Le nabab, tome II cuisinière du second, mademoiselle Séraphine, dont j'accepte en retour quelques petites provisions que je conserve dans le coffre-fort, revenu à l'emploi de garde-manger.
Publié le 11/04/2014
Extrait du document
«
Non.
Je savais ses intentions à ce sujet, depuis longtemps...
Je l'ai laissé s'en aller discrètement, à l'anglaise,
comme il voulait.
C'est égal! il aurait bien dû me donner un morceau de pain avant de partir, moi qui l'ai servi
pendant vingt ans.
Et tout à coup, frappant de son poing sur la table, avec rage:
Quand je pense que, si j'avais voulu, j'aurais pu, au lieu d'aller chez Monpavon, entrer chez Mora, avoir la
place de Louis...
Est-il veinard, celui-là! En a-t-il rousti des rouleaux de mille à la mort de son duc!...
Et la
défroque, des chemises par centaines, une robe de chambre en renard bleu qui valait plus de vingt mille
francs...
C'est comme ce Noël, c'est lui qui a dû faire un sac! En se pressant, parbleu, car il savait que ça
finirait tôt.
Maintenant, plus moyen de gratter, place Vendôme.
Un vieux gendarme de mère qui mène tout.
On vend Saint-Romans, on vend les tableaux.
La moitié de l'hôtel en location.
C'est la débâcle.»
J'avoue que je ne pus m'empêcher de montrer ma satisfaction; car enfin ce misérable Jansoulet est cause de
tous nos malheurs.
Un homme qui se vantait d'être si riche, qui le disait partout.
Le public s'amorçait
là-dessus, comme le poisson qui voit luire des écailles dans une nasse...
Il a perdu des millions, je veux bien;
mais pourquoi laissait-il croire qu'il en avait d'autres?...
Ils ont arrêté Bois-l'Héry; c'est lui qu'il fallait arrêter
plutôt...
Ah! si nous avions eu un autre expert, je suis sûr que ce serait déjà fait...
Du reste, comme je le disais
à Francis, il n'y a qu'à voir ce parvenu de Jansoulet pour se rendre compte de ce qu'il vaut.
Quelle tête de
bandit orgueilleux!
Et si commun, ajouta l'ancien valet de chambre.
Pas la moindre moralité.
Un manque absolu de tenue...
Enfin, le voilà à la mer, et puis Jenkins aussi, et bien d'autres avec eux.
Comment! le docteur aussi?...
Ah! tant pis...
Un homme si poli, si aimable...
Oui, encore un qu'on déménage...
Chevaux, voitures, mobilier...
C'est plein d'affiches dans la cour de
l'hôtel, qui sonne le vide comme si la mort y avait passé...
Le château de Nanterre est mis en vente.
Il restait
une demi-douzaine de «petits Bethléem» qu'on a emballés dans un fiacre...
C'est la débâcle, je vous dis, père
Passajon, une débâcle dont nous ne verrons peut-être pas la fin, vieux tous deux comme nous sommes, mais
qui sera complète...
Tout est pourri; il faut que tout crève!»
Il était sinistre à voir ce vieux larbin de l'Empire, maigre, échiné, couvert de boue, et criant comme Jérémie:
«C'est la débâcle!» avec une bouche sans dents, toute noire et large ouverte.
J'avais peur et honte devant lui,
grand désir de le voir dehors; et dans moi-même je pensais: «O M.
Chalmette...
ô ma petite vigne de
Montbars...»
* * * * *
Même date.Grande nouvelle.
Madame Paganetti est venue cette après-midi m'apporter mystérieusement
une lettre du gouverneur.
Il est à Londres, en train d'installer une magnifique affaire.
Bureaux splendides dans
le plus beau quartier de la ville; commandite superbe.
Il m'offre de venir le rejoindre, «heureux, dit-il, de
réparer ainsi le dommage qui m'a été fait.» J'aurai le double de mes appointements à la Territoriale, logé,
chauffé, cinq actions du nouveau comptoir, et remboursement intégral de mon arriéré.
Une petite avance à
faire seulement, pour l'argent du voyage et quelques dettes criardes dans le quartier.
Vive la joie! ma fortune
est assurée.
J'écris au notaire de Montbars de prendre hypothèque sur ma vigne...
Le nabab, tome II
XXIII.
MÉMOIRES D'UN GARÇON DE BUREAU.DERNIERS FEUILLETS 96.
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