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L'Avare. ACTE IV. SCENE VII de Molière

Publié le 12/07/2011

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HARPAGON (il crie au voleur dès le jardin et vient sans chapeau.) Au voleur ! au voleur! à l'assassin! au meurtrier! Justice, juste Ciel! je suis perdu, je suis assassiné! On m'a dérobé mon argent. Qui peut-ce être? Qu'est-il devenu? Où est-il? Où se cache-t-il? Que ferai-je pour le trouver? Où courir? Où ne pas courir ? N'est-il point là? N'est-il point ici? Qui est-ce? Arrête! Rends- moi mon argent, coquin... (Il se prend lui-même le bras.) Ah! c'est moi! Mon esprit est troublé, et j'ignore où je suis, qui je suis et ce que je fais. Hélas! mon pauvre argent, mon pauvre argent, mon cher ami! on m'a privé de toi, et puisque tu m'es enlevé, j'ai perdu mon support, ma consolation, ma joie; tout est fini pour moi, et je n'ai plus que faire au monde: sans toi, il m'est impossible de vivre. C'en est fait, je n'en puis plus ; je me meurs, je suis mort, je suis enterré. N'y a-t-il personne qui puisse me ressusciter, en me rendant mon cher argent, ou en m'apprenant qui l'a pris? Euh? que dites-vous? Ce n'est personne. Il faut, qui que ce soit qui ait fait le coup, qu'avec beaucoup de soin on ait épié l'heure; et l'on a choisi justement le temps que je parlais à mon traître de fils. Sortons. Je veux aller quérir la justice, et faire donner la question à toute la maison: à servantes, à valets, à fils, à fille, et à moi aussi. Que de gens assemblés! Je ne jette mes regards sur personne qui ne me donne des soupçons, et tout me semble mon voleur. Eh! de quoi est-ce qu'on parle là? De celui qui m'a dérobé? Quel bruit fait-on là-haut? Est-ce mon voleur qui y est? De grâce, si l'on sait des nouvelles de mon voleur, je supplie que l'on m'en dise. N'est-il point caché là parmi vous? Ils me regardent tous, et se mettent à rire. Vous verrez qu'ils ont part sans doute au vol que l'on m'a fait. Allons vite, des commissaires, des archers, des prévôts, des juges, des gênes, des potences et des bourreaux. Je veux faire pendre tout le monde; et si je ne retrouve mon argent, je me pendrai moi- même après.

L'ensemble. — La pièce de l'Avare se fonde sur un comique âpre, dur, pénible. Harpagon n'est plus ni père ni homme, il est avare, son vice a tout absorbé, tout desséché en lui. C'est pourquoi l'analyse psychologique d'un tel caractère nous pénètre de tristesse et de pessimisme. Nous voyons les ruines qu'il accumule autour de lui, les malheurs qu'il cause au point de vue familial et social, mais Molière, fidèle à son procédé, pour faire mieux entendre ces graves constatations, se sert des éléments de la farce et, bien souvent, l'Avare se montre tellement grotesque que l'on ne peut s'empêcher d'en rire. Dans cette scène célèbre, la passion de l'avarice a déformé à tel point le caractère d'Harpagon qu'il en est devenu littéralement fou. II ne sait plus ce qu'il dit; la passion, qui est, par elle-même, un manque d'équilibre, a abouti au déséquilibre total. Au point de vue de l'intrigue, le vol de la cassette précipite le dénouement, puisque Harpagon est prêt à tout pour la retrouver.

Les mots : qui peut-ce être : qui puisse être. support : appui, soutien. je suis enterré : exagération, pour prouver que l'Avare, dans son désespoir, est en train de perdre la raison. question : torture qu'on faisait subir autrefois aux condamnés et aux accusés pour leur arracher des aveux. que de gens assemblés : il s'agit des spectateurs que l'avare regarde à ce moment; cette exclamation est encore une preuve de sa folie. prévôts : officiers judiciaires chargés de juger les causes entre les vassaux du seigneur, ou juges royaux des bailliages. des gênes : contraction de géhennes; tortures qu'on faisait subir aux accusés pour les contraindre à faire des aveux.   

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