Le nabab, tome II bey, lui, croyant qu'on avait voulu le mystifier, de le conduire ainsi devant le mercanti détesté, regarda l'inspecteur avec méfiance: «Jansoulet?
Publié le 11/04/2014
Extrait du document
«
s'entretenait pendant ce temps avec la jeune fille.
Pauvre madame Jenkins! On lui avait dit de cette voix féroce
qu'elle seule connaissait: «Il faut que vous alliez saluer Félicia...» Et elle y était allée, contenant son émotion:
car elle savait maintenant ce qui se cachait au fond de cette affection paternelle, quoiqu'elle évitât toute
explication avec le docteur, comme si elle en avait craint l'issue.
Après madame Jenkins, c'est le Nabab qui se précipite, et prenant entre ses deux grosses pattes les deux mains
long et finement gantées de l'artiste, exprime sa reconnaissance avec une cordialité qui lui met à lui-même
des larmes dans les yeux.
«C'est un grand honneur que vous m'avez fait, Mademoiselle, d'associer mon nom au vôtre, mon humble
personne à votre triomphe, et de prouver à toute cette vermine en train de me ronger les talons que vous ne
croyez pas aux calomnies répandues sur mon compte.
Vrai, c'est inoubliable.
J'aurai beau couvrir d'or et de
diamants ce buste magnifique, je vous le devrai toujours...»
Heureusement pour le bon Nabab, plus sensible qu'éloquent, il est obligé de faire place à tout ce qu'attire le
talent rayonnant, la personnalité en vue: des enthousiasmes frénétiques qui, faute d'un mot pour s'exprimer,
disparaissent comme ils sont venus, des admirations mondaines, animées de bonne volonté, d'un vif désir de
plaire, mais dont chaque parole est une douche d'eau froide, et puis les solides poignées de main des rivaux,
des camarades, quelques-unes très franches, d'autres qui vous communiquent la mollesse de leur empreinte;
le grand dadais prétentieux dont l'éloge imbécile doit vous transporter d'aise et qui, pour ne point trop vous
gâter, l'accompagne «de quelques petites réserves,» et celui qui, en vous accablant de compliments, vous
démontre que vous ne savez pas le premier mot du métier, et le bon garçon affairé qui s'arrête juste le temps
de vous dire dans l'oreille «que Chose, le fameux critique, n'a pas l'air content.» Félicia écoutait tout avec le
plus grand calme, soulevée par son succès au-dessus des petitesses de l'envie, et toute fière quand un vétéran
glorieux, quelque vieux compagnon de son père lui jetait un «c'est très bien, petiote!» qui la reportait au passé,
au petit coin jadis réservé pour elle dans l'atelier paternel, alors qu'elle commençait à se tailler un peu de
gloire dans la renommée du grand Ruys.
Mais, en somme, les félicitations la laissaient assez froide, parce qu'il
lui en manquait une plus désirable que toute autre et qu'elle s'étonnait de n'avoir pas encore reçue...
Décidément elle pensait à lui plus qu'elle n'avait pensé à aucun homme.
Était-ce enfin l'amour, le grand
amour si rare dans une âme d'artiste incapable de se donner tout entière au sentiment, ou bien un simple rêve
de vie honnête et bourgeoise, bien abritée contre l'ennui, ce plat ennui, précurseur de tempêtes, dont elle avait
tant le droit de se méfier? En tout cas, elle s'y trompait, vivait depuis quelques jours dans un trouble délicieux,
car l'amour est si fort, si beau, que ses semblants, ses mirages nous leurrent et peuvent nous émouvoir autant
que lui-même.
Vous est-il quelquefois arrivé dans la rue, préoccupé d'un absent dont la pensée vous tient au coeur, d'être
averti de sa rencontre par celle de quelques personnes qui lui ressemblent vaguement, images préparatoires,
esquisses du type près de surgir tout à l'heure, et qui sortent pour vous de la foule comme des appels
successifs à votre attention surexcitée? Ce sont là des impressions magnétiques et nerveuses dont il ne faut pas
trop sourire, parce qu'elles constituent une faculté de souffrance.
Déjà, dans le flot remuant et toujours
renouvelé des visiteurs, Félicia avait cru reconnaître à plusieurs reprises la tête bouclée de Paul de Géry,
quand tout à coup elle poussa un cri de joie.
Ce n'était pas encore lui pourtant, mais quelqu'un qui lui
ressemblait beaucoup, dont la physionomie régulière et paisible se mêlait toujours maintenant dans son esprit
à celle de l'ami Paul par l'effet d'une ressemblance plus morale que physique et l'autorité douce qu'ils
exerçaient tous deux sur sa pensée.
«Aline!
Félicia!» Le nabab, tome II
XIV.
L'EXPOSITION 12.
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