Le Grand Meaulnes o CHAPITRE IX.
Publié le 11/04/2014
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«
CHAPITRE PREMIER.
Le Pensionnaire.
Il arriva chez nous un dimanche de novembre 189...
Je continue à dire "chez nous", bien que la maison ne nous appartienne plus.
Nous avons quitté le pays depuis
bientôt quinze ans et nous n'y reviendrons certainement jamais.
Nous habitions les bâtiments du Cour Supérieur de Sainte-Agathe.
Mon père, que j'appelais M.
Seurel,
comme les autres élèves, y dirigeait à la fois le Cours supérieur, où l'on préparait le brevet d'instituteur, et le
Cours moyen.
Ma mère faisait la petite classe.
Une longe maison rouge, avec cinq portes vitrées, sous des vignes vierges, à l'extrémité du bourg; une cour
immense avec préaux et buanderie, qui ouvrait en avant sur le village par un grand portail; sur le côté nord, la
route où donnait une petite grille et qui menait vers La Gare, à trois kilomètres; au sud et par derrière, des
champs, des jardins et des prés qui rejoignaient les faubourgs...
tel est le plan sommaire de cette demeure où
s'écoulèrent les jours les plus tourmentés et les plus chers de ma vie\24demeure d'où partirent et où revinrent se
briser, comme des vagues sur un rocher désert, nos aventures.
Le hasard des "changements", une décision d'inspecteur ou de préfet nous avaient conduits là.
Vers la fin des
vacances, il y a bien longtemps, une voiture de paysan, qui précédait notre ménage, nous avait déposés, ma
mère et moi, devant la petite grille rouillée.
Des gamins qui volaient des pêches dans le jarding s'étaient
enfuis silencieusement par les trous de la haie...
Ma mère, que nous appelions Millie, et qui était bien la
ménagère la plus méthodique que j'aie jamais connue, était entrée aussitôt dans les pièces remplies de paille
poussiéreuse, et tout de suite elle avait constaté avec désespoir, comma à chaque "déplacement", que nos
meubles ne tiendraient jamais dans une maison si mal construite...
Elle était sortie pour me confier sa
détresse.
Tout en me parlant, elle avait essuyé doucement avec son mouchoir ma figure d'enfant noircie par le
voyage.
Puis elle était rentrée faire le compte de toutes les ouvertures qu'il allait falloir condamner pour
rendre le logement habitable...
Quant à moi, coiffé d'un grand chapeau de paille à rubans, j'étais resté là, sur
le gravier de cette cour étrangère, à attendre, à fureter petitement autour du puits et sous le hangar.
C'est ainsi, du moins, que j'imagine aujourd'hui notre arrivée.
Car aussitôt que je veux retrouver le lointain
souvenir de cette première soirée d'attente dans notre cour de Sainte-Agathe, déjà ce sont d'autres attentes
que je me rappelle; déjà, les deux mains appuyées aux barreaux du portail, je me vois épiant avec anxiété
quelqu'un qui va descendre la grand'rue.
Et si j'essaie d'imaginer la première nuit que je dus passer dans ma
mansarde, au millieu des greniers du premier étage, déjà ce sont d'autres nuits que je me rappelle; je ne suis
plus seul dans cette chambre; une grande ombre inquiète et amie passe le long des murs et se promène.
Tout
ce paysage paisible\24l'école, le champ du père Martin, avec ses trois noyers, le jardin dès quatre heures envahi
chaque jour par des femmes en visite\24est à jamais, dans ma mémoire, agité, transformé par la présence de
celui qui bouleversa toute notre adolescence et dont la fuite même ne nous a pas laissé de repos.
Nous étions pourtant depuis dix ans dans ce pays lorsque Meaulnes arriva.
J'avais quinze ans.
C'était un froid dimanche de novembre, le premier jour d'automne qui fît songer à l'hiver.
Toute la journée, Millie avait attendu une voiture de La Gare qui devait lui apporter un chapeau pour la
mauvaise saison.
Le matin, elle avait manqué la messe; et jusqu'au sermon, assis dans le choeur avec les
autres enfants, j'avais regardé anxieusement du côté des cloches, pour la voir entrer avec son chapeau neuf.
Après midi, je dus partir seul à vêpres.
"D'ailleurs, me dit-elle, pour me consoler, en brossant de sa main mon costume d'enfant, même s'il était
arrivé, ce chapeau, il aurait bien fallu sans doute, que je passe mon dimanche à le refaire".
Le Grand Meaulnes
CHAPITRE PREMIER.
Le Pensionnaire.
3.
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