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Le General Dourakine "Le soir du troisieme jour, nous entrames dans la ville d'Irbite.

Publié le 11/04/2014

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Le General Dourakine "Le soir du troisieme jour, nous entrames dans la ville d'Irbite. "Votre passeport", me cria le factionnaire, il ajouta tres bas: "Donnez vingt kopecks et passez." "Je donnai vite les vingt kopecks et je m'arretai devant une hotellerie, ou j'eus assez de peine a me faire recevoir: tout etait plein. L'izbo etait deja encombree de yamstchiks (conducteurs de chevaux et traineaux). Je pris ma part d'un bruyant repas siberien compose d'une soupe aux raves, de poissons secs, de gruau a l'huile et de choux marines. Chacun s'etendit ensuite sur les bancs, sous les bancs, sur les fables, sur... le poele et par terre; je me couchai par terre, mais je ne pus dormir; j'avais compte ce qui me restait d'argent: je n'avais plus que soixante-quinze roubles. Avec une aussi faible somme je devais renoncer a voyager en traineau; il me fallait achever ma route a pied; j'avais des milliers de verstes a faire avant de me trouver au dela de la frontiere russe, et je devais mettre pres d'un an a les parcourir. Je ne perdis pourtant pas courage; j'invoquai Dieu et la sainte Vierge, qui me procureraient sans doute quelque travail, quelque moyen de gagner ma vie pour arriver jusqu'en France, seul pays au monde qui ait ete compatissant et genereux pour les pauvres Polonais. Le lendemain je quittai de grand matin l'izba et Irbite; en sortant de la ville, le factionnaire me demanda mon passeport ou vingt kopecks; je preferai donner les vingt kopecks, et bien m'en prit, car a quelque distance de la ville je voulus jeter un coup d'oeil sur mon passeport, je ne le trouvai pas; j'eus beau chercher, fouiller de tous cotes, je ne pus le retrouver; il ne me restait qu'une passe de forcat pour circuler dans les environs d'Ekaterininski-Zavod; je l'avais sans doute perdu dans un traineau ou dans la ville, a la couchee. Un tremblement nerveux me saisit. Sans passeport je ne pouvais m'arreter dans aucune ville, aucun village; je me trouvais condamne a passer mes nuits dans les forets ou dans les plaines immenses nommees steppes; cet hiver de 1856 etait un des plus rigoureux qu'on eut vus depuis plusieurs annees; la neige tombait en abondance; je me trouvais sans cesse couvert d'une couche de neige, que je secouais. Elle tombait si serree, qu'elle effacait les traces des routes praticables; heureusement que les voyageurs siberiens ont l'habitude de planter dans la neige de longues perches de sapin pour guider leurs compatriotes; mais souvent ces perches, abattues par les ouragans, manquent aux voyageurs. Je marchai pourtant sans perdre courage; parfois je rencontrais des yamstchiks qui venaient a ma rencontre; je suivais la trace qu'avait laissee leur traineau, et je marchais ainsi jusqu'a la nuit; alors je creusais dans la neige un trou profond en forme de grotte; je m'y etablissais pour dormir, en fermant de mon mieux, avec de la neige, l'entree de ma grotte. La premiere nuit que je passai ainsi, je m'eveillai les pieds presque geles, parce que j'avais mis sur moi mon manteau de fourrure, le poil en dedans; je me souvins que les Ostiakes (peuplades du nord de la Siberie), qui se font des abris pareils dans la neige quand ils voyagent, mettent toujours leurs fourrures le poil en dehors. Ce moyen me reussit; je n'eus jamais les membres geles depuis. Un jour, l'ouragan et le chasse-neige furent si violents, que les perches de sapin furent enlevees; je ne rencontrai personne qui put m'indiquer mon chemin, et je m'egarai. Pendant plusieurs heures je marchai vaillamment, enfoncant dans la neige jusqu'aux reins, cherchant a me reconnaitre, et m'egarant de plus en plus. La faim se faisait cruellement sentir; mes provisions etaient epuisees de la veille; le froid engourdissait mes membres; je n'avancais plus que peniblement; la fatigue me faisait tomber devant