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      LE BRISEUR DE GRÈVE (STRIKEBREAKER)        Elvis Blei frotta l'une contre l'autre ses mains grasses et dit : -- L'autonomie, il n'y a que ça de vrai.

Publié le 15/12/2013

Extrait du document

      LE BRISEUR DE GRÈVE (STRIKEBREAKER)        Elvis Blei frotta l'une contre l'autre ses mains grasses et dit : -- L'autonomie, il n'y a que ça de vrai. Il sourit avec un peu de gêne, en donnant du feu à Steven Lamorak de la Terre. Toute sa figure lisse aux etits yeux très écartés exprimait le malaise. Lamorak tira une bouffée de fumée, qu'il apprécia, et croisa ses longues jambes maigres. Ses cheveux taient parsemés de gris et il avait une forte et puissante mâchoire. -- Cultivé ici ? demanda-t-il, jetant un oeil critique sur la cigarette, en s'efforçant de masquer son propre trouble, causé par la tension de l'autre. -- Tout à fait, répondit Blei. -- Je me demande comment vous trouvez la place, sur votre petit monde, pour de tels produits de luxe. (Lamorak songeait à son premier aperçu d'Elsevere, par le visipanneau du vaisseau spatial. C'était un planétoïde déchiqueté, sans atmosphère, d'environ cent cinquante kilomètres de diamètre, rien qu'un bout de rocher gris poussière, brillant faiblement à la lumière de son soleil, éloigné de trois cent vingt millions de kilomètres. C'était le seul objet de plus de deux kilomètres de diamètre à tourner autour de ce soleil, et voilà que des hommes s'étaient terrés dans ce monde en miniature et avaient créé une société. Et lui-même, sociologue, était venu étudier la planète et voir comment l'humanité s'était adaptée à cette niche bizarrement spécialisée. Le sourire poli et fixe de Blei s'élargit d'un pouce. -- Nous ne sommes pas un petit monde, docteur Lamorak. Vous nous jugez selon des normes bidimensionnelles. La surface d'Elsevere ne couvrirait que les trois quarts de l'Etat de New York, mais là n'est pas la question. Souvenez-vous que nous pouvons occuper, si nous le voulons, tout l'intérieur d'Elsevere. Une sphère de 80 kilomètres de rayon a un volume de bien plus d'un million de kilomètres cubes. Si tout Elsevere était occupée par des niveaux séparés de quinze mètres, la surface totale à l'intérieur du planétoïde serait de 145 millions de kilomètres carrés, ce qui équivaut au total de la surface des continents sur Terre. Et aucun de ces kilomètres carrés, docteur, ne serait improductif. -- Dieu de Dieu ! souffla Lamorak. (Et il regarda dans le vague pendant un moment.) Oui, vous avez raison, naturellement. Bizarre que je n'y aie jamais pensé. Mais aussi, Elsevere est le seul planétoïde totalement exploité de la Galaxie. Et nous ne pouvons nous retenir de penser, comme vous le dites, en termes bi-dimensionnels. Allons, je suis infiniment heureux que votre Conseil ait eu l'obligeance de me laisser carte blanche pour mon enquête. Blei hocha convulsivement la tête. Lamorak fronça légèrement les sourcils et pensa : Il se conduit comme s'il souhaitait que je ne sois pas venu. Il y a quelque chose qui ne va pas. -- Naturellement, dit Blei, vous comprenez que nous sommes en réalité un monde bien plus petit que ce que nous pourrions être ; seules des parties mineures d'Elsevere ont été creusées et occupées. Et nous ne sommes pas particulièrement pressés de prendre de l'expansion. Nous pensons, au contraire, le faire très lentement. Dans une certaine mesure, nous sommes limités par la capacité de nos moteurs de pseudo-gravité, et par les convertisseurs d'énergie solaire. -- Je comprends. Mais dites-moi, conseiller Blei, est-ce qu'il me serait possible - par pure curiosité ersonnelle, et pas parce que c'est d'une grande importance pour mon projet - de voir d'abord quelques-uns de os niveaux de culture et d'élevage ? Je suis fasciné par l'idée de champs de blé et de troupeaux de vaches à 'intérieur d'un planétoïde. -- Vous trouverez notre cheptel bien mince, par rapport à vos chiffres, docteur, et nous n'avons pas eaucoup de blé. Nous cultivons davantage la levure. Mais je vous montrerai du blé. Et aussi du coton et du abac. Même des arbres fruitiers. -- Admirable ! Comme