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Le Grand Meaulnes On dut pourtant commencer sans lui.

Publié le 11/04/2014

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Le Grand Meaulnes On dut pourtant commencer sans lui. Les garçons en coustumes de jockeys, les fillettes en écuyéres, amenaient les uns, de fringants poneys enrubannés, les autres, de très vieux chevaux dociles. Au milieu des cris, des rires enfantins, des paris et des longs coups de cloche, on se fût cru transporté sur la pelouse verte et taillée de quelque champ de courses en miniature. Meaulnes reconnut Daniel et les petites filles aux chapeaux à plumes, qu'il avait entendus la veille dans l'allée du bois... Le reste du spectacle lui échappa, tant il était anxieux de retrouver dans la foule le gracieux chapeau de roses et le grand manteau marron. Mais Mlle de Galais ne parut pas. Il la cherchait encore lorsqu'une volée de coups de cloche et des cris de joie annoncèrent la fin des courses. Une petite fille sur une vieille jument blanche avait remporté la victoire. Elle passait triomphalement sur sa monture et le panache de son chapeau flottait au vent. Puis soudain tout se tut. Les jeux étaient finis et Frantz n'était pas de retour. On hésita un instant; on se concerta avec ambarras. Enfin, par groupes, on regagna les appartements, pour attendre, dans l'inquiétude et le silence, le retour des fiancés. CHAPITRE XVI. Frantz de Galais. La course avait fini trop tôt. Il était quatre heures et demie et il faisait jour encore, lorsque Meaulnes se retrouva dans sa chambre, la tête pleine des événements de son extraordinaire journée. Il s'assit devant la table, désoeuvré, attendant le dîner et la fête qui devait suivre. De nouveau soufflait le grand vent du premier soir. On l'entendait gronder comme un torrent ou passer avec le sifflement appuyé d'une chute d'eau. Le tablier de la cheminée battait de temps à autre. Pour la première fois, Meaulnes sentit en lui cette légère angoisse qui vous saisit à la fin des trop belles journées. Un instant il pensa à allumer du feu; mais il essaya vainement de lever le tablier rouillé de la cheminée. Alors il se prit à ranger dans la chambre; il accrocha ses beaux habits aux portemanteaux, disposa le long du mur les chaises bouleversées, comme s'il eût tout voulu préparer là pour un long séjour. Cependant songeant qu'il devait se tenir toujours prêt à partir, il plia soigneusement sur le dossier d'une chaise, comme un costume de voyage, sa blouse et ses autres vêtements de collégien; sous la chaise, il mit ses souliers ferrés pleins de terre encore. Puis il revint s'asseoir et regarda autour de lui, plus tranquille, sa demeure qu'il avait mise en ordre. De temps à autre une goutte de pluie venait rayer la vitre qui donnait sur la cour aux voitures et sur le bois de sapins. Apaisé, depuis qu'il avait rangé son appartement, le grand garçon se sentit parfaitement heureux. Il était là, mystérieux, étranger, au milieu de ce monde inconnu, dans la chambre qu'il avait choisie. Ce qu'il avait obtenu dépassait toutes ses espérances. Et il suffisait maintenant à sa joie de se rappeler ce visage de jeune fille, dans le grand vent, qui se tournait vers lui... Durant cette rêverie, la nuit était tombée sans qu'il songeât même à allumer les flambeaux. Un coup de vent fit battre la porte de l'arrière-chambre qui communiquait avec la sienne et dont la fenêtre donnait aussi sur la cour aux voitures. Meaulnes allait la refermer, lorsqu'il aperçut dans cette pièce une lueur, comme celle d'une bougie allumée sur la table. Il avança la tête dans l'entrebâillement de la porte. Quelqu'un était entré là, par la fenêtre sans doute, et se promenait de long en large, à pas silencieux. Autant qu'on pouvait voir, c'était un très jeune homme. Nu-tête, une pèlerine de voyage sur les épaules, il marchait sans arrêt, comme affolé par une douleur insuportable. Le vent de la fenêtre qu'il avait laissée grande ouverte faisait flotter sa pèlerine et, chaque fois qu'il passait près de la lumière, on voyait luire des boutons dorés sur sa fine redingote. CHAPITRE XVI. Frantz de Galais. 36 Le Grand Meaulnes Il sifflait quelque chose entre ses dents, une espèce d'air marin, comme en chantent, pour s'égayer le coeur, les matelots et les filles dans les cabarets des ports... Un instant, au milieu de sa promenade agitée, il s'arrêta et se pencha sur la table, chercha dans une boîte, en sortit plusieurs feuilles de papier... Meaulnes vit, de profil, dans la lueur de la bougie, un très fin, très aquilin visage sans moustache sous une abondante chevelure que partageait une raie de côté. Il avait cessé de siffler. Très pâle, les lèvres entr'ouvertes, il paraissait à bout de souffle, comme s'il avait reçu au coeur un coup violent. Meaulnes hésitait s'il allait, par discrétion, se retirer, ou s'avancer, lui mettre doucement, en camarade, la main sur l'épaule, et lui parler. Mais l'autre leva la tête et l'aperçut. Il le considéra une seconde, puis, sans s'étonner, s'approcha et dit, affermissant sa voix: "Monsieur, je ne vous connais pas. Mais je suis content de vous voir. Puisque vous voici, c'est à vous que je vais expliquer... Voilà!..." Il paraissait complètement désemparé. Lorsqu'il eut dit: "Voilà", il prit Meaulnes par le revers de sa jaquette, comme pour fixer son attention. Puis il tourna la tête vers la fenêtre, comme pour réfléchir à ce qu'il allait dire, cligna des yeuxet Meaulnes comprit qu'il avait une forte envie de pleurer. Il ravala d'un coup toute cette peine d'enfant, puis, regardant toujours fixement la fenêtre, il reprit d'une voix altérée: "Eh bien, voilà: c'est fini; la fête est finie. Vous pouvez descendre le leur dire. Je suis rentré tout seul. Ma fiancée ne viendra pas. Par scrupule, par crainte, par manque de foi... d'ailleurs, monsieur, je vais vous expliquer..." Mais il ne put continuer; tout son visage se plissa. Il n'expliqua rien. Se détournant soudain, il s'en alla dans l'ombre ouvrir et refermer des tiroirs pleins de vêtements et de livres. "Je vais m'apprêter pour repartir, dit-il. Qu'on ne me dérange pas". Il plaça sur la table divers objets, un nécessaire de toilette, un pistolet... Et Meaulnes, plein de désarroi, sortit sans oser lui dire un mot ni lui serrer la main. En bas, déjà, tout le monde semblait avoir pressenti quelque chose. Presque toutes les jeunes filles avaient changé de robe. Dans le bâtiment principal le dîner avait commencé, mais hâtivement, dans le désordre, comme à l'instant d'un départ. Il se faisait un continuel va-et-vient de cette grande cuisine-salle à manger aux chambres du haut et aux écuries. Ceux qui avaient fini formaient des groupes où l'on se disait au revoir. "Que se passe-t-il? demanda Meaulnes à un garçon de campagne, qui se hâtait de terminer son repas, son chapeau de feutre sur la tête et sa serviette fixée à son gilet. Nous partons, répondit-il. Cela s'est décidé tout d'un coup. A cinq heures, nous nous sommes trouvés seuls, tous les invités ensemble. Nous avions attendu jusqu'à la dernière limite. Les fiancés ne pouvaient plus venir? Quelqu'un a dit: "Si nous partions..." Et tout le monde s'est apprêté pour le départ". CHAPITRE XVI. Frantz de Galais. 37
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« Il sifflait quelque chose entre ses dents, une espèce d'air marin, comme en chantent, pour s'égayer le coeur, les matelots et les filles dans les cabarets des ports... Un instant, au milieu de sa promenade agitée, il s'arrêta et se pencha sur la table, chercha dans une boîte, en sortit plusieurs feuilles de papier...

