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Le Corricolo Neanmoins, je crus m'etre trompe un instant, et j'allais lui rendre mon estime en le voyant revenir a des sentimens plus pieux.

Publié le 11/04/2014

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Le Corricolo Neanmoins, je crus m'etre trompe un instant, et j'allais lui rendre mon estime en le voyant revenir a des sentimens plus pieux. Entre Portici et Resina, au point de jonction des deux chemins, dont l'un conduit a la Favorite, et l'autre descend a la mer, s'eleve une de ces petites chapelles, si frequentes en Italie, devant lesquelles les brigands eux-memes ne passent pas sans s'incliner. La fresque qui sert de tableau a la petite chapelle de Resina jouit a bon droit d'une immense reputation a dix lieues a la ronde. Ce sont des ames du purgatoire du plus beau vermillon, se tordant de douleur et d'angoisse dans des flammes si vives et si terribles, que, compare a leur intense ardeur, le feu du Vesuve n'est qu'un feu follet. A la vue du brasier surhumain, la raillerie expira sur les levres de Francesco; il porta machinalement la main a son chapeau, et jeta un long regard sur les deux chemins qui se terminaient a angle droit par la chapelle, comme s'il eut craint d'etre observe par quelqu'un. Mais ce bon mouvement, inspire soit par la peur, soit par le remords, ne dura que quelques secondes. Rassure par son inspection rapide, Francesco redoubla de gaite et d'aplomb, et, donnant un libre cours a ses moqueries et a ses sarcasmes, il se mit en devoir de me faire sa profession de foi, ou plutot d'incredulite, se vantant tout haut qu'il ne croyait ni au purgatoire, ni a l'enfer, ni a Dieu, ni au diable; et ajoutant, en forme de corollaire, que toutes ces momeries avaient ete inventees par les pretres, a l'effet de presser la bourse des pauvres gens assez simples et assez timides pour se fier a leurs promesses ou s'effrayer de leurs menaces. Francesco me rappelait etonnamment mon brave capitaine Langle. J'allais arreter ce debordement d'epigrammes emoussees et de bel-esprit de carrefour, lorsque Francesco, sautant legerement a terre, m'annonca que nous etions arrives. --Comment! deja? m'ecriai-je en oubliant mon sermon. --C'est-a-dire nous sommes arrives a la paroisse de Resina, au pied du Vesuve. Maintenant il ne reste plus qu'a monter. --Et comment monte-t-on au Vesuve? --Il y a trois manieres de monter: en chaise a porteurs, a quatre pattes et a ane. Vous avez le choix. --Ah! et laquelle de ces trois manieres te semble-t-elle preferable? --Dame! ca depend... Si vous vous decidez pour la chaise a porteurs, vous n'avez qu'a louer une de ces petites cages peintes que vous voyez la a votre gauche: montez dedans, fermez les yeux et vous laissez faire. Au bout de deux heures, on vous deposera sur le sommet de la montagne, mais... ---Mais quoi? --Avec la chaise, on a une chance de plus de se casser le cou; vous comprenez, excellence... quatre jambes glissent mieux que deux. --Allons, parlons d'autre chose. --Si vous grimpez a quatre pattes, il est clair qu'en vous aidant des pieds et des mains, vous risquez moins de rouler en bas, mais... --Encore, qu'y a-t-il? XXIV. Le Capucin de Resina. 168 Le Corricolo --Il y a, excellence, que vous vous ecorcherez les pieds sur la lave, et que vous vous brulerez les mains dans les cendres. --Reste l'ane. --C'est aussi ce que j'allais vous conseiller, vu la grande habitude qu'a cet animal de marcher a quatre pattes depuis sa creation, et la sage precaution qu'ont ses maitres de le chausser de fers tres solides; mais il y a aussi un petit inconvenient. --Lequel? repris-je impatiente de ces objections flegmatiques. --Voyez-vous ces braves gens, excellence? me dit Francesco, en me montrant du bout de son index un groupe de lazzaroni qui se tenaient sournoisement a l'ecart pendant notre entretien, guettant du coin de l'oeil le moment favorable pour fondre sur leur proie. --Eh bien? --Ces gens-la vous sont tous indispensables pour monter au Vesuve. Les guides vous montreront le chemin; les ciceroni vous expliqueront la nature du volcan; les paysans vous vendront leur baton ou vous loueront leur ane. Mais ce n'est pas tout que de louer un ane, il faut encore le faire marcher. --Comment, drole, tu crois que, quand j'aurai enfourche ma monture, et que je pourrai manier a mon aise un de ces bons batons de chene, que je guigne du coin de l'oeil, je ne viendrai pas a bout de faire marcher mon ane? --Pardon, excellence; ce n'est pas un reproche que je vous fais; mais vous aviez cru aussi pouvoir faire aller mes chevaux; et pourtant un cheval est bien moins entete qu'un ane!... --Quel sera donc ce prodigieux dompteur de betes que je dois appeler a mon secours? --Moi, excellence, si vous le permettez. Je vais recommander la voiture a Tonio, un ancien camarade, et je suis a vos ordres. --J'accepte, a la condition que tu me debarrasseras de tout ce monde. --Vous etes parfaitement libre de les laisser ici; seulement, que vous les ameniez ou non, il faudra toujours les payer. --Voyons, tache de t'arranger avec eux, et que je sois au moins delivre de leur presence. En moins d'un quart d'heure, Francesco fit si bien les choses, que le corricolo etait remise, que les chevaux se prelassaient a l'ecurie, que les lazzaroni avaient disparu, et que je montais sur mon ane. Tout cela me coutait deux piastres. Pauvre animal! il suffisait de le voir pour se convaincre qu'on l'avait indignement calomnie. Quand je me fus bien assure de la docilite de ma bete et de la solidite de mon baton, je voulus donner une petite lecon de savoir-vivre a mon impertinent conducteur, et j'appliquai un tel coup sur la croupe de ma monture, que je crus, pour le moins, qu'elle allait prendre le galop. L'ane s'arreta court; je redoublai, et il ne bougea pas plus que si, comme le chien de Cephale, il eut ete change en pierre. Je repetai mon avertissement de droite a gauche, comme je l'avais fait une premiere fois de gauche a droite. L'animal tourna sur lui-meme par un mouvement de rotation si rapide et si exact, qu'avant que j'eusse releve mon baton il etait retombe dans sa XXIV. Le Capucin de Resina. 169

« —Il y a, excellence, que vous vous ecorcherez les pieds sur la lave, et que vous vous brulerez les mains dans les cendres. —Reste l'ane. —C'est aussi ce que j'allais vous conseiller, vu la grande habitude qu'a cet animal de marcher a quatre pattes depuis sa creation, et la sage precaution qu'ont ses maitres de le chausser de fers tres solides; mais il y a aussi un petit inconvenient. —Lequel? repris-je impatiente de ces objections flegmatiques. —Voyez-vous ces braves gens, excellence? me dit Francesco, en me montrant du bout de son index un groupe de lazzaroni qui se tenaient sournoisement a l'ecart pendant notre entretien, guettant du coin de l'oeil le moment favorable pour fondre sur leur proie. —Eh bien? —Ces gens-la vous sont tous indispensables pour monter au Vesuve.

Les guides vous montreront le chemin; les ciceroni vous expliqueront la nature du volcan; les paysans vous vendront leur baton ou vous loueront leur ane.

Mais ce n'est pas tout que de louer un ane, il faut encore le faire marcher. —Comment, drole, tu crois que, quand j'aurai enfourche ma monture, et que je pourrai manier a mon aise un de ces bons batons de chene, que je guigne du coin de l'oeil, je ne viendrai pas a bout de faire marcher mon ane? —Pardon, excellence; ce n'est pas un reproche que je vous fais; mais vous aviez cru aussi pouvoir faire aller mes chevaux; et pourtant un cheval est bien moins entete qu'un ane!... —Quel sera donc ce prodigieux dompteur de betes que je dois appeler a mon secours? —Moi, excellence, si vous le permettez.

Je vais recommander la voiture a Tonio, un ancien camarade, et je suis a vos ordres. —J'accepte, a la condition que tu me debarrasseras de tout ce monde. —Vous etes parfaitement libre de les laisser ici; seulement, que vous les ameniez ou non, il faudra toujours les payer. —Voyons, tache de t'arranger avec eux, et que je sois au moins delivre de leur presence. En moins d'un quart d'heure, Francesco fit si bien les choses, que le corricolo etait remise, que les chevaux se prelassaient a l'ecurie, que les lazzaroni avaient disparu, et que je montais sur mon ane.

Tout cela me coutait deux piastres. Pauvre animal! il suffisait de le voir pour se convaincre qu'on l'avait indignement calomnie.

Quand je me fus bien assure de la docilite de ma bete et de la solidite de mon baton, je voulus donner une petite lecon de savoir-vivre a mon impertinent conducteur, et j'appliquai un tel coup sur la croupe de ma monture, que je crus, pour le moins, qu'elle allait prendre le galop.

L'ane s'arreta court; je redoublai, et il ne bougea pas plus que si, comme le chien de Cephale, il eut ete change en pierre.

Je repetai mon avertissement de droite a gauche, comme je l'avais fait une premiere fois de gauche a droite.

L'animal tourna sur lui-meme par un mouvement de rotation si rapide et si exact, qu'avant que j'eusse releve mon baton il etait retombe dans sa Le Corricolo XXIV.

Le Capucin de Resina.

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