vous disiez, l'autonomie. Vous recyclez tout, j'imagine. La réaction que provoqua, chez Blei, cette dernière réflexion ne put échapper au regard aigu de Lamorak. Les yeux de l'Elseverien se voilèrent et cachèrent son expression. -- Nous devons tout remettre en circulation, oui, dit-il. L'air, l'eau, l'alimentation, les minéraux - tout ce qui est consommé doit être restauré à son état originel ; les déchets sont reconvertis en matières premières. Il suffit pour cela d'avoir de l'énergie et nous n'en manquons pas. Nous ne réussissons pas avec cent pour cent d'efficacité, naturellement, il y a toujours une certaine perte. Nous importons un peu d'eau chaque année et, si nos besoins augmentent, il nous faudra peut-être importer aussi du charbon et de l'oxygène. -- Quand pourrons-nous commencer la visite, conseiller Blei ? Le sourire de Blei perdit encore un peu de sa maigre chaleur. -- Dès que nous le pourrons, docteur. Il reste certaines questions de routine à régler. Lamorak hocha la tête et, ayant terminé sa cigarette, il l'éteignit.  Des questions de routine ? Il n'avait rien noté de cette hésitation, dans leur correspondance préliminaire. Elsevere avait paru fière que son existence de planétoïde unique ait attiré l'attention de la Galaxie. -- Je comprends, dit-il, que cela puisse avoir une influence troublante dans une société repliée sur ellemême. Et il regarda ironiquement Blei sauter sur cette explication et la faire sienne. -- Oui, nous nous sentons à l'écart du reste de la Galaxie. Nous avons nos propres coutumes. Chaque Elseverien s'installe dans une confortable niche. L'apparition d'un étranger sans caste fixée ne peut que bouleverser les esprits. -- Le système de castes est vraiment inflexible. -- Je vous l'accorde, reconnut vivement Blei, mais il est également rassurant. Nous avons des règles strictes concernant les mariages mixtes et l'héritage de la profession. Chaque homme, femme et enfant sait où est sa place, l'accepte et y est accepté ; nous n'avons pratiquement pas de névroses ni de maladies mentales. -- Et pas de marginaux ? demanda Lamorak. Blei ouvrit la bouche pour dire non, mais la referma brusquement sur le mot ; un pli creusa son front. -- Je vais organiser la visite, docteur, dit-il enfin. En attendant, j'imagine que vous seriez heureux de vous rafraîchir et de vous reposer un peu. Ils se levèrent ensemble et quittèrent la pièce, Blei faisant poliment signe au Terrien de le précéder.   Lamorak était oppressé par la vague sensation de crise qui avait imprégné son entretien avec Blei. Le journal renforça encore cette impression. Il le lut attentivement avant de se coucher, tout d'abord avec un intérêt clinique. C'était un format tabloïd de huit pages, sur papier synthétique. Un quart de son contenu était consacré à des « rubriques personnelles » : naissances, mariages, morts, quotas records, expansion du volume habitable (pas de la région ! tri-dimensionnel !). Le reste comportait des essais, de la vulgarisation éducative et de la fiction. De nouvelles, dans le sens où Lamorak y était habitué, il n'y en avait pour ainsi dire pas. Un article cependant pouvait être considéré comme un sujet d'actualité, mais si fragmentaire qu'il en était incompréhensible. Ce n'étaient que quelques lignes sous une petite manchette : EXIGENCES INCHANGÉES. Il n'y a aucun changement dans son attitude depuis hier. Le Chef Conseiller, après une seconde entrevue, a annoncé que ses exigences sont toujours absolument déraisonnables et ne peuvent être satisfaites en aucune circonstance. Et entre parenthèses, en caractères différents, on lisait une déclaration : La direction de ce journal reconnaît qu'Elsevere ne peut ni ne doit bondir à son coup de sifflet, advienne que pourra. Lamorak lut l'entrefilet trois fois. Ses exigences. Son attitude. Son coup de sifflet. De qui ? Ce soir-là, son sommeil fut agité.   