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Le Corricolo C'etait a desesperer un saint: aussi le pauvre garcon

Publié le 11/04/2014

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Le Corricolo C'etait a desesperer un saint: aussi le pauvre garcon se desespera tout de bon, et, un beau jour que la reine venait de lui porter une nouvelle rebuffade qu'elle avait recue du roi, il resolut de partir a la maniere des chevaliers errans, et de chercher a accomplir de par le monde quelque grande action qui forcat le roi a lui donner une recompense eclatante. Ce fut vers 1808 que le nouveau don Quichotte se mit a chercher aventure. A cette epoque, il n'y avait pas besoin d'aller bien loin pour en trouver: aussi, a son arrivee a Venise, le pauvre de Soval crut-il enfin avoir rencontre ce qu'il cherchait. Il y avait a cette epoque a Venise une madame S----, Allemande de naissance, mais belle-soeur d'un des plus illustres amiraux de la marine anglaise. Cette dame etait prisonniere dans sa maison, gardee a vue, et conservee par le gouvernement francais comme un precieux otage. Le jeune Soval vit dans cette circonstance l'aventure qu'il cherchait, et resolut de tenter l'entreprise. Ce n'etait pas chose facile, si adroit, si souple et si retors que fut le paladin; Napoleon etait a cette epoque un geant assez difficile a vaincre, et un enchanteur assez rebelle a endormir. Cependant notre heros avait une telle habitude des portes derobees, qu'a force de tourner autour de la maison de madame S----, il en apercut une qui donnait sur un des mille petits canaux qui sillonnent Venise. Trois jours apres, madame S----et lui sortaient par cette porte; le lendemain, ils etaient a Trieste; trois jours apres, a Vienne; quinze jours apres, en Sicile. Comme on doit se le rappeler, c'etait en Sicile que se trouvait la cour a cette epoque; Joseph Napoleon etant monte en 1806 sur le trone de Naples. Le chevalier errant se presenta hardiment a la reine. Cette foi, il ne doutait plus que cette grande porte, si longtemps fermee pour lui, ne s'ouvrit a deux battans. La reine elle-meme en eut un instant l'esperance. En effet, son protege venait d'enlever une prisonniere d'Etat aux Francais; cette prisonniere d'Etat appartenait a l'aristocratie d'Allemagne et etait alliee a celle d'Angleterre. La reine se hasarda a demander au roi le titre de marquis pour son liberateur. Malheureusement, le roi etait en ce moment-la de tres mauvaise humeur. Il recut donc la reine de fort mauvaise grace, et, au premier mot qu'elle dit de son ambassade, il l'envoya promener avec plus de vehemence qu'il n'avait l'habitude de le faire en pareille occasion. Cette fois, la bourrade avait ete si violente que Caroline exprima tous ses regrets a son protege, mais lui declara que c'etait la derniere negociation de ce genre qu'elle tenterait pres de son auguste epoux, et que s'il se sentait decidement une vocation invincible a etre marquis, elle l'invitait a trouver quelque autre canal plus sur que le sien pour arriver a son marquisat. Il n'y avait rien a dire: la reine avait fait tout ce qu'elle avait pu. Le pauvre Soval ne lui conserva donc aucun ressentiment de son echec; bien au contraire, il continua de lui rendre ses services habituels: seulement cette fois il partagea son temps entre elle et l'ambassadeur d'Angleterre. L'ambassadeur d'Angleterre etait, a cette epoque, une grande puissance en Sicile, et Soval esperait obtenir par lui ce qu'il n'avait pu obtenir par la reine. La reine, de son cote, ne fut point jalouse de n'occuper plus que la moitie du temps de son protege; on pretendit meme que ce fut elle qui lui donna le conseil d'en agir ainsi. Cependant, malgre ce redoublement de besogne et ce surcroit de devoument, l'aspirant marquis etait encore bien loin du but tant desire; six ans s'ecoulerent sans que sir W. A'Court, ambassadeur d'Angleterre, put rien obtenir du souverain pres duquel il etait accredite. Enfin 1815 arriva. Ce fut l'epoque de la seconde restauration: l'Angleterre en avait fait les depenses; or, l'Angleterre ne fait rien pour rien, comme chacun sait; en consequence, des que Ferdinand fut rentre dans sa tres fidele ville de Naples, qui a conserve ce titre malgre ses vingt-six revoltes tant contre ses vice-rois que ses rois, l'Angleterre presenta ses comptes par l'organe de son ambassadeur. Sir W. A'Court profita de cette occasion, et a l'article des titres, cordons et faveurs, il glissa, esperant que l'ensemble seul frapperait le roi et qu'il negligerait les XIII. La Bete noire du roi Nasone. 