Le Cousin Pons (1846). Balzac
Publié le 21/06/2011
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Le héros de ce roman est un pauvre musicien, qui consacre toutes ses économies à acheter des objets d'art, et qui se trouve possesseur d'une collection. Les parents qui l'ont dédaigné se disputent, autour de son lit de mort, cette fortune artistique. — Nous citons ici le portrait du Cousin Pons. Or, en étudiera les, procédés, assez analogues à ceux de Saint-Simon. Balzac remarque d'abord ce qu'il y a de plus extérieur : physionomie, costume, allures. Puis il nous fait pénétrer peu cl, peu dans la psychologie du personnage.
Vers trois heures de l'après-midi, dans le mois d'octobre de l'année 1844, un homme âgé d'une soixantaine d'années, mais à qui tout le monde eût donné plus que son âge, allait le long du boulevard des Italiens, le nez à la piste, les lèvres papelardes, comme un négociant qui vient de conclure une excellente affaire. En conservant dans quelques détails de sa mise une fidélité quand même aux modes de l'an 1806, ce passant rappelait l'Empire sans être trop caricature. Pour les observateurs, cette finesse rend ces sortes d'évocations extrêmement précieuses. Mais cet ensemble de petites choses voulait l'attention analytique dont sont doués les connaisseurs en flânerie; et, pour exciter le rire à distance, le passant devait offrir une de ces énormités à crever les yeux, comme on dit que les acteurs en recherchent pour assurer le succès de leurs entrées. Ce vieillard sec et maigre, portait un spencer Le spencer fut inventé, comme son nom l'indique, par un lord sans doute vain de sa jolie taille. Avant la paix d'Amiens, cet Anglais avait résolu le problème de couvrir le buste sans assommer le corps par le poids de cet affreux carrick qui finit aujourd'hui sur le dos des vieux cochers de fiacre; mais comme les fines tailles sont en minorité, la mode du spencer pour l'homme n'eut en France qu'un succès passager, quoique ce fût une invention anglaise. A la vue du spencer, les gens de quarante à cinquante ans revêtaient par la pensée ce monsieur de bottes à revers, d'une culotte de casimir vert-pistache à noeud de rubans, et se revoyaient dans le costume de leur jeunesse !... Le chapeau mis en arrière découvrait presque tout le front, avec cette espèce de crânerie par laquelle les administrateurs et les pékins essayèrent alors de répondre à celle des militaires. C'était d'ailleurs un horrible chapeau de soie à quatorze francs, aux bords intérieurs duquel de hautes et larges oreilles imprimaient des marques blanchâtres, vainement combattues par la brosse. Le tissu de soie mal appliqué, comme toujours, sur le carton de la forme, se plissait en quelques endroits, et semblait être attaqué de lèpre, en dépit de la main qui le pansait tous les matins. Sous ce chapeau, qui paraissait. près de tomber, s'étendait une de ces figures falotes et drolatiques, comme les Chinois seuls en savent inventer pour leurs magots. Ce vaste visage percé comme une écumoire, où les trous produisaient des ombres, et refouillé comme un masque romain, démentait toutes les lois de l'anatomie. Le regard n'y sentait point la charpente. Là où le dessin voulait des os, la chair offrait des méplats gélatineux ; et là où les figures présentent ordinairement des creux, celle-là se contournait en bosses flasques. Cette face grotesque, écrasée en forme de potiron, attristée par des yeux gris surmontés de deux lignes rouges au lieu de sourcils, était commandée par un nez à la Don Quichotte, comme une plaine est dominée par un bloc erratique. Ce nez exprime, ainsi que Cervantès avait dû le remarquer, une disposition native à ce dévouement aux grandes choses qui dégénère en duperie. Cette laideur, poussée tout au comique, n'excitait cependant point le rire. La mélancolie excessive qui débordait par les yeux pâles de ce pauvre homme atteignait le moqueur et lui glaçait la moquerie sur les lèvres. On pensait aussitôt que la nature avait interdit à ce bonhomme d'exprimer la tendresse, sous peine de faire rire une femme ou de l'affliger. Le Français se tait devant ce malheur, qui lui paraît le plus cruel des malheurs : ne pouvoir plaire ! Ce vieillard singulier tenait de sa main droite un objet évidemment précieux, sous les deux basques gauches de son double habit, pour le garantir des chocs imprévus...
(Le Cousin Pons, I.)
QUESTIONS D'EXAMEN
I. — L'ensemble. — Nature du morceau : un portrait. — Portrait d'un vieillard amateur d'objets d'art. — Quels sont les traits les plus saillants du portrait? Rattachez à quelques-uns de ces traits saillants certains détails venant les accentuer [exemple : un visage percé comme une écumoire (trait saillant); les trous y produisaient des ombres (détail)...]; Le cousin Pons n'avait-il pas une manie? Quelle est la partie du morceau qui nous renseigne à cet égard? Quelle qualité essentielle suppose, chez un auteur, l'art de la description? Ne vous semble-t-il pas que Balzac fût doué de cette attention analytique, particulière aux « connaisseurs en flânerie «, et dont il parle au commencement du morceau?
II. — L'analyse du morceau. — Montrez l'ordre suivi par l'auteur dans le portrait du Cousin Pons (Il parle de l'âge du personnage, — de son allure, — de son costume, — de sa physionomie, du sentiment de mélancolie qu'annonçaient ses yeux, — de l'impression produite par lui sur les passants); Distinguez, dans le morceau, les parties se rapportant à ces différents points; Indiquez la part faite aux traits physiques, — la part faite aux traits moraux; Montrez que l'auteur a souvent recours à la comparaison (visage percé comme une écumoire... ; face écrasée en forme de potiron...) ; N'est-il pas, dans le morceau, une digression un peu longue? indiquez-la; Pourquoi la laideur, chez le Cousin Pons, n'excitait-elle pas le rire? Quel est pour le Français, d'après l'auteur, le plus cruel de tous les malheurs? III. — Le style; — les expressions. — Faites ressortir la précision et le pittoresque du style [ la précision : un vieillard sec et maigre...; un habit verdâtre à boutons de métal blanc...; — le pittoresque : (faire un choix de mots formant image; ces mots abondent, surtout dans la dernière partie du portrait) ]; Quel est le sens de chacune des expressions suivantes : lèvres papelardes, figures falotes, bloc erratique ? Commentez cette phrase : Le regard n'y sentait point la charpente; donnez la signification de chacun des mots suivants : carrick, casimir, magots; Quelle différence y a-t-il entre un pauvre homme et un homme pauvre ?
IV. — La grammaire. — A quel temps est chacun des verbes contenus dans le premier alinéa ? Indiquez le ou les compléments de chacun d'eux; Nature et fonction de chacun des mots suivants : mais à qui tout le monde...; Distinguez les propositions contenues dans la première phrase du quatrième alinéa.
Rédaction. — Faites, d'après le récit de Balzac, le portrait du Cousin Pons.
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