Le Grand Meaulnes Souvent, l'hiver, passaient ainsi parmi nous des élèves de hasard, mariniers pris par les glaces dans le canal, apprentis, voyageurs immobilisés par la neige.
Publié le 11/04/2014
Extrait du document
«
classe.
A vrai dire, depuis le matin la récréation durait.
A dix heures et demie, donc, lorsque la cour sombre et boueuse fut envahie par les élèves, on s'aperçut bien
vite qu'un nouveau maître régnait sur les jeux.
De tous les plaisirs nouveaux que le bohémien, dès ce matin-là, introduisit chez nous, je ne me rappelle que
le plus sanglant: c'était une espèce de tournoi où les chevaux étaient les grands élèves chargés des plus jeunes
grimpés sur leurs épaules.
Partagés en deux groupes qui partaient des deux bouts de la cour, ils fondaient les uns sur les autres,
cherchant à terrasser l'adversaire par la violence du choc, et les cavaliers, usant de cache-nez comme de
lassos, ou de leurs bras tendus comme de lances, s'efforçaient de désarçonner leurs rivaux.
Il y en eut dont on
esquivait le choc et qui, perdant l'équilibre, allaient s'étaler dans la boue, le cavalier roulant sous sa monture.
Il y eut des écoliers à moitié désarçonnés que le cheval rattrapait par les jambes et qui, de nouveau acharnés à
la lutte, regrimpaient sur ses épaules.
Monté sur le grand Delage qui avait des membres démesurés, le poil
roux et les oreilles décollées, le mince cavalier à la tête bandée excitait les deux troupes rivales et dirigeait
malignement sa monture en riant aux éclats.
Augustin, debout sur le seuil de la classe, regardait d'abord avec mauvaise humeur s'organiser ces jeux.
Et
j'étais auprès de lui, indécis.
"C'est un malin, dit-il entre ses dents, les mains dans les poches.
Venir ici, dès ce matin, c'était le seul moyen
de n'être pas soupçonné.
Et .
Seurel s'y est laissé prendre!"
Il resta là un long moment, sa tête rase au vent, à maugréer contre ce comédien qui allait faire assommer tous
ces gars dont il avait été peu de temps auparavant le capitaine.
Et, enfant paisible que j'étais, je ne manquais
pas de l'approuver.
Partout, dans tous les coins, en l'absence du maître, se poursuivait la lutte: les plus petits avaient fini par
grimper les uns sur les autres; ils couraient et culbutaient avant même d'avoir reçu le choc de l'adversaire...
Bientôt il ne resta plus debout, au milieu de la cour, qu'un groupe acharné et tourbillonnant d'où surgissait par
moments le bandeau blanc du nouveau chef.
Alors le grand Meaulnes ne sut plus résister.
Il baissa la tête, mit ses mains sur ces cuisses et me cria:
"Allons-y, François!"
Surpris par cette décision soudaine, je sautai pourtant sans hésiter sur ses épaules et en une seconde nous
étions au fort de la mêlée, tandis que la plupart des combattants, éperdus, fuyaient en criant:
"Voilà Meaulnes! Voilà le grand Meaulnes!"
Au milieu de ceux qui restaient il se mit à tourner sur lui-même en me disant:
"Etends les bras: empoigne-les comme j'ai fait cette nuit".
Et moi, grisé par la bataille, certain du triomphe, j'agrippais au passage les gamins qui se débattaient,
oscillaient un instant sur les épaules des grands et tombaient dans la boue.
En moins de rien il ne resta debout
que le nouveau venu monté sur Delage; mais celui-ci, peu désireux d'engager la lutte avec Augustin, d'un
violent coup de reins en arrière se redressa et fit descendre le cavalier blanc.
Le Grand Meaulnes
CHAPITRE III.
Le Bohémien à l'école.
47.
»
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