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Le duc et l'archevêque (publié en 1795). Chamfort

Publié le 20/06/2011

Extrait du document

Le duc d'A..., absent de la cour depuis plusieurs années, revenu de son gouvernement du Berri, allait à Versailles. La voiture versa et se rompit. Il faisait un froid très aigu. On lui dit qu'il fallait deux heures pour la remettre en état. Il vit un relais et demanda pour qui c'était : on lui dit que c'était pour l'archevêque de Reims, qui allait à Versailles. Il envoya ses gens devant lui, n'en réservant qu'un, auquel il recommanda de ne point paraître sans son ordre. L'archevêque arriva. Pendant qu'on attelait, le duc charge un des gens de l'archevêque de lui demander une place pour un honnête homme dont la voiture vient de se briser, et qui est condamné à attendre deux heures qu'elle soit rétablie. Le domestique va et fait la commission. « Quel homme est-ce? dit l'archevêque. Est-ce quelqu'un comme il faut? — Je le crois, monseigneur, il a un air bien honnête. — Qu'appelles-tu un air bien honnête? Est-il bien mis? — Monseigneur, simplement, mais bien. — A-t-il des gens? — Monseigneur, je l'imagine. — Va-t'en le savoir. « Le domestique va et revient : « Monseigneur, il les a envoyés devant à Versailles. — Ah! c'est quelque chose, mais ce n'est pas tout. Demande-lui s'il est gentilhomme. « Le laquais va et revient. « Oui, monseigneur, il est gentilhomme. — A la bonne heure! qu'il vienne, nous verrons ce que c'est. « Le duc arrive, salue. L'archevêque fait un signe de tête, se range à peine pour faire une petite place dans sa voiture. Il voit une croix de Saint-Louis. « Monsieur, dit-il au duc, je suis fâché de vous avoir fait attendre, mais je ne pouvais donner une place dans ma voiture à un homme de rien, vous en conviendrez. Je sais que vous êtes gentilhomme. Vous avez servi, à ce que je vois? — Oui, monseigneur. — Et vous allez à Versailles? — Oui, monseigneur. — Dans les bureaux, apparemment? — Non, je n'ai rien à faire dans les bureaux, je vais remercier. — Qui ? M. de Louvois ? — Non, monseigneur, le roi. — Le roi? (ici l'archevêque se recule et fait un peu de place.) Le roi vient donc de vous faire quelque grâce récente? — Non, monseigneur, c'est une longue histoire. — Contez toujours. — C'est qu'il y a deux ans j'ai marié ma fille à un homme peu riche (l'archevêque reprend un peu de l'espace qu'il a cédé dans sa voiture), mais d'un très grand nom. « (L'archevêque recède la place.) Le duc continue : « Sa Majesté avait bien voulu s'intéresser à ce mariage (l'archevêque fait beaucoup de place) et avait promis à mon gendre le premier gouvernement qui vaquerait. — Comment donc! Un petit gouvernement, sans doute? de quelle ville? — Ce n'est pas seulement d'une ville, monseigneur, c'est d'une province. — Ouais! dit l'archevêque en reculant dans l'angle de la voiture, d'une province! — Oui, et il va y en avoir un de vacant. — Lequel donc! — Le mien, celui de Berri, que je veux faire passer à mon gendre. — Quoi ! monsieur, vous êtes le gouverneur... vous êtes le duc de... « Et il veut descendre de sa voiture. « Mais, monsieur le duc, que ne parliez-vous? Mais cela est incroyable; mais à quoi m'exposez-vous? Pardon de vous avoir fait attendre.... Ce maraud de laquais qui ne me dit pas.... Je suis bien heureux encore d'avoir cru, sur votre parole, que vous étiez gentilhomme : tant de gens le disent sans l'être! et puis ce d'Hozier est un fripon! Ah !(monsieur le duc, je suis confus. — Remettez-vous, monseigneur. Pardonnez à votre laquais qui s'est contenté de vous dire que j'étais un honnête homme : pardonnez à d'Hozier qui vous exposait à recevoir dans votre voiture un vieux militaire non titré; pardonnez-moi de n'avoir pas commencé par faire mes preuves pour monter dans votre carrosse. «

(Anecdotes.)

QUESTIONS D'EXAMEN

I. — L'ensemble. — Vif et curieux récit d'une anecdote. — Quels sont les personnages qui figurent dans ce récit? Comment vous apparaît l'archevêque? (ses questions au laquais, — puis au duc); Quelle est l'attitude du duc? (cherche-t-il à tirer avantage ou vanité de sa qualité de gentilhomme, de sa situation de gouverneur?...) Que présente de curieux le dialogue entre l'archevêque et le duc? (faites ressortir le comique des mouvements de l'archevêque, dans la voiture); Un changement profond ne se produit-il pas peu à peu dans l'attitude de l'archevêque? (arrogant au début, il devient très humble...; à développer); Le récit de Chamfort n'a-t-il pas le caractère d'une petite comédie? (les deux dialogues; le râle des personnages; l'étonnement progressif, puis la confusion de l'archevêque).

II. — L'analyse du morceau. — Distinguez les différentes parties du récit : a) la voiture du duc se rompt; b) l'archevêque de Reims au relais; — dialogue entre l'archevêque et l'un de ses gens; c) le duc dans la voiture de l'archevêque, — le dialogue); Pourquoi le duc fait-il demander une place dans la voiture de l'archevêque de Reims? Quelles questions pose surtout l'archevêque au laquais? Par quelles paroles marque-t-il son peu de considération pour l'inconnu qui lui demande une place? Comment répond-il au salut du duc? Quelle place lui fait-il à côté de lui? En est-il de même quand il apprend la situation du duc? De quelle manière le duc accepte-t-il les excuses de l'archevêque? Lui-même ne s'excuse-t-il pas? Quel est le caractère des deux dialogues?

III. — Le style; — les expressions. — Faites ressortir la concision et la vivacité du style, dans ce récit (phrases courtes, allégées de tout terme inutile : La voiture versa et se rompit. Il faisait un froid très aigu.... L'archevêque arriva.... Le duc arrive, salue....) Dialogues vifs; chacun des personnages ne dit que l'essentiel : Je vais remercier. — Qui ? M. de Louvois ? — Non, monseigneur, le roi. — Le roi ? Le roi vient donc de vous faire quelque grâce récente?...) Relevez dans le récit quelques traits comiques; Que signifie l'expression : ce maraud de laquais? Qu'est-ce qu'un relais? (se reporter à l'étymologie de ce mot).

IV. — La grammaire. — Indiquez les mots de la même famille que duc, — archevêque; Distinguez les propositions contenues dans la phrase commençant par ces mots : Pendant qu'on attelait... (1er alinéa); Nature et fonction de chacun des mots suivants : dont la voiture vient de se briser.

Rédaction. — Montrez que ce récit a tout l'attrait d'aune petite comédie.

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