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Le Grand Meaulnes "Vraiment, il me semble qu'en sortant du bois des Communaux, on ne doit pas être à plus de deux lieues de ce que nous cherchons.

Publié le 11/04/2014

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Le Grand Meaulnes "Vraiment, il me semble qu'en sortant du bois des Communaux, on ne doit pas être à plus de deux lieues de ce que nous cherchons." Ce sont précisément ces deux lieues-là qui manquent sur ta carte. C'est vrai. Et la sortie du bois est bien à une lieue et demie d'ici, mais pour un bon marcheur, cela peut se faire en une matinée..." A cet instant Moucheboeuf arriva. Il avait une tendance irritante à se faire passer pour bon élève, non pas en travaillant mieux que les autres, mais en se signalant dans des circonstances comme celle-ci. "Je savais bien, dit-il triomphant, ne trouver que vous deux. Tous les autres sont partis pour le bois des Communaux. En tête: Jasmin Delouche qui connait les nids". Et, voulant fair le bon apôtre, il commença à raconter tout ce qu'ils avaient dit pour narguer le Cours, M. Seurel et nous, en décidant cette expédition. "S'ils sont au bois, je les verrai sans doute en passant, dit Meaulnes, car je m'en vais aussi. Je serai de retour vers midi et demi". Moucheboeuf resta ébahi. "Ne viens-tu pas?" me demanda Augustin, s'arrêtant une seconde sur le seuil de la porte entr'ouvertece qui fit entrer dans la pièce grise, en une bouffée d'air tiédi par le soleil, un fouillis de cris, d'appels, de pépiements, le bruit d'un seau sur la margelle du puits et le claquement d'un fouet au loin. "Non, dis-je, bien que la tentation fût forte, je ne puis pas, à cause de M. Seurel. Mais hâte-toi. Je t'attendrai avec impatience". Il fit un geste vague et partit, très vite, plein d'espoir. Lorsque M. Seurel arriva, vers dix heures, il avait quitté sa veste d'alpaga noir, revêtu un paletot de pêcheur aux vastes poches boutonnées, un chapeau de paille et de courtes jambières vernies pour serrer le bas de son pantalon. Je crois bien qu'il ne fut guère surpris de ne trouver personne. Il ne voulut pas entendre Moucheboeuf qui lui répéta trois fois que les gars avaient dit: "S'il a besoin de nous, qu'il vienne donc nous chercher!" Et il commanda: "Serrez vos affaires, prenez vos casquettes, et nous allons les dénicher à notre tour... Pourras-tu marcher jusque-là, François?" J'affirmai que oui et nous partîmes. Il fut entendu que Moucheboeuf conduirait M. Seurel et lui servirait d'appeau... C'est-à-dire que, connaissant les futaies où se trouvaient les dénicheurs, il devait de temps à autre crier à toute voix: "Hop! Hola! Giraudat! Delouche! Où êtes-vous?... Y en a-t-il?... En avez-vous trouvé?..." Quant à moi, je fus chargé, à mon vif plaisir, de suivre la lisière est du bois, pour le cas où les écoliers fugitifs CHAPITRE IX. A la recherche du sentier perdu. 58 Le Grand Meaulnes chercheraient à s'échapper de ce côté. Or dans le plan rectifié par le bohémien et que nous avions maintes fois étudié avec Meaulnes, il semblait qu'un chemin à un trait, un chemin de terre, partit de cette lisière du bois pour aller dans la direction du Domaine. Si j'allais le découvrir ce matin!... Je commençai à me persuader que, avant midi, je me trouverais sur le chemin du manoir perdu... La merveilleuse promenade!... Dès que nous eûmes passé le Glacis et contourné le Moulin, je quittai mes deux compagnons, M. Seurel dont on eût dit qu'il partait en guerreje crois bien qu'il avait mis dans sa poche un vieux pistoletet ce traître de Moucheboeuf. Prenant un chemin de traverse, j'arrivai bientôt à la lisière du bois seul à travers la campagne pour la première fois de ma vie comme une patrouille que son caporal