Le Grand Meaulnes chansonnettes.
Publié le 11/04/2014
Extrait du document


«
paysanne mettait le couvert.
Dès que Meaulnes se fut assis devant un des bols alignés sur la nappe, elle lui
versa le café en disant:
"Vous êtes le premier, monsieur".
Il ne voulut rien répondre, tant il craignait d'être soudain reconnu comme un étranger.
Il demanda seulement à
quelle heure partirait le bateau pour la promenade matinale qu'on avait annoncée.
"Pas avant une demi-heure, monsieur: personne n'est descendu encore", fut la réponse.
Il continua donc d'errer en cherchant le lieu de l'embarcadère, autour de la longue maison châtelaine aux ailes
inégales, comme une église.
Lorsqu'il eut contourné l'aile sud, il aperçut soudain les roseaux, à perte de vue,
qui formaient tout le paysage.
L'eau des étangs venait de ce côté mouiller le pied des murs, et il y avait,
devant plusiers portes, de petits balcons de bois qui surplombaient les vagues clapotantes.
Désoeuvré, le promeneur erra un long moment sur la rive sablée comme un chemin de halage.
Il examinait
curieusement les grandes portes aux vitres poussiéreuses qui donnaient sur des pièces délabrées ou
abandonnées, sur des dbarras encombrés de brouettes, d'outils rouills et de pots de fleurs brisés, lorsque
soudain, à l'autre bout des bâtiments, il entendit des pas grincer sur le sable.
C'étaient deux femmes, l'une très vieille et courbée; l'autre, une jeune fille, blonde, élancée, dont le charmant
costume, après tous les déguisements de la veille, parut d'abord à Meaulnes extraordinaire.
Elles s'arrêtèrent un instant pour regarder le paysage, tandis que Meaulnes se disait, avec un étonnement qui
lui parut plus tard bien grossier:
"Voilà sans doute ce qu'on appelle une jeune fille excentrique\24 peut-être une actrice qu'on a mandée pour la
fête".
Cependant, les deux femmes passaient près de lui et Meaulnes, immobile, regarda la jeune fille.
Souvent, plus
tard, lorsqu'il s'endormait après avoir désespérément essayé de se rappeler le beau visage effacé, il voyait en
rêve passer des rangées de jeunes femmes qui ressemblaient à celle-ci.
L'une avait un chapeau comme elle et
l'autre son air un peu penché; l'autre son regard si pur; l'autre encore sa taille fine, et l'autre avait aussi ses
yeux bleus: mais aucune de ces femmes n'était jamais la grande jeune fille.
Meaulnes eut le temps d'apercevoir, sous une lourde chevelure blonde, un visage aux traits un peu courts,
mais dessinés avec une finesse presque douloureuse.
Et comme déjà elle était passée devant lui, il regarda sa
toilette, qui était bien la plus simple et la plus sage des toilettes...
Perplexe, il se demandait s'il allait les accompagner, lorsque la jeune fille, se tournant imperceptiblement vers
lui, dit à sa compagne:
"Le bateau ne va pas tarder, maintenant, je pense?..."
Et Meaulnes les suivit.
La vieille dame, cassée, tremblante, ne cessait de causer gaiement et de rire.
La jeune
fille répondait doucement.
Et lorsqu'elles descendirent sur l'embarcadère, elle eut ce même regard innocent et
grave, qui semblait dire:
"Qui êtes-vous? Que faites-vous ici? Je ne vous connais pas.
Et pourtant il me semble que je vous connais".
D'autres invités étaient maintenant épars entre les arbres, attendant.
Et trois bateaux de plaisance accostaient, Le Grand Meaulnes
CHAPITRE XV.
La rencontre.
33.
»
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