94 Le Corricolo details, cette ligne de sa plus imperceptible ecriture: M. de Soval sera nomme marquis. Mais l'instinct a des yeux de lynx; Sa Majeste napolitaine, qui, comme on le sait, avait la haine des rapports, memoires, lettres, etc., et qui signait ordinairement tout ce qu'on lui presentait sans rien lire, flaira, dans l'arrete des comptes que lui presentait son amie la Grande-Bretagne, une odeur de roture qui lui monta au cerveau. Il chercha d'ou la chose pouvait venir, et comme un limier ferme sur sa piste, il arriva droit a l'article concernant le pauvre Soval. Malheureusement, cette fois, il n'y avait pas moyen de refuser; mais Ferdinand voulut, puisqu'on le violentait, que la nomination meme du futur marquis portat avec elle protestation de la violence. En consequence, au dessous du mot accorde, il ecrivit de sa propre main: "Mais uniquement pour donner une preuve de la grande consideration que le roi de Naples a pour son haut et puissant allie le roi de la Grande-Bretagne." Puis il signa, cette fois-ci, non pas avec sa griffe, mais avec sa plume; ce qui fit que, grace au tremblement dont sa main etait agitee, la signature du titre est a peu pres indechiffrable. N'importe, lisible ou non, la signature etait donnee, et Soval etait enfin--marquis de Soval. Le fils du pauvre fermier Neodad pensa devenir fou de joie a cette nouvelle; peu s'en fallut qu'il ne courut en chemise dans les rues de Naples, comme deux mille ans auparavant son compatriote Archimede avait fait dans les rues de Syracuse. Quiconque se trouva sur son chemin pendant les trois premiers jours fut embrasse sans misericorde. Il n'y avait plus pour le bienheureux Soval ni ami ni ennemi: il portait la creation tout entiere dans son coeur. Comme Jacob Ortis, il eut voulu repandre des fleurs sur la tete de tous les hommes. A son avis, il n'avait plus rien a desirer; il n'avait, pensait-il, qu'a se presenter avec son nouveau titre a toutes les portes de Naples, et toutes les portes lui seraient ouvertes. Toutes les portes lui furent ouvertes, effectivement, excepte une seule. Cette porte etait celle du palais royal, a laquelle le malheureux frappait depuis vingt ans. Heureusement le marquis de Soval, comme on a pu s'en apercevoir dans le cours de cette narration, n'etait pas facile a rebuter; il mit le nouvel affront qu'il venait de recevoir pres des vieux affronts qu'il avait recus, et se creusa la tete pour trouver un moyen d'entrer, ne fut-ce qu'une seule fois en sa vie, dans ce bienheureux palais, qui etait l'Eden aristocratique auquel il avait eternellement vise. Le carnaval de l'an de grace 1816 sembla arriver tout expres pour lui fournir cette occasion. Le nouveau marquis, qui, grace a la faveur toute particuliere dont l'honorait la reine, s'etait lie avec ce qu'il y avait de mieux dans l'aristocratie des deux royaumes, proposa a plusieurs jeunes gens de Naples et de Palerme d'executer un carrousel sous les fenetres du palais royal. La proposition eut le plus grand succes, et celui qui avait eu l'idee du divertissement recut mission de l'organiser. Le carrousel fut splendide; chacun avait fait assaut de magnificence, tout Naples voulut le voir. Il n'y eut qu'une seule personne qu'on ne put jamais determiner a s'approcher de son balcon: cette personne c'etait le roi. Sa Majeste napolitaine avait appris que le directeur de l'oeuvre choregraphique en question etait le marquis de Soval, et il n'avait pas voulu voir le carrousel afin de ne pas voir le marquis. XIII. La Bete noire du roi Nasone. 95

« details, cette ligne de sa plus imperceptible ecriture: M.

de Soval sera nomme marquis. Mais l'instinct a des yeux de lynx; Sa Majeste napolitaine, qui, comme on le sait, avait la haine des rapports, memoires, lettres, etc., et qui signait ordinairement tout ce qu'on lui presentait sans rien lire, flaira, dans l'arrete des comptes que lui presentait son amie la Grande-Bretagne, une odeur de roture qui lui monta au cerveau.

Il chercha d'ou la chose pouvait venir, et comme un limier ferme sur sa piste, il arriva droit a l'article concernant le pauvre Soval. Malheureusement, cette fois, il n'y avait pas moyen de refuser; mais Ferdinand voulut, puisqu'on le violentait, que la nomination meme du futur marquis portat avec elle protestation de la violence.

En consequence, au dessous du mot accorde, il ecrivit de sa propre main: “Mais uniquement pour donner une preuve de la grande consideration que le roi de Naples a pour son haut et puissant allie le roi de la Grande-Bretagne.” Puis il signa, cette fois-ci, non pas avec sa griffe, mais avec sa plume; ce qui fit que, grace au tremblement dont sa main etait agitee, la signature du titre est a peu pres indechiffrable. N'importe, lisible ou non, la signature etait donnee, et Soval etait enfin—marquis de Soval. Le fils du pauvre fermier Neodad pensa devenir fou de joie a cette nouvelle; peu s'en fallut qu'il ne courut en chemise dans les rues de Naples, comme deux mille ans auparavant son compatriote Archimede avait fait dans les rues de Syracuse.

Quiconque se trouva sur son chemin pendant les trois premiers jours fut embrasse sans misericorde.

Il n'y avait plus pour le bienheureux Soval ni ami ni ennemi: il portait la creation tout entiere dans son coeur.

Comme Jacob Ortis, il eut voulu repandre des fleurs sur la tete de tous les hommes. A son avis, il n'avait plus rien a desirer; il n'avait, pensait-il, qu'a se presenter avec son nouveau titre a toutes les portes de Naples, et toutes les portes lui seraient ouvertes.

Toutes les portes lui furent ouvertes, effectivement, excepte une seule.

Cette porte etait celle du palais royal, a laquelle le malheureux frappait depuis vingt ans. Heureusement le marquis de Soval, comme on a pu s'en apercevoir dans le cours de cette narration, n'etait pas facile a rebuter; il mit le nouvel affront qu'il venait de recevoir pres des vieux affronts qu'il avait recus, et se creusa la tete pour trouver un moyen d'entrer, ne fut-ce qu'une seule fois en sa vie, dans ce bienheureux palais, qui etait l'Eden aristocratique auquel il avait eternellement vise. Le carnaval de l'an de grace 1816 sembla arriver tout expres pour lui fournir cette occasion.

Le nouveau marquis, qui, grace a la faveur toute particuliere dont l'honorait la reine, s'etait lie avec ce qu'il y avait de mieux dans l'aristocratie des deux royaumes, proposa a plusieurs jeunes gens de Naples et de Palerme d'executer un carrousel sous les fenetres du palais royal.

La proposition eut le plus grand succes, et celui qui avait eu l'idee du divertissement recut mission de l'organiser. Le carrousel fut splendide; chacun avait fait assaut de magnificence, tout Naples voulut le voir.

Il n'y eut qu'une seule personne qu'on ne put jamais determiner a s'approcher de son balcon: cette personne c'etait le roi. Sa Majeste napolitaine avait appris que le directeur de l'oeuvre choregraphique en question etait le marquis de Soval, et il n'avait pas voulu voir le carrousel afin de ne pas voir le marquis.

Le Corricolo XIII.

La Bete noire du roi Nasone.

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