chaque obstacle a franchir; enfin, au moment ou j'allais me laisser tomber pour ne plus me relever, j'apercus une lumiere a une petite distance. Je remerciai Dieu et la sainte Vierge de ce secours inespere; je recueillis les forces qui me restaient, et j'arrivai devant une izba qui etait a l'extremite d'un hameau, dont les fenetres s'eclairaient successivement. Une jeune femme se tenait pres de la porte de l'izba. Je demandai a entrer; la jeune femme m'ouvrit sur-le-champ, et je me trouvai dans une chambre bien chaude, en face d'une vieille femme, mere de l'autre. "--D'ou viens-tu? Ou te mene le bon Dieu? me demanda la vieille. "--Je suis du gouvernement de Tobolsk, mere, lui repondis-je, et je vais chercher du travail dans les fonderies de fer de Bohotole, dans les monts Ourals." "Les deux femmes se mirent a me preparer un repas; quand j'eus assouvi ma faim, je profitai du feu qu'elles avaient allume pour faire secher mes vetements et mon linge humide de neige. La vue de mes quatre chemises XIX. EVASION DU PRINCE 79 Le General Dourakine eveilla les soupcons des femmes. Je m'etendis sur un banc et je commencais a m'endormir, quand je fus eveille par des chuchotements qui m'inquieterent; j'ouvris les yeux, et je vis quelques paysans qui etaient entres et qui s'etaient groupes autour des femmes. "Ou est-il?" demanda l'un d'eux a voix basse. "La jeune femme me montra du doigt; les hommes s'approcherent et me secouerent rudement en me demandant mon passeport. "--De quel droit me demandez-vous mon passeport? lui repondis-je. "Est-ce que l'un de vous est golova (tete, ancien)? "--Non, nous sommes habitants du hameau. "--Et comment osez-vous me deranger? Qui me dit quelles gens vous etes et si vous n'etes pas des voleurs? Attendez, vous trouverez a qui parler. "--Nous sommes d'ici, et nous avons le droit de savoir qui nous logeons chez nous. "--Eh bien! je me nomme Dmitri Boganine, du gouvernement de Tobolsk, et je vais a Bohotole pour avoir de l'ouvrage dans les etablissements du gouvernement, et ce n'est pas la premiere fois que je traverse le pays." "J'entrai alors dans les details que j'avais appris par l'etude des cartes du pays et mes conversations avec les marchands d'Ekaterininski-Zavod. Je finis enfin par leur montrer mon passeport, qui n'etait autre chose que la passe que j'avais conservee. "Aucun d'eux ne savait lire, mais la vue du cachet imperial leur suffit; ils furent convaincus que j'avais un passeport en regle, et ils se retirerent en me demandant humblement pardon de m'avoir derange. "Mais nous sommes excusables, ami; on nous ordonne d'arreter les forcats qui s'echappent. "--Comment des forcats pourraient-ils se trouver si loin des pocelenie (lieu de detention)? "--Il s'en echappe quelquefois, et nous en avons arrete quelques-uns." "Ils me quitterent, et j'achevai ma nuit tranquillement." XX. VOYAGE PENIBLE, HEUREUSE FIN "Le lendemain je pris conge des femmes et je continuai ma route, bien decide a ne plus demander d'abri a aucun etre humain; j'avais encore soixante-dix roubles; en couchant dans les bois, en n'achetant que le pain strictement necessaire a ma subsistance, j'esperais pouvoir arriver jusqu'a Vologda; il y a dans les environs de cette ville beaucoup de fabriques de drap, de toile a voiles et des tanneries, ou je pouvais trouver a gagner l'argent necessaire pour arriver a la fin de mon voyage. Je marchai donc resolument, et Dieu seul sait ce que j'ai souffert pendant ces quatre mois d'un rude hiver. Quelquefois je sentais faiblir mon courage; je le ranimais en baisant avec ferveur une croix en bois que je m'etais fabrique avec mon couteau. Deux fois seulement j'entrai dans une maison habitee, pour y coucher; un soir, il neigeait, le froid etait terrible, j'etais presque fou de fatigue, de froid, de misere; un besoin irresistible d'avaler quelque chose de chaud s'empara de moi; une soupe aux raves bien chaude m'eut paru un regal de Balthazar; je courus, sous cette impression, vers une XX. VOYAGE PENIBLE, HEUREUSE FIN 80

« eveilla les soupcons des femmes.

Je m'etendis sur un banc et je commencais a m'endormir, quand je fus eveille par des chuchotements qui m'inquieterent; j'ouvris les yeux, et je vis quelques paysans qui etaient entres et qui s'etaient groupes autour des femmes. “Ou est-il?” demanda l'un d'eux a voix basse. “La jeune femme me montra du doigt; les hommes s'approcherent et me secouerent rudement en me demandant mon passeport. “—De quel droit me demandez-vous mon passeport? lui repondis-je. “Est-ce que l'un de vous est golova (tete, ancien)? “—Non, nous sommes habitants du hameau. “—Et comment osez-vous me deranger? Qui me dit quelles gens vous etes et si vous n'etes pas des voleurs? Attendez, vous trouverez a qui parler. “—Nous sommes d'ici, et nous avons le droit de savoir qui nous logeons chez nous. “—Eh bien! je me nomme Dmitri Boganine, du gouvernement de Tobolsk, et je vais a Bohotole pour avoir de l'ouvrage dans les etablissements du gouvernement, et ce n'est pas la premiere fois que je traverse le pays.” “J'entrai alors dans les details que j'avais appris par l'etude des cartes du pays et mes conversations avec les marchands d'Ekaterininski-Zavod.

Je finis enfin par leur montrer mon passeport, qui n'etait autre chose que la passe que j'avais conservee. “Aucun d'eux ne savait lire, mais la vue du cachet imperial leur suffit; ils furent convaincus que j'avais un passeport en regle, et ils se retirerent en me demandant humblement pardon de m'avoir derange. “Mais nous sommes excusables, ami; on nous ordonne d'arreter les forcats qui s'echappent. “—Comment des forcats pourraient-ils se trouver si loin des pocelenie (lieu de detention)? “—Il s'en echappe quelquefois, et nous en avons arrete quelques-uns.” “Ils me quitterent, et j'achevai ma nuit tranquillement.” XX.

VOYAGE PENIBLE, HEUREUSE FIN “Le lendemain je pris conge des femmes et je continuai ma route, bien decide a ne plus demander d'abri a aucun etre humain; j'avais encore soixante-dix roubles; en couchant dans les bois, en n'achetant que le pain strictement necessaire a ma subsistance, j'esperais pouvoir arriver jusqu'a Vologda; il y a dans les environs de cette ville beaucoup de fabriques de drap, de toile a voiles et des tanneries, ou je pouvais trouver a gagner l'argent necessaire pour arriver a la fin de mon voyage.

Je marchai donc resolument, et Dieu seul sait ce que j'ai souffert pendant ces quatre mois d'un rude hiver.

Quelquefois je sentais faiblir mon courage; je le ranimais en baisant avec ferveur une croix en bois que je m'etais fabrique avec mon couteau.

Deux fois seulement j'entrai dans une maison habitee, pour y coucher; un soir, il neigeait, le froid etait terrible, j'etais presque fou de fatigue, de froid, de misere; un besoin irresistible d'avaler quelque chose de chaud s'empara de moi; une soupe aux raves bien chaude m'eut paru un regal de Balthazar; je courus, sous cette impression, vers une Le General Dourakine XX.

VOYAGE PENIBLE, HEUREUSE FIN 80. »

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