l'an, pour une chère défunte.
Publié le 30/10/2013
Extrait du document
«
LA
RUELLE AUCLAIR DELUNE {26}
Le
navire, retardé parlatempête, n’avaitpuaborder quetrès tard lesoir, dans lepetit portfrançais, etle
train denuit pour l’Allemagne étaitmanqué.
Ilme fallait doncrester audépourvu unejournée àattendre enun
lieu étranger, passerunesoirée sansautre attraction quelamusique sentimentale etmélancolique d’uncafé-
concert dufaubourg, ouencore laconversation monotoneavecdescompagnons devoyage toutàfait fortuits.
L’atmosphère delapetite salleàmanger del’hôtel, grassed’huile etopaque defumée, meparut intolérable, etsa
crasse grisem’était d’autant plussensible quemes lèvres gardaient encorelafraîcheur saléedupur souffle
marin.
Jesortis donc,suivant auhasard lalarge rueéclairée, jusqu’àuneplace oùjouait unemusique
municipale, puisplusloinjetrouvai leflot nonchalant despromeneurs quidéferlait sanscesse.
D’abord, celame
fit du bien d’être ainsiroulé machinalement danslecourant deces hommes aucostume provincial etqui
m’étaient indifférents ; maisbientôt jefus excédé devoir auprès demoi cepassage continuel d’étrangers, avec
leurs éclats derire sans cause, leursyeuxquimedévisageaient d’unairétonné, bizarreouricaneur ; excédéde
ces contacts qui,sans qu’ilyparaisse, mepoussaient toujoursplusloin, deces mille petites lumières etde ce
piétinement continueldelafoule.
Latraversée avaitétémouvementée, etdans monsang bouillonnait encore
comme unsentiment d’étourdissement etde douce ivresse : jesentais toujours sousmespieds leglissement etle
balancement dunavire ; lesol me semblait remuercommeunepoitrine quirespire, etlarue avait l’airdevouloir
s’élever jusqu’au ciel.Tout àcoup, jefus pris devertige devantcebruit etce tourbillonnement, etpour m’en
préserver j’obliquai, sansregarder sonnom, dansuneruelatérale, puisdans unerueplus petite oùmourait peu
à peu cetumulte insensé : ensuitejecontinuai sansbutmon chemin danslelabyrinthe deces ruelles se
ramifiant commedesveines etqui devenaient toujoursplussombres àmesure quejem’éloignais delaplace
principale.
Lesgrands arcsdeslampes électriques, ceslunes desvastes boulevards, neflambaient plusici,etau-
dessus dumaigre éclairage, oncommençait enfinàapercevoir denouveau lesétoiles etun ciel noir, nuageux.
Je devais êtreprès duport, danslequartier desmatelots ; jelesentais àcette odeur depoisson pourri,àcette
exhalaison douceâtredevarech etde pourriture qu’ontlesalgues portées surlerivage parleflux, àcette senteur
particulière deparfums corrompus etde chambres sansaération quirègne lourdement danscescoins, jusqu’à ce
que vienne ysouffler lagrande tempête.
Cetteobscurité incertaine m’étaitagréable ainsiquecette solitude
inattendue ; jeralentis monpas,observant maintenant uneruelle aprèsl’autre, chacune différente desa
voisine : icilecalme, icilagalanterie, maistoutes obscures, etavec unbruit assourdi demusique etde voix, qui
émanait del’invisible, dusein deleurs caves, sisecrètement qu’ondevinait àpeine lasource souterraine d’oùil
venait.
Cartoutes cesmaisons étaientfermées, etseule yclignotait unelumière rougeoujaune.
J’aimais cesruelles desvilles étrangères, cemarché impurdetoutes lespassions, cetentassement clandestin
de toutes lesséductions pourlesmatelots qui,excédés deleurs nuits solitaires surlesmers lointaines et
périlleuses, entrenticipour unenuit, satisfaire dansuneheure lasensualité multipledeleurs rêves.
Ilfaut
qu’elles secachent quelque partdans unbas-fond delagrande ville,cespetites ruelles, parcequ’elles disentavec
tant d’effronterie etd’insistance ceque lesmaisons clairesauxvitres étincelantes, oùