Le Corricolo C'etait a desesperer un saint: aussi le pauvre garcon
Publié le 11/04/2014
Extrait du document
«
details, cette ligne de sa plus imperceptible ecriture:
M.
de Soval sera nomme marquis.
Mais l'instinct a des yeux de lynx; Sa Majeste napolitaine, qui, comme on le sait, avait la haine des rapports,
memoires, lettres, etc., et qui signait ordinairement tout ce qu'on lui presentait sans rien lire, flaira, dans
l'arrete des comptes que lui presentait son amie la Grande-Bretagne, une odeur de roture qui lui monta au
cerveau.
Il chercha d'ou la chose pouvait venir, et comme un limier ferme sur sa piste, il arriva droit a l'article
concernant le pauvre Soval.
Malheureusement, cette fois, il n'y avait pas moyen de refuser; mais Ferdinand voulut, puisqu'on le violentait,
que la nomination meme du futur marquis portat avec elle protestation de la violence.
En consequence, au
dessous du mot accorde, il ecrivit de sa propre main:
Mais uniquement pour donner une preuve de la grande consideration que le roi de Naples a pour son haut et
puissant allie le roi de la Grande-Bretagne.
Puis il signa, cette fois-ci, non pas avec sa griffe, mais avec sa plume; ce qui fit que, grace au tremblement
dont sa main etait agitee, la signature du titre est a peu pres indechiffrable.
N'importe, lisible ou non, la signature etait donnee, et Soval etait enfinmarquis de Soval.
Le fils du pauvre fermier Neodad pensa devenir fou de joie a cette nouvelle; peu s'en fallut qu'il ne courut en
chemise dans les rues de Naples, comme deux mille ans auparavant son compatriote Archimede avait fait dans
les rues de Syracuse.
Quiconque se trouva sur son chemin pendant les trois premiers jours fut embrasse sans
misericorde.
Il n'y avait plus pour le bienheureux Soval ni ami ni ennemi: il portait la creation tout entiere
dans son coeur.
Comme Jacob Ortis, il eut voulu repandre des fleurs sur la tete de tous les hommes.
A son avis, il n'avait plus rien a desirer; il n'avait, pensait-il, qu'a se presenter avec son nouveau titre a toutes
les portes de Naples, et toutes les portes lui seraient ouvertes.
Toutes les portes lui furent ouvertes,
effectivement, excepte une seule.
Cette porte etait celle du palais royal, a laquelle le malheureux frappait
depuis vingt ans.
Heureusement le marquis de Soval, comme on a pu s'en apercevoir dans le cours de cette narration, n'etait pas
facile a rebuter; il mit le nouvel affront qu'il venait de recevoir pres des vieux affronts qu'il avait recus, et se
creusa la tete pour trouver un moyen d'entrer, ne fut-ce qu'une seule fois en sa vie, dans ce bienheureux
palais, qui etait l'Eden aristocratique auquel il avait eternellement vise.
Le carnaval de l'an de grace 1816 sembla arriver tout expres pour lui fournir cette occasion.
Le nouveau
marquis, qui, grace a la faveur toute particuliere dont l'honorait la reine, s'etait lie avec ce qu'il y avait de
mieux dans l'aristocratie des deux royaumes, proposa a plusieurs jeunes gens de Naples et de Palerme
d'executer un carrousel sous les fenetres du palais royal.
La proposition eut le plus grand succes, et celui qui
avait eu l'idee du divertissement recut mission de l'organiser.
Le carrousel fut splendide; chacun avait fait assaut de magnificence, tout Naples voulut le voir.
Il n'y eut
qu'une seule personne qu'on ne put jamais determiner a s'approcher de son balcon: cette personne c'etait le roi.
Sa Majeste napolitaine avait appris que le directeur de l'oeuvre choregraphique en question etait le marquis de
Soval, et il n'avait pas voulu voir le carrousel afin de ne pas voir le marquis.
Le Corricolo
XIII.
La Bete noire du roi Nasone.
95.
»
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