Il n'eut guère le temps de lire les journaux les jours suivants, mais, spasmodiquement, l'histoire lui revenait en mémoire. Blei demeura son guide et son compagnon pendant la plus grande partie de sa visite, mais il se montrait de plus en plus réservé. Le troisième jour (très artificiellement découpé sur le mode terrien, en vingt-quatre heures), Blei s'arrêta à un moment donné et dit : -- Ce niveau-ci est entièrement consacré aux industries chimiques. Cette section n'est pas importante... Mais il se détourna trop rapidement et Lamorak lui saisit le bras. -- Quels sont les produits de cette section ? -- Des engrais. Certaines matières organiques, répliqua laconiquement Blei. Lamorak se retint, tout en cherchant quelle vue le conseiller voulait éviter. Son regard balaya un horizon ermé et proche de couches rocheuses et d'immeubles serrés entre les niveaux. -- N'est-ce pas une résidence particulière, là ? demanda-t-il. Blei ne se tourna pas dans la direction indiquée. -- Je crois bien que c'est la plus grande que j'aie vue jusqu'à présent, reprit Lamorak. Pourquoi est-elle construite ici, au niveau des usines ? Cela seul la rendait remarquable. Il avait déjà constaté que les niveaux étaient strictement divisés : ésidentiel, agricole, industriel. Le conseiller s'éloignait rapidement. Lamorak l'appela mais l'autre continua d'avancer. Le Terrien lui ourut après. -- Conseiller Blei ! Qu'est-ce qui ne va pas ? -- Je suis grossier, je sais, marmonna Blei. Pardonnez-moi. Je suis préoccupé par certaines questions... Il se remit à marcher rapidement. -- Concernant ses exigences ? -- Que savez-vous de cela, vous ? -- Rien de plus que ce que j'ai dit. Je l'ai lu dans le journal. Blei marmotta quelque chose tout bas, entre ses dents. -- Ragusnik ? s'étonna Lamorak. Qu'est-ce que c'est que ça ? Blei soupira lourdement. -- Je suppose qu'il faut vous le dire. C'est humiliant, et terriblement embarrassant. Le Conseil pensait que les choses allaient s'arranger rapidement et que cela ne gênerait pas votre visite, que vous n'aviez pas besoin de le savoir ni d'être inquiété. Mais cela fait presque une semaine, maintenant. Je ne sais pas ce qui va se passer et, compte tenu des apparences, il vaudrait peut-être mieux que vous partiez. Il n'y a pas de raison qu'un Outremondien risque la mort. Le Terrien sourit d'un air incrédule. -- Risquer la mort ? Dans ce petit monde si paisible et si affairé ? Je ne puis le croire ! -- Je peux vous l'expliquer, dit le conseiller elseverien. D'ailleurs, je crois que cela vaut mieux... Comme je vous l'ai dit, tout doit être remis en circulation, sur Elsevere. Vous devez le penser ! -- Oui. -- Y compris les... les déchets humains. -- Je le pensais bien. -- L'eau en est extraite par distillation et absorption. Ce qui reste est recyclé sous forme d'engrais pour la culture ; ces engrais sont constitués par des sous-produits organiques et autres. Les usines que vous voyez ici y sont consacrées. -- Eh bien ? Lamorak avait eu une certaine difficulté à boire de l'eau du planétoïde, à son arrivée sur Elsevere ; il était assez réaliste pour savoir à partir de quoi elle était récupérée ; mais il avait assez facilement surmonté sa répugnance. Même sur Terre, l'eau était récupérée par des procédés naturels, à partir de toutes sortes de substances peu ragoûtantes. Blei, avec de plus en plus de difficulté, expliqua : -- Igor Ragusnik est celui qui est chargé des procédés industriels intervenant directement sur les déchets. Cette situation est dans sa famille depuis qu'Elsevere a été colonisé. Un des premiers colons était Mikhaïl Ragusnik et il... il... -- Il était chargé de la récupération des déchets. -- Oui. Cette demeure que vous avez remarquée est celle des Ragusnik. C'est la plus grande et la plus belle de tout le planétoïde. Ragusnik a droit à de nombreux privilèges ; des privilèges dont la plupart d'entre nous ne jouissent pas mais, après tout... nous ne pouvons pas lui parler ! conclut le conseiller en élevant la voix avec une assion soudaine. -- Pardon ? -- Il exige l'égalité sociale. Il veut que ses enfants fréquentent les nôtres, que nos femmes se rendent visite... ah ! Ce fut un gémissement de dégoût absolu. Lamorak pensa à l'article de journal qui n'osait même pas imprimer le nom de Ragusnik ni révéler quelque hose de précis sur ses demandes. -- Si je comprends bien, c'est un paria à cause de sa profession ?

