Devoir de Philosophie

Le Corricolo Il n'y eut qu'une voix parmi les spectateurs.

Publié le 11/04/2014

Extrait du document

Le Corricolo Il n'y eut qu'une voix parmi les spectateurs. --Oui, repondirent-ils tous ensemble; oui, certes, parfaitement bien. --En ce cas, reprit Auguste, battez des mains en preuve que vous etes contens. Les spectateurs applaudirent, et, au bruit de leurs applaudissemens, Auguste se laissa aller doucement sur son oreiller. Le comedien couronne etait mort. Voila l'homme qui protegea vingt ans Virgile; voila le prince a la table duquel il s'assit une fois par semaine avec Horace, Mecene, Salluste, Pollion et Agrippa; voila le dieu qui lui fit ce doux repos vante par Tityre, et en reconnaissance duquel l'amant d'Amaryllis promet de faire couler incessamment le sang de ses agneaux. En effet, le talent doux, gracieux et melancolique du cygne de Mantoue devait plaire essentiellement au collegue d'Antoine et de Lepide. Robespierre, cet autre Octave d'un autre temps, ce proscripteur en perruque poudree a la marechale, en gilet de basin et en habit bleu-barbeau, a qui heureusement ou malheureusement (la question n'est pas encore jugee) on n'a point laisse le temps de se montrer sous sa double face, adorait les Lettres a Emilie sur la mythologie, les Poesies du cardinal de Bernis et les Gaillardises du chevalier de Boufflers; les lambes de Barbier lui eussent donne des syncopes, et les drames d'Hugo des attaques de nerfs. C'est que, quoi qu'on en ait dit, la litterature n'est jamais l'expression de l'epoque, mais tout au contraire, et si l'on peut se servir de ce mot, sa palidonie. Au milieu des grandes debauches de la regence et de Louis XV, qu'applaudit-on au theatre? Les petits drames musques de Marivaux. Au milieu des sanglantes orgies de la revolution, quels sont les poetes a la mode? Colin-d'Harleville, Demoustier, Fabre-d'Eglantine, Legouve et le chevalier de Bertin. Pendant cette grande ere napoleonienne, quelles sont les etoiles qui scintillent au ciel imperial? M. de Fontanes, Picard, Andrieux, Baour-Lormian, Luce de Lancival, Parny. Chateaubriand passe pour un reveur, et Lemercier pour un fou; on raille le Genie du christianisme, on siffle Pinto. C'est que l'homme est fait pour deux existences simultanees, l'une positive et materielle, l'autre intellectuelle et ideale. Quand sa vie materielle est calme, sa vie ideale a besoin d'agitation; quand sa vie positive est agitee, sa vie intellectuelle a besoin de repos. Si toute la journee on a vu passer les charrettes des proscripteurs, que ces proscripteurs s'appellent Sylla ou Cromwell, Octave ou Robespierre, on a besoin le soir de sensations douces qui fassent oublier les emotions terribles de la matinee. C'est le flacon parfume que les femmes romaines respiraient en sortant du cirque; c'est la couronne de roses que Neron se faisait apporter apres avoir vu bruler Rome. Si, au contraire, la journee s'est passee dans une longue paix, il faut a notre coeur, qui craint de s'engourdir dans une languissante tranquillite, des emotions factices pour remplacer les emotions reelles, des douleurs imaginaires pour tenir lieu des souffrances positives. Ainsi, apres cette supreme bataille de Philippes, ou le genie republicain vient de succomber sous le geant imperial; apres cette lutte d'Hercule et d'Antee qui a ebranle le monde, que fait Virgile? Il polit sa premiere eglogue. Quelle grande pensee le poursuit dans ce grand bouleversement? Celle de pauvres bergers qui, ne pouvant payer les contributions successivement imposees par Brutus et par Cesar, sont obliges de quitter leurs doux champs et leur belle patrie: Nos patriae fines et dulcia linquimus arva; Nos patriam fugimus. De pauvres colons qui emigrent, les uns chez l'Africain brule, les autres dans la froide Scythie. III. Le Tombeau de Virgile. 226 Le Corricolo At nos hinc alii sitientes ibimus Afros; Pars Scythiam... Celle de pauvres pasteurs enfin, pleurant, non pas la liberte perdue, non pas les lares d'argile faisant place aux penates d'or, non pas la sainte pudeur republicaine se voilant le front a la vue des futures debauches imperiales dont Cesar a donne le prospectus; mais qui regrettent de ne plus chanter, couches dans un antre vert, en regardant leurs chevres vagabondes brouter le cytise fleuri et l'amer feuillage du saule. ... Viridi projectus in antro. ............................... Carmina nulla canam; non, me pascente, capellae, Florentem cytisum et salices carpetis amaras. Mais peut-etre est-ce une preoccupation du poete, peut-etre cette imagination qu'on a appelee la Folle du logis, et qu'on devrait bien plutot nommer la Maitresse de la maison, etait-elle momentanement tournee aux douleurs champetres et aux plaintes bucoliques; peut-etre les grands evenemens qui vont se succeder vont-ils arracher le poete a ses preoccupations bocageres. Voici venir Actium; voici l'Orient qui se souleve une fois encore contre l'Occident; voici le naturalisme et le spiritualisme aux prises; voici le jour enfin qui decidera entre le polytheisme et le christianisme. Que fait Virgile, que fait l'ami du vainqueur, que fait le prince des poetes latins? Il chante le pasteur Aristee, il chante des abeilles perdues, il chante une mere consolant son fils de ce que ses ruches sont desertes, et n'ayant rien de plus a demander a Apollon, comment avec le sang d'un taureau on peut faire de nouveaux essaims. Et que l'on ne croie pas que nous cotons au hasard et que nous prenons une epoque pour une autre, car Virgile, comme s'il craignait qu'on ne l'accusat de se meler des choses publiques autrement que pour louer Cesar, prend lui-meme le soin de nous dire a quelle epoque il chante. C'est lorsque Cesar pousse la gloire de ses armes jusqu'a l'Euphrate. .... Caesar dum magnus ad altum Fulminat Euphraten bello, victorque volentes Per populos dat jura, viamque affectat Olympo. Mais aussi que Cesar ferme le temple de Janus, qu'Auguste pour la seconde fois rende la paix au monde, alors Virgile devient belliqueux; alors le poete bucolique embouche la trompette guerriere, alors le chantre de Palemon et d'Aristee va dire les combats du heros qui, parti des bords de Troie, toucha le premier les rives de l'Italie; il racontera Hector traine neuf fois par Achille autour des murs de Pergame, qu'il enveloppe neuf fois d'un sillon de sang; il montrera le vieux Priam egorge a la vue de ses filles, et tombant au pied de l'autel domestique en maudissant ses divinites impuissantes qui n'ont su proteger ni le royaume ni le roi. Et autant Auguste l'a aime pour ses chants pacifiques pendant la guerre, autant il l'aimera pour ses chants belliqueux pendant la paix. Ainsi, quand Virgile mourra a Brindes, Auguste ordonnera-t-il en pleurant que ses cendres soient transportees a Naples, dont il savait que son poete favori avait affectionne le sejour. Peut-etre meme Auguste etait-il venu dans ce tombeau, ou je venais a mon tour, et s'etait-il adosse a ce meme endroit ou, adosse moi-meme, je venais de voir passer devant mes yeux toute cette gigantesque histoire. Et voila cependant l'illusion qu'un malheureux savant voulait m'enlever en me disant que ce n'etait peut-etre pas la le tombeau de Virgile! III. Le Tombeau de Virgile. 227

