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« Le mérite suprême est d'avoir réuni l'agréable à l'utile »

Publié le 02/03/2011

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Bordeu : Je pense que les hommes ont ::: mis beaucoup d'importance à l'acte de 'la génération, et qu'ils ont eu raison; mais je suis mécontent de leurs lois tant civiles que religieuses. [Horace] dit quelque part : Omne tulit punctum qui miscuit utile dulci... le mérite suprême est d'avoir réuni l'agréable à l'utile. La perfection consiste à concilier ces deux points. L'action agréable et utile doit occuper la première place dans l'ordre esthétique; nous ne pouvons refuser la seconde à l'utile; la troisième sera pour l'agréable ; et nous reléguerons au rang infime celle qui ne rend ni plaisir ni profit. [...] mademoiselle, pourriez-vous m'apprendre quel profit ou quel plaisir la chasteté et la continence rigoureuse rendent soit à l'individu qui les pratique, soit à la société? Mlle de Lespinasse : Ma foi, aucun. - Donc, en dépit des magnifiques éloges que le fanatisme leur a prodigués, en dépit des lois civiles qui les protègent, nous les rayerons du catalogue des vertus [...]. Et les actions solitaires? [...] elles rendent du moins du plaisir à l'individu, et notre principe est faux, ou... - Quoi, docteur!... - Oui, mademoiselle, oui, et par la raison qu'elles sont aussi indifférentes, et qu'elles ne sont pas aussi stériles. C'est un besoin, et quand on n'y serait pas sollicité par le besoin, c'est toujours une chose douce. [... ] Eh quoi ! parce que les circonstances me privent du plus grand bonheur qu'on puisse imaginer, celui de confondre mes sens avec les sens, mon ivresse avec l'ivresse, mon âme avec l'âme d'une compagne que mon cœur se choisirait, et de me reproduire en elle et avec elle, parce que je ne puis consacrer mon action par le sceau de l'utilité, je m'interdirai un instant nécessaire et délicieux! On se fait saigner dans la pléthore ; et qu'importe la nature de l'humeur surabondante, et sa couleur, et la manière de s'en délivrer? [...] Je vous demanderai donc, de deux actions également restreintes à la volupté, qui ne peuvent rendre que du plaisir sans utilité, mais dont l'une n'en rend qu'à celui qui la fait et l'autre le partage avec un être semblable mâle ou femelle, car le sexe ici, ni même l'emploi du sexe n'y fait rien, en faveur de laquelle le sens commun prononcera-t-il ? [...] - Je reviens sur vos maudits syllogismes, et je n'y vois point de milieu, il faut ou tout nier ou tout accorder... Mais tenez, docteur [...] : que pensez-vous du mélange des espèces ? -[...] je vous dirai que, grâce à notre pusillanimité, à nos répugnances, à nos lois, à nos préjugés, il y a très peu d'expériences faites, qu'on ignore quelles seraient les copulations tout à fait infructueuses ; les cas où l'utile se réunirait à l'agréable; quelles sortes d'espèces on se pourrait promettre de tentatives variées et suivies ; si les faunes sont réels ou fabuleux; si l'on ne multiplierait pas en cent façons diverses les races de mulets, et si celles que nous connaissons sont vraiment stériles. [...] - Mais qu'entendez-vous par des tentatives suivies ? - J'entends que la circulation des êtres est graduelle, que les assimilations des êtres veulent être préparées, et que, pour réussir dans ces sortes d'expériences, il faudrait s'y prendre de loin et travailler d'abord à rapprocher les animaux par un régime analogue. - On réduira difficilement un homme à brouter. - Mais non à prendre souvent du lait de chèvre, et l'on amènera facilement la chèvre à se nourrir de pain. J'ai choisi la chèvre par des considérations qui me sont particulières. [...] C'est que... c'est que nous en tirerions une race vigoureuse, intelligente, infatigable et véloce dont nous ferions d'excellents domestiques. - Fort bien, docteur. Il me semble déjà que je vois derrière la voiture de nos duchesses cinq à six grands insolents chèvre-pieds, et cela me réjouit. - C'est que nous ne dégraderions plus nos frères en les assujettissant à des fonctions indignes d'eux et de nous. [...] C'est que nous ne réduirions plus l'homme dans nos colonies à la condition de la bête de somme. LE RÊVE DE D'ALEMBERT, « SUITE DE L'ENTRETIEN PRÉCÉDENT «, 1769.

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