a perdue. Me voici, j'imagine, près de ce bonheur mystérieux que Meaulnes a entrevu un jour. Toute la matinée est à moi pour explorer la lisière du bois, l'endroit le plus frais et le plus caché du pays, tandis que mon grand frère aussi est parti à la découverte. C'est comme un ancien lit de ruisseau. Je passe sous les basses branches d'arbres dont je ne sais pas le nom mais qui doivent être des aulnes. J'ai sauté tout à l'heure un échalier au bout de la sente, et je me suis trouvé dans cette grande voie d'herbe verte qui coule sous les feuilles, foulant par endroits les orties, écrasant les hautes valérianes. Parfois mon pied se pose, durant quelques pas, sur un banc de sable fin. Et dans le silence, j'entends un oiseau je m'imagine que c'est un rossignol, mais sans doute je me trompe, puisqu'ils ne chantent que le soirun oiseau qui répète obstinément la même phrase: voix de la matinée, parole dite sous l'ombrage, invitation délicieuse au voyage entre les aulnes. Invisible, entêté, il semble m'accompagner sous la feuille. Pour la première fois me voilà, moi aussi, sur le chemin de l'aventure. Ce ne sont plus des coquilles abandonnées par les eaux que je cherche, sous la direction de M. Seurel, ni les orchis que le maître d'école ne connaisse pas, ni même, comme cela nous arrivait souvent dans le champ du père Martin, cette fontaine profonde et tarie, couverte d'un grillage, enfouie sous tant d'herbes folles qu'il fallait chaque fois plus de temps pour la retrouver... Je cherche quelque chose de plus mystérieux encore. C'est le passage dont il est question dans les livres, l'ancien chemin obstrué, celui dont le prince harassé de fatigue n'a pu trouver l'entrée. Cela se découvre à l'heure la plus perdue de la matinée, quand on a depuis longtemps oublié qu'il va être onze heures, midi... Et soudain, en écartant, dans le feuillage profond, les branches, avec ce geste hésitant des mains à hauteur du visage inégalement écartées, on l'aperçoit comme une longue avenue sombre dont la sortie est un rond de lumière tout petit. Mais tandis que j'espère et m'enivre ainsi, voici que brusquement je débouche dans une sorte de clairière, qui se trouve être tout simplement un pré. Je suis arrivé sans y penser à l'extrémité des Communaux, que j'avais toujours imaginée infiniment loin. Et voici à ma droite, entre des piles de bois, toute bourdonnante dans l'ombre, la maison du garde. Deux paires de bas sèchent sur l'appui de la fenêtre. Les années passées, lorsque nous arrivions à l'entrée du bois, nous disions toujours, en montrant un point de lumière tout au bout de l'immense allée noire: "C'est là-bas la maison du garde; la maison de Baladier". Mais jamais nous n'avions poussé jusque là. Nous entendions dire quelquefois, comme s'il se fût agi d'une expédition extraordinaire: "Il a été jusqu'à la maison du garde!..." Cette fois, je suis allé jusqu'à la maison de Baladier, et je n'ai rien trouvé. Je commençais à souffrir de ma jambe fatiguée et de la chaleur que je n'avais pas sentie jusque-là; je craignais de faire tout seul le chemin du retour, lorsque j'entendis près de moi l'appeau de M. Seurel, la voix de Moucheboeuf, puis d'autres voix qui m'appelaient... CHAPITRE IX. A la recherche du sentier perdu. 59
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« chercheraient à s'échapper de ce côté. Or dans le plan rectifié par le bohémien et que nous avions maintes fois étudié avec Meaulnes, il semblait qu'un chemin à un trait, un chemin de terre, partit de cette lisière du bois pour aller dans la direction du Domaine.

Si j'allais le découvrir ce matin!...

Je commençai à me persuader que, avant midi, je me trouverais sur le chemin du manoir perdu... La merveilleuse promenade!...

Dès que nous eûmes passé le Glacis et contourné le Moulin, je quittai mes deux compagnons, M.

Seurel dont on eût dit qu'il partait en guerre\24je crois bien qu'il avait mis dans sa poche un vieux pistolet\24et ce traître de Moucheboeuf. Prenant un chemin de traverse, j'arrivai bientôt à la lisière du bois\24 seul à travers la campagne pour la première fois de ma vie comme une patrouille que son caporal a perdue. Me voici, j'imagine, près de ce bonheur mystérieux que Meaulnes a entrevu un jour.

Toute la matinée est à moi pour explorer la lisière du bois, l'endroit le plus frais et le plus caché du pays, tandis que mon grand frère aussi est parti à la découverte.

C'est comme un ancien lit de ruisseau.

Je passe sous les basses branches d'arbres dont je ne sais pas le nom mais qui doivent être des aulnes.

J'ai sauté tout à l'heure un échalier au bout de la sente, et je me suis trouvé dans cette grande voie d'herbe verte qui coule sous les feuilles, foulant par endroits les orties, écrasant les hautes valérianes. Parfois mon pied se pose, durant quelques pas, sur un banc de sable fin.

Et dans le silence, j'entends un oiseau\24 je m'imagine que c'est un rossignol, mais sans doute je me trompe, puisqu'ils ne chantent que le soir\24un oiseau qui répète obstinément la même phrase: voix de la matinée, parole dite sous l'ombrage, invitation délicieuse au voyage entre les aulnes.

Invisible, entêté, il semble m'accompagner sous la feuille. Pour la première fois me voilà, moi aussi, sur le chemin de l'aventure.

Ce ne sont plus des coquilles abandonnées par les eaux que je cherche, sous la direction de M.

Seurel, ni les orchis que le maître d'école ne connaisse pas, ni même, comme cela nous arrivait souvent dans le champ du père Martin, cette fontaine profonde et tarie, couverte d'un grillage, enfouie sous tant d'herbes folles qu'il fallait chaque fois plus de temps pour la retrouver...

Je cherche quelque chose de plus mystérieux encore. C'est le passage dont il est question dans les livres, l'ancien chemin obstrué, celui dont le prince harassé de fatigue n'a pu trouver l'entrée.

Cela se découvre à l'heure la plus perdue de la matinée, quand on a depuis longtemps oublié qu'il va être onze heures, midi...

Et soudain, en écartant, dans le feuillage profond, les branches, avec ce geste hésitant des mains à hauteur du visage inégalement écartées, on l'aperçoit comme une longue avenue sombre dont la sortie est un rond de lumière tout petit. Mais tandis que j'espère et m'enivre ainsi, voici que brusquement je débouche dans une sorte de clairière, qui se trouve être tout simplement un pré.

Je suis arrivé sans y penser à l'extrémité des Communaux, que j'avais toujours imaginée infiniment loin.

Et voici à ma droite, entre des piles de bois, toute bourdonnante dans l'ombre, la maison du garde.

Deux paires de bas sèchent sur l'appui de la fenêtre.

Les années passées, lorsque nous arrivions à l'entrée du bois, nous disions toujours, en montrant un point de lumière tout au bout de l'immense allée noire: "C'est là-bas la maison du garde; la maison de Baladier".

Mais jamais nous n'avions poussé jusque là.

Nous entendions dire quelquefois, comme s'il se fût agi d'une expédition extraordinaire: "Il a été jusqu'à la maison du garde!..." Cette fois, je suis allé jusqu'à la maison de Baladier, et je n'ai rien trouvé. Je commençais à souffrir de ma jambe fatiguée et de la chaleur que je n'avais pas sentie jusque-là; je craignais de faire tout seul le chemin du retour, lorsque j'entendis près de moi l'appeau de M.

Seurel, la voix de Moucheboeuf, puis d'autres voix qui m'appelaient...

Le Grand Meaulnes CHAPITRE IX.

A la recherche du sentier perdu.

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