Le Grand Meaulnes "Vraiment, il me semble qu'en sortant du bois des Communaux, on ne doit pas être à plus de deux lieues de ce que nous cherchons.
Publié le 11/04/2014
Extrait du document
«
chercheraient à s'échapper de ce côté.
Or dans le plan rectifié par le bohémien et que nous avions maintes fois étudié avec Meaulnes, il semblait
qu'un chemin à un trait, un chemin de terre, partit de cette lisière du bois pour aller dans la direction du
Domaine.
Si j'allais le découvrir ce matin!...
Je commençai à me persuader que, avant midi, je me trouverais
sur le chemin du manoir perdu...
La merveilleuse promenade!...
Dès que nous eûmes passé le Glacis et contourné le Moulin, je quittai mes
deux compagnons, M.
Seurel dont on eût dit qu'il partait en guerre\24je crois bien qu'il avait mis dans sa poche
un vieux pistolet\24et ce traître de Moucheboeuf.
Prenant un chemin de traverse, j'arrivai bientôt à la lisière du bois\24 seul à travers la campagne pour la
première fois de ma vie comme une patrouille que son caporal a perdue.
Me voici, j'imagine, près de ce bonheur mystérieux que Meaulnes a entrevu un jour.
Toute la matinée est à
moi pour explorer la lisière du bois, l'endroit le plus frais et le plus caché du pays, tandis que mon grand frère
aussi est parti à la découverte.
C'est comme un ancien lit de ruisseau.
Je passe sous les basses branches
d'arbres dont je ne sais pas le nom mais qui doivent être des aulnes.
J'ai sauté tout à l'heure un échalier au
bout de la sente, et je me suis trouvé dans cette grande voie d'herbe verte qui coule sous les feuilles, foulant
par endroits les orties, écrasant les hautes valérianes.
Parfois mon pied se pose, durant quelques pas, sur un banc de sable fin.
Et dans le silence, j'entends un
oiseau\24 je m'imagine que c'est un rossignol, mais sans doute je me trompe, puisqu'ils ne chantent que le
soir\24un oiseau qui répète obstinément la même phrase: voix de la matinée, parole dite sous l'ombrage,
invitation délicieuse au voyage entre les aulnes.
Invisible, entêté, il semble m'accompagner sous la feuille.
Pour la première fois me voilà, moi aussi, sur le chemin de l'aventure.
Ce ne sont plus des coquilles abandonnées par les eaux que je cherche, sous la direction de M.
Seurel, ni les
orchis que le maître d'école ne connaisse pas, ni même, comme cela nous arrivait souvent dans le champ du
père Martin, cette fontaine profonde et tarie, couverte d'un grillage, enfouie sous tant d'herbes folles qu'il
fallait chaque fois plus de temps pour la retrouver...
Je cherche quelque chose de plus mystérieux encore.
C'est le passage dont il est question dans les livres, l'ancien chemin obstrué, celui dont le prince harassé de
fatigue n'a pu trouver l'entrée.
Cela se découvre à l'heure la plus perdue de la matinée, quand on a depuis
longtemps oublié qu'il va être onze heures, midi...
Et soudain, en écartant, dans le feuillage profond, les
branches, avec ce geste hésitant des mains à hauteur du visage inégalement écartées, on l'aperçoit comme une
longue avenue sombre dont la sortie est un rond de lumière tout petit.
Mais tandis que j'espère et m'enivre ainsi, voici que brusquement je débouche dans une sorte de clairière, qui
se trouve être tout simplement un pré.
Je suis arrivé sans y penser à l'extrémité des Communaux, que j'avais
toujours imaginée infiniment loin.
Et voici à ma droite, entre des piles de bois, toute bourdonnante dans
l'ombre, la maison du garde.
Deux paires de bas sèchent sur l'appui de la fenêtre.
Les années passées, lorsque nous arrivions à l'entrée du bois, nous disions toujours, en montrant un point de
lumière tout au bout de l'immense allée noire: "C'est là-bas la maison du garde; la maison de Baladier".
Mais
jamais nous n'avions poussé jusque là.
Nous entendions dire quelquefois, comme s'il se fût agi d'une
expédition extraordinaire: "Il a été jusqu'à la maison du garde!..."
Cette fois, je suis allé jusqu'à la maison de Baladier, et je n'ai rien trouvé.
Je commençais à souffrir de ma jambe fatiguée et de la chaleur que je n'avais pas sentie jusque-là; je
craignais de faire tout seul le chemin du retour, lorsque j'entendis près de moi l'appeau de M.
Seurel, la voix
de Moucheboeuf, puis d'autres voix qui m'appelaient...
Le Grand Meaulnes
CHAPITRE IX.
A la recherche du sentier perdu.
59.
»
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