« sommes pasparticulièrement pressésdeprendre del’expansion.

Nouspensons, aucontraire, lefaire très lentement.

Dansunecertaine mesure,noussommes limitésparlacapacité denos moteurs depseudo-gravité, et par lesconvertisseurs d’énergiesolaire. — Je comprends.

Maisdites-moi, conseillerBlei,est-ce qu’ilmeserait possible – par purecuriosité personnelle, etpas parce quec’est d’une grande importance pourmonprojet – de voird’abord quelques-uns de vos niveaux deculture etd’élevage ? Jesuis fasciné parl’idée dechamps deblé etde troupeaux devaches à l’intérieur d’unplanétoïde. — Vous trouverez notrecheptel bienmince, parrapport àvos chiffres, docteur, etnous n’avons pas beaucoup deblé.

Nous cultivons davantage lalevure.

Maisjevous montrerai dublé.

Etaussi ducoton etdu tabac.

Même desarbres fruitiers. — Admirable ! Commevousdisiez, l’autonomie.

Vousrecyclez tout,j’imagine. La réaction queprovoqua, chezBlei, cette dernière réflexion neput échapper auregard aigudeLamorak. Les yeux del’Elseverien sevoilèrent etcachèrent sonexpression. — Nous devonstoutremettre encirculation, oui,dit-il.

L’air,l’eau, l’alimentation, lesminéraux – tout ce qui estconsommé doitêtrerestauré àson état originel ; lesdéchets sontreconvertis enmatières premières.

Il suffit pourcelad’avoir del’énergie etnous n’enmanquons pas.Nous neréussissons pasavec centpour cent d’efficacité, naturellement, ilya toujours unecertaine perte.Nousimportons unpeu d’eau chaque annéeet,si nos besoins augmentent, ilnous faudra peut-être importeraussiducharbon etde l’oxygène. — Quand pourrons-nous commencerlavisite, conseiller Blei ? Le sourire deBlei perdit encore unpeu desamaigre chaleur. — Dès quenous lepourrons, docteur.Ilreste certaines questions deroutine àrégler. Lamorak hochalatête et,ayant terminé sacigarette, ill’éteignit.  Des questions deroutine ? Iln’avait riennoté decette hésitation, dansleurcorrespondance préliminaire. Elsevere avaitparufièrequesonexistence deplanétoïde uniqueaitattiré l’attention delaGalaxie. — Je comprends, dit-il,quecela puisse avoiruneinfluence troublante dansunesociété repliéesurelle- même.

Etilregarda ironiquement Bleisauter surcette explication etlafaire sienne. — Oui, nousnous sentons àl’écart dureste delaGalaxie.

Nousavons nospropres coutumes.

Chaque Elseverien s’installedansuneconfortable niche.L’apparition d’unétranger sanscaste fixéenepeut que bouleverser lesesprits. — Le système decastes estvraiment inflexible. — Je vousl’accorde, reconnutvivement Blei,mais ilest également rassurant.Nousavons desrègles strictes concernant lesmariages mixtesetl’héritage delaprofession.

Chaquehomme, femmeetenfant saitoùest sa place, l’accepte etyest accepté ; nousn’avons pratiquement pasdenévroses nide maladies mentales. — Et pasdemarginaux ? demandaLamorak. Blei ouvrit labouche pourdirenon, mais lareferma brusquement surlemot ; unplicreusa sonfront. — Je vaisorganiser lavisite, docteur, dit-ilenfin.

Enattendant, j’imaginequevous seriez heureux devous rafraîchir etde vous reposer unpeu. Ils selevèrent ensemble etquittèrent lapièce, Bleifaisant poliment signeauTerrien deleprécéder.   Lamorak étaitoppressé parlavague sensation decrise quiavait imprégné sonentretien avecBlei. Le journal renforça encorecetteimpression.

Ille lut attentivement avantdesecoucher, toutd’abord avec un intérêt clinique.

C’étaitunformat tabloïd dehuit pages, surpapier synthétique.

Unquart deson contenu était consacré àdes « rubriques personnelles » :naissances, mariages,morts,quotas records, expansion duvolume habitable (pasdelarégion ! tri-dimensionnel !).

Lereste comportait desessais, delavulgarisation éducativeet de lafiction.

Denouvelles, danslesens oùLamorak yétait habitué, iln’y enavait pourainsi direpas. Un article cependant pouvaitêtreconsidéré commeunsujet d’actualité, maissifragmentaire qu’ilenétait incompréhensible.

Cen’étaient quequelques lignessousunepetite manchette : EXIGENCES INCHANGÉES .

Il n’y aaucun changement danssonattitude depuishier.LeChef Conseiller, aprèsuneseconde entrevue, aannoncé queses exigences sonttoujours absolument déraisonnables etne peuvent êtresatisfaites enaucune circonstance.Et entre parenthèses, encaractères différents, onlisait unedéclaration : La direction decejournal reconnaît qu’Elsevere nepeut nine doit bondir àson coup desifflet, advienne quepourra.

Lamorak lutl’entrefilet troisfois.

Ses exigences.

Son attitude.

Son coup desifflet.

De qui ? Ce soir-là, sonsommeil futagité.   Il n’eut guère letemps delire lesjournaux lesjours suivants, mais,spasmodiquement, l’histoirelui revenait enmémoire. Blei demeura songuide etson compagnon pendantlaplus grande partiedesavisite, maisilse montrait de plus enplus réservé.. »

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