Meaulnes vit, de profil, dans la lueur de la bougie, un très fin, très aquilin visage sans moustache sous une abondante chevelure que partageait une raie de côté.

Il avait cessé de siffler. Très pâle, les lèvres entr'ouvertes, il paraissait à bout de souffle, comme s'il avait reçu au coeur un coup violent. Meaulnes hésitait s'il allait, par discrétion, se retirer, ou s'avancer, lui mettre doucement, en camarade, la main sur l'épaule, et lui parler.

Mais l'autre leva la tête et l'aperçut.

Il le considéra une seconde, puis, sans s'étonner, s'approcha et dit, affermissant sa voix: "Monsieur, je ne vous connais pas.

Mais je suis content de vous voir.

Puisque vous voici, c'est à vous que je vais expliquer...

Voilà!..." Il paraissait complètement désemparé.

Lorsqu'il eut dit: "Voilà", il prit Meaulnes par le revers de sa jaquette, comme pour fixer son attention.

Puis il tourna la tête vers la fenêtre, comme pour réfléchir à ce qu'il allait dire, cligna des yeux\24et Meaulnes comprit qu'il avait une forte envie de pleurer. Il ravala d'un coup toute cette peine d'enfant, puis, regardant toujours fixement la fenêtre, il reprit d'une voix altérée: "Eh bien, voilà: c'est fini; la fête est finie.

Vous pouvez descendre le leur dire.

Je suis rentré tout seul.

Ma fiancée ne viendra pas.

Par scrupule, par crainte, par manque de foi...

d'ailleurs, monsieur, je vais vous expliquer..." Mais il ne put continuer; tout son visage se plissa.

Il n'expliqua rien.

Se détournant soudain, il s'en alla dans l'ombre ouvrir et refermer des tiroirs pleins de vêtements et de livres. "Je vais m'apprêter pour repartir, dit-il.

Qu'on ne me dérange pas". Il plaça sur la table divers objets, un nécessaire de toilette, un pistolet... Et Meaulnes, plein de désarroi, sortit sans oser lui dire un mot ni lui serrer la main. En bas, déjà, tout le monde semblait avoir pressenti quelque chose.

Presque toutes les jeunes filles avaient changé de robe.

Dans le bâtiment principal le dîner avait commencé, mais hâtivement, dans le désordre, comme à l'instant d'un départ. Il se faisait un continuel va-et-vient de cette grande cuisine-salle à manger aux chambres du haut et aux écuries.

Ceux qui avaient fini formaient des groupes où l'on se disait au revoir. "Que se passe-t-il? demanda Meaulnes à un garçon de campagne, qui se hâtait de terminer son repas, son chapeau de feutre sur la tête et sa serviette fixée à son gilet. \24 Nous partons, répondit-il.

Cela s'est décidé tout d'un coup.

A cinq heures, nous nous sommes trouvés seuls, tous les invités ensemble.

Nous avions attendu jusqu'à la dernière limite.

Les fiancés ne pouvaient plus venir? Quelqu'un a dit: "Si nous partions..." Et tout le monde s'est apprêté pour le départ".

Le Grand Meaulnes CHAPITRE XVI.

Frantz de Galais.

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