, des auteurs fameux, des critiques, ceux-ci l'air grave, les sourcils froncés, jetés
de travers sur leur fauteuil avec la morgue impassible de juges que rien ne peut corrompre.
Les avant-scènes
tranchent en lumière, en splendeur sur l'ensemble, occupées par des célébrités de la haute banque, les femmes Le nabab, tome II
XXV.
LA PREMIÈRE DE «RÉVOLTE» 104.
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