« At nos hinc alii sitientes ibimus Afros; Pars Scythiam... Celle de pauvres pasteurs enfin, pleurant, non pas la liberte perdue, non pas les lares d'argile faisant place aux penates d'or, non pas la sainte pudeur republicaine se voilant le front a la vue des futures debauches imperiales dont Cesar a donne le prospectus; mais qui regrettent de ne plus chanter, couches dans un antre vert, en regardant leurs chevres vagabondes brouter le cytise fleuri et l'amer feuillage du saule. ...

Viridi projectus in antro. ............................... Carmina nulla canam; non, me pascente, capellae, Florentem cytisum et salices carpetis amaras. Mais peut-etre est-ce une preoccupation du poete, peut-etre cette imagination qu'on a appelee la Folle du logis, et qu'on devrait bien plutot nommer la Maitresse de la maison, etait-elle momentanement tournee aux douleurs champetres et aux plaintes bucoliques; peut-etre les grands evenemens qui vont se succeder vont-ils arracher le poete a ses preoccupations bocageres.

Voici venir Actium; voici l'Orient qui se souleve une fois encore contre l'Occident; voici le naturalisme et le spiritualisme aux prises; voici le jour enfin qui decidera entre le polytheisme et le christianisme.

Que fait Virgile, que fait l'ami du vainqueur, que fait le prince des poetes latins? Il chante le pasteur Aristee, il chante des abeilles perdues, il chante une mere consolant son fils de ce que ses ruches sont desertes, et n'ayant rien de plus a demander a Apollon, comment avec le sang d'un taureau on peut faire de nouveaux essaims. Et que l'on ne croie pas que nous cotons au hasard et que nous prenons une epoque pour une autre, car Virgile, comme s'il craignait qu'on ne l'accusat de se meler des choses publiques autrement que pour louer Cesar, prend lui-meme le soin de nous dire a quelle epoque il chante.

C'est lorsque Cesar pousse la gloire de ses armes jusqu'a l'Euphrate. ....

Caesar dum magnus ad altum Fulminat Euphraten bello, victorque volentes Per populos dat jura, viamque affectat Olympo. Mais aussi que Cesar ferme le temple de Janus, qu'Auguste pour la seconde fois rende la paix au monde, alors Virgile devient belliqueux; alors le poete bucolique embouche la trompette guerriere, alors le chantre de Palemon et d'Aristee va dire les combats du heros qui, parti des bords de Troie, toucha le premier les rives de l'Italie; il racontera Hector traine neuf fois par Achille autour des murs de Pergame, qu'il enveloppe neuf fois d'un sillon de sang; il montrera le vieux Priam egorge a la vue de ses filles, et tombant au pied de l'autel domestique en maudissant ses divinites impuissantes qui n'ont su proteger ni le royaume ni le roi. Et autant Auguste l'a aime pour ses chants pacifiques pendant la guerre, autant il l'aimera pour ses chants belliqueux pendant la paix. Ainsi, quand Virgile mourra a Brindes, Auguste ordonnera-t-il en pleurant que ses cendres soient transportees a Naples, dont il savait que son poete favori avait affectionne le sejour. Peut-etre meme Auguste etait-il venu dans ce tombeau, ou je venais a mon tour, et s'etait-il adosse a ce meme endroit ou, adosse moi-meme, je venais de voir passer devant mes yeux toute cette gigantesque histoire. Et voila cependant l'illusion qu'un malheureux savant voulait m'enlever en me disant que ce n'etait peut-etre pas la le tombeau de Virgile! Le Corricolo III.

Le Tombeau de Virgile.

227. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles