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Le Jardin d'Epicure A Paul Hervieu.

Publié le 11/04/2014

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epicure
Le Jardin d'Epicure A Paul Hervieu. Je suis persuadé que l'humanité a de tout temps la même somme de folie et de bêtise à dépenser. C'est un capital qui doit fructifier d'une manière ou d'une autre. La question est de savoir si, après tout, les insanités consacrées par le temps ne constituent pas le placement le plus sage qu'un homme puisse faire de sa bêtise. Loin de me réjouir quand je vois s'en aller quelque vieille erreur, je songe à l'erreur nouvelle qui viendra la remplacer, et je me demande avec inquiétude si elle ne sera pas plus incommode ou plus dangereuse que l'autre. A tout bien considérer, les vieux préjugés sont moins funestes que les nouveaux: le temps, en les usant, les a polis et rendus presque innocents. * ** Ceux qui ont le sentiment et le goût de l'action font, dans les desseins les mieux concertés, la part de la fortune, sachant que toutes les grandes entreprises sont incertaines. La guerre et le jeu enseignent ces calculs de probabilités qui font saisir les chances sans s'user à les attendre toutes. * ** Quand on dit que la vie est bonne et quand on dit qu'elle est mauvaise, on dit une chose qui n'a point de sens. Il faut dire qu'elle est bonne et mauvaise à la fois, car c'est par elle, et par elle seule, que nous avons l'idée du bon et du mauvais. La vérité est que la vie est délicieuse, horrible, charmante, affreuse, douce, amère, et qu'elle est tout. Il en est d'elle comme de l'arlequin du bon Florian: l'un la voit rouge, l'autre la voit bleue, et tous les deux la voient comme elle est, puisqu'elle est rouge et bleue et de toutes les couleurs. Voil de quoi nous mettre tous d'accord et réconcilier les philosophes qui se déchirent entre eux. Mais nous sommes ainsi faits que nous voulons forcer les autres a sentir et à penser comme nous et que nous ne permettons pas à notre voisin d'être gai quand nous sommes tristes. * ** Le mal est nécessaire. S'il n'existait pas, le bien n'existerait pas non plus. Le mal est l'unique raison d'être du bien. Que serait le courage loin du péril et la pitié sans la douleur? Que deviendraient le dévouement et le sacrifice an milieu du bonheur universel? Peut-on concevoir la vertu sans le vice, l'amour sans la haine, la beauté sans la laideur? C'est grâce au mal et à la souffrance que la terre peut être habitée et que la vie vaut la peine d'être vécue. Aussi ne faut-il pas trop se plaindre du diable. C'est un grand artiste et un grand savant; il a fabriqué pour le moins la moitié du monde. Et cette moiti est si bien emboîtée dans l'autre qu'il est impossible d'entamer la première sans causer du même coup un semblable dommage à la seconde. À chaque vice qu'on détruit correspondait une vertu qui périt avec lui. J'ai eu le plaisir de voir un jour, à une foire de village, la vie du grand Saint-Antoine représentée par des marionnettes. C'est un spectacle qui passe en philosophie les tragédies de Shakespeare et les drames de M. d'Ennery, Oh! qu'on apprécie bien là tout ensemble la grâce de Dieu et celle du diable! Le théâtre représente une solitude affreuse, mais qui sera bientôt peuplée d'anges et de démons. L'action, en se déroulant, imprime dans les coeurs une terrible impression de fatalité, qui résulte de l'intervention symétrique des démons et des anges, ainsi que de l'allure des personnages, qui sont conduits par des fils que tient une main invisible. Pourtant, quand, après avoir fait sa prière, le grand Saint-Antoine, encore agenouillé soulève son front devenu calleux comme le genou des chameaux, pour avoir été longtemps prosterné sur la pierre, et, levant ses yeux brûlés de larmes, voit devant lui la reine de Saba, qui les bras ouverts, lui sourit Le Jardin d'Épicure 15 Le Jardin d'Epicure dans sa robe d'or, on frémit, on tremble qu'il ne succombe, on suit avec angoisse le spectacle de son trouble et de sa détresse. Nous nous reconnaissons tous en lui et, quand il a triomphé, nous nous associons tous à son triomphe. C'est celui de l'humanit tout entière dans sa lutte éternelle. Saint-Antoine n'est un grand saint que parce qu'il a résisté à la reine de Saba. Or, il faut bien le reconnaître, en lui envoyant cette belle dame qui cache son pied fourchu sous une longue robe brodée de perles, le diable fit une besogne nécessaire à la sainteté de l'ermite. Ainsi le spectacle des marionnettes m'a confirmé dans cette idée que le mal est indispensable au bien et le diable nécessaire à la beauté morale du monde. * ** J'ai trouvé chez des savants la candeur des enfants, et l'on voit tous les jours des ignorants qui se croient l'axe du monde. Hélas! chacun de nous se voit le centre de l'univers. C'est la commune illusion. Le balayeur de la rue n'y échappe pas. Elle lui vient de ses yeux dont les regards, arrondissant autour de lui la voûte céleste, le mettent au beau milieu du ciel et de la terre. Peut-être cette erreur est-elle un peu ébranlée chez celui qui a beaucoup médité. L'humilité rare chez les doctes, l'est encore plus chez les ignares. * ** Une théorie philosophique du monde ressemble au monde comme une sphère sur laquelle on tracerait seulement les degrés de longitude et de latitude ressemblerait à la terre. La métaphysique a cela d'admirable qu'elle ôte au monde tout ce qu'il a et qu'elle lui donne ce qu'il n'avait pas, travail merveilleux sans doute, et jeu plus beau, plus illustre incomparablement que les dames et que les échecs, mais, à tout prendre, de même nature. Le monde pensé se réduit à des lignes géométriques dont l'arrangement amuse. Un système comme celui de Kant ou de Hegel ne diffère pas essentiellement de ces réussites par lesquelles les femmes trompent, avec des cartes, l'ennui de vivre. * ** Peut-on, me dis-je, en lisant ce livre, nous charmer ainsi, non point avec des formes et des couleurs, comme fait la nature en ses bons moments, qui sont rares, mais avec de petits signes empruntés au langage! Ces signes éveillent en nous des images divines. C'est là le miracle! Un beau vers est comme un archet promené sur nos fibres sonores. Ce ne sont pas ses pensées, ce sont les nôtres que la poète fait chanter en nous. Quand il nous parla d'une femme qu'il aime, ce sont nos amours et nos douleurs qu'il éveille délicieusement en notre âme. Il est un évocateur. Quand nous le comprenons, nous sommes aussi poètes que lui. Nous avons en nous, tous tant que nous sommes, un exemplaire de chacun de nos poètes que personne ne connaît, et qui périra à jamais avec toutes ses variantes lorsque nous ne sentirons plus rien. Et croyez-vous que nous aimerions tant nos lyriques s'ils nous parlaient d'autre chose que de nous? Quel heureux malentendu! Les meilleurs d'entre eux sont des égoïstes. Ils ne pensent qu' eux. Ils n'ont mis qu'eux dans leurs vers et nous n'y trouvons que nous. Les poètes nous aident à aimer: ils ne servent qu' cela, Et c'est un assez bel emploi de leur vanité délicieuse. Aussi en est-il de leurs strophes comme des femmes; rien n'est plus vain que de les louer: la mieux aimée sera toujours la plus belle. Quant à faire confesser au public que celle qu'on a choisie est incomparable, cela est plutôt d'un chevalier errant que d'un homme sage. * ** Le Jardin d'Épicure 16
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« dans sa robe d'or, on frémit, on tremble qu'il ne succombe, on suit avec angoisse le spectacle de son trouble et de sa détresse. Nous nous reconnaissons tous en lui et, quand il a triomphé, nous nous associons tous à son triomphe.

C'est celui de l'humanit tout entière dans sa lutte éternelle.

Saint-Antoine n'est un grand saint que parce qu'il a résisté à la reine de Saba.

Or, il faut bien le reconnaître, en lui envoyant cette belle dame qui cache son pied fourchu sous une longue robe brodée de perles, le diable fit une besogne nécessaire à la sainteté de l'ermite. Ainsi le spectacle des marionnettes m'a confirmé dans cette idée que le mal est indispensable au bien et le diable nécessaire à la beauté morale du monde. * * * J'ai trouvé chez des savants la candeur des enfants, et l'on voit tous les jours des ignorants qui se croient l'axe du monde.

Hélas! chacun de nous se voit le centre de l'univers.

C'est la commune illusion.

Le balayeur de la rue n'y échappe pas.

Elle lui vient de ses yeux dont les regards, arrondissant autour de lui la voûte céleste, le mettent au beau milieu du ciel et de la terre.

Peut-être cette erreur est-elle un peu ébranlée chez celui qui a beaucoup médité.

L'humilité rare chez les doctes, l'est encore plus chez les ignares. * * * Une théorie philosophique du monde ressemble au monde comme une sphère sur laquelle on tracerait seulement les degrés de longitude et de latitude ressemblerait à la terre.

La métaphysique a cela d'admirable qu'elle ôte au monde tout ce qu'il a et qu'elle lui donne ce qu'il n'avait pas, travail merveilleux sans doute, et jeu plus beau, plus illustre incomparablement que les dames et que les échecs, mais, à tout prendre, de même nature.

Le monde pensé se réduit à des lignes géométriques dont l'arrangement amuse.

Un système comme celui de Kant ou de Hegel ne diffère pas essentiellement de ces réussites par lesquelles les femmes trompent, avec des cartes, l'ennui de vivre. * * * Peut-on, me dis-je, en lisant ce livre, nous charmer ainsi, non point avec des formes et des couleurs, comme fait la nature en ses bons moments, qui sont rares, mais avec de petits signes empruntés au langage! Ces signes éveillent en nous des images divines.

C'est là le miracle! Un beau vers est comme un archet promené sur nos fibres sonores.

Ce ne sont pas ses pensées, ce sont les nôtres que la poète fait chanter en nous.

Quand il nous parla d'une femme qu'il aime, ce sont nos amours et nos douleurs qu'il éveille délicieusement en notre âme.

Il est un évocateur.

Quand nous le comprenons, nous sommes aussi poètes que lui.

Nous avons en nous, tous tant que nous sommes, un exemplaire de chacun de nos poètes que personne ne connaît, et qui périra à jamais avec toutes ses variantes lorsque nous ne sentirons plus rien.

Et croyez-vous que nous aimerions tant nos lyriques s'ils nous parlaient d'autre chose que de nous? Quel heureux malentendu! Les meilleurs d'entre eux sont des égoïstes.

Ils ne pensent qu' eux.

Ils n'ont mis qu'eux dans leurs vers et nous n'y trouvons que nous.

Les poètes nous aident à aimer: ils ne servent qu' cela, Et c'est un assez bel emploi de leur vanité délicieuse.

Aussi en est-il de leurs strophes comme des femmes; rien n'est plus vain que de les louer: la mieux aimée sera toujours la plus belle.

Quant à faire confesser au public que celle qu'on a choisie est incomparable, cela est plutôt d'un chevalier errant que d'un homme sage. * * * Le Jardin d'Epicure Le Jardin d'Épicure 16. »

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