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Le Corricolo La comtesse courut a une petite porte de degagement qui donnait de son cabinet de toilette dans le corridor, et descendit au jardin.

Publié le 11/04/2014

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Le Corricolo La comtesse courut a une petite porte de degagement qui donnait de son cabinet de toilette dans le corridor, et descendit au jardin. Au moment ou le domestique allait franchir la grille du parc, il rencontra la comtesse. --Ou allez-vous si tard, Giuseppe? demanda la comtesse. --Porter, de la part de M. le comte, cette lettre a la poste, repondit le domestique. Et en disant ces mots il tendit la lettre vers la comtesse; Lia jeta un coup d'oeil rapide sur l'adresse et lut: "A madame ----, poste restante, a Naples." --C'est bien, dit-elle. Allez. Le domestique partit au galop. Cette fois, il n'y avait plus de doute, c'etait bien a une femme qu'il ecrivait, a une femme qui cachait son nom sous un signe, a une femme qui, par consequent, voulait rester inconnue. Pourquoi ce mystere, s'il n'y avait pas en dessous quelque intrigue criminelle? Des lors le parti de la comtesse fut arrete. Elle resolut de dissimuler, afin d'epier son mari jusqu'au bout, et, avec une puissance dont elle se serait crue elle-meme incapable, elle rentra dans sa chambre, et, ouvrant la porte qui donnait dans l'appartement du comte, elle s'avanca vers Odoardo, le sourire sur les levres. Le lendemain, Odoardo avait completement oublie cette preoccupation qu'il avait remarquee la veille sur le visage de Lia, et qui l'avait un instant inquiete. Lia paraissait plus joyeuse et plus confiante dans l'avenir que jamais. Le lendemain etait un dimanche. La matinee de ce jour-la etait consacree par la comtesse a une grande distribution d'aumones. Aussi, des huit heures du matin, la grille du parc etait-elle encombree de pauvres. Apres le dejeuner, le comte, qui etait habitue a abandonner cette oeuvre de bienfaisance a sa femme, prit son fusil, sa carnassiere et son chien et s'en alla faire un tour dans la montagne. Lia monta au pavillon; elle vit Odoardo s'eloigner dans la direction d'Avellino. Cette fois, il n'allait donc pas a Naples. Elle respira. C'etait, depuis la veille, la premiere fois qu'elle se retrouvait seule avec elle-meme. Au bout d'un instant, sa femme de chambre vint lui dire que les pauvres l'attendaient. Lia descendit, prit une poignee de carlins et s'achemina vers la grille du parc. Chacun eut sa part: vieillards, femmes, enfans, chacun etendit vers la belle comtesse sa main vide et retira sa main enrichie d'une aumone. Au fur et a mesure que s'operait la distribution, ceux qui avaient recu se retiraient et faisaient place a d'autres. Il ne restait plus qu'une vieille femme assise sur une pierre, qui n'avait encore rien demande ni rien recu, et qui, comme si elle eut ete endormie, tenait sa tete sur ses deux genoux. Lia l'appela, elle ne repondit point; Lia fit quelques pas vers elle, la vieille resta immobile; enfin Lia lui toucha l'epaule, et elle leva la tete. --Tenez, ma bonne femme, dit la comtesse en lui presentant une petite piece d'argent, prenez et priez pour moi. DEUXIEME PARTIE. 202 Le Corricolo --Je ne demande pas l'aumone, dit la vieille femme, je dis la bonne aventure. Lia regarda alors celle qu'elle avait prise pour une pauvresse, et elle reconnut son erreur. En effet, ses vetemens, qui etaient ceux des paysannes de Solatra et d'Avellino, n'indiquaient pas precisement la misere; elle avait une jupe bleue bordee d'une espece de broderie grecque, un corsage de drap rouge, une serviette pliee sur le front a la maniere d'Aquila, un tablier autour duquel courait une arabesque, et de larges manches de toile grise par lesquelles sortaient ses bras nus. Sa tete, qui eut pu servir de modele a Schnetz pour prendre une de ces vieilles paysannes qu'il affectionne, etait pleine de caractere et semblait taillee dans un bloc de bistre. Les rides et les plis qui la sillonnaient etaient accuses avec tant de fermete, qu'ils semblaient creuses a l'aide du ciseau. Toute sa figure avait l'immobilite de la vieillesse. Ses yeux seuls vivaient et semblaient avoir le don de lire jusqu'au fond du coeur. Lia reconnut une de ces bohemiennes a qui leur vie errante a livre quelques uns des secrets de la nature et qui ont vieilli en speculant sur l'ignorance ou sur la curiosite. Lia avait toujours eu de la repugnance pour ces pretendus sorciers. Elle fit donc un pas pour s'eloigner. --Vous ne voulez donc pas que je vous dise votre bonne aventure, signora? reprit la vieille. --Non, dit Lia, car ma bonne aventure, a moi, pourrait bien, si elle etait vraie, n'etre qu'une sombre revelation. --L'homme est souvent plus presse de connaitre le mal qui le menace que le bien qui peut lui arriver, repondit la vieille. --Oui, tu as raison, dit Lia. Aussi, si je pouvais croire en ta science, je n'hesiterais pas a te consulter. --Que risquez-vous? reprit la vieille. Aux premieres paroles que je dirai, vous verrez bien si je mens. --Tu ne peux pas connaitre ce que je veux savoir, dit Lia. Ainsi ce serait inutile. --Peut-etre, dit la vieille. Essayez. Lia se sentait combattue par ce double principe dont, depuis la veille, elle avait plusieurs fois eprouve l'influence. Cette fois encore elle ceda a son mauvais genie, et se rapprochant de la vieille: --Eh bien! que faut-il que je fasse? demanda-t-elle. --Donnez-moi votre main, repondit la vieille. La comtesse ota son gant et tendit sa main blanche, que la vieille prit entre ses mains noires et ridees. C'etait un tableau tout compose que cette jeune, belle, elegante et aristocratique personne, debout, pale et immobile devant cette vieille paysanne aux vetemens grossiers, au teint brule par le soleil. --Que voulez-vous savoir? dit la bohemienne apres avoir examine les lignes de la main de la comtesse avec autant d'attention que si elle avait pu y lire aussi facilement que dans un livre. Dites, que voulez-vous savoir? le present, le passe ou l'avenir? La vieille prononca ces mots avec une telle confiance que Lia tressaillit; elle etait Italienne, c'est-a-dire superstitieuse; elle avait eu une nourrice calabraise, elle avait ete bercee par des histoires de stryges et de bohemiens. DEUXIEME PARTIE. 203

« —Je ne demande pas l'aumone, dit la vieille femme, je dis la bonne aventure. Lia regarda alors celle qu'elle avait prise pour une pauvresse, et elle reconnut son erreur. En effet, ses vetemens, qui etaient ceux des paysannes de Solatra et d'Avellino, n'indiquaient pas precisement la misere; elle avait une jupe bleue bordee d'une espece de broderie grecque, un corsage de drap rouge, une serviette pliee sur le front a la maniere d'Aquila, un tablier autour duquel courait une arabesque, et de larges manches de toile grise par lesquelles sortaient ses bras nus.

Sa tete, qui eut pu servir de modele a Schnetz pour prendre une de ces vieilles paysannes qu'il affectionne, etait pleine de caractere et semblait taillee dans un bloc de bistre.

Les rides et les plis qui la sillonnaient etaient accuses avec tant de fermete, qu'ils semblaient creuses a l'aide du ciseau.

Toute sa figure avait l'immobilite de la vieillesse.

Ses yeux seuls vivaient et semblaient avoir le don de lire jusqu'au fond du coeur. Lia reconnut une de ces bohemiennes a qui leur vie errante a livre quelques uns des secrets de la nature et qui ont vieilli en speculant sur l'ignorance ou sur la curiosite.

Lia avait toujours eu de la repugnance pour ces pretendus sorciers.

Elle fit donc un pas pour s'eloigner. —Vous ne voulez donc pas que je vous dise votre bonne aventure, signora? reprit la vieille. —Non, dit Lia, car ma bonne aventure, a moi, pourrait bien, si elle etait vraie, n'etre qu'une sombre revelation. —L'homme est souvent plus presse de connaitre le mal qui le menace que le bien qui peut lui arriver, repondit la vieille. —Oui, tu as raison, dit Lia.

Aussi, si je pouvais croire en ta science, je n'hesiterais pas a te consulter. —Que risquez-vous? reprit la vieille.

Aux premieres paroles que je dirai, vous verrez bien si je mens. —Tu ne peux pas connaitre ce que je veux savoir, dit Lia.

Ainsi ce serait inutile. —Peut-etre, dit la vieille.

Essayez. Lia se sentait combattue par ce double principe dont, depuis la veille, elle avait plusieurs fois eprouve l'influence.

Cette fois encore elle ceda a son mauvais genie, et se rapprochant de la vieille: —Eh bien! que faut-il que je fasse? demanda-t-elle. —Donnez-moi votre main, repondit la vieille. La comtesse ota son gant et tendit sa main blanche, que la vieille prit entre ses mains noires et ridees.

C'etait un tableau tout compose que cette jeune, belle, elegante et aristocratique personne, debout, pale et immobile devant cette vieille paysanne aux vetemens grossiers, au teint brule par le soleil. —Que voulez-vous savoir? dit la bohemienne apres avoir examine les lignes de la main de la comtesse avec autant d'attention que si elle avait pu y lire aussi facilement que dans un livre.

Dites, que voulez-vous savoir? le present, le passe ou l'avenir? La vieille prononca ces mots avec une telle confiance que Lia tressaillit; elle etait Italienne, c'est-a-dire superstitieuse; elle avait eu une nourrice calabraise, elle avait ete bercee par des histoires de stryges et de bohemiens.

Le Corricolo DEUXIEME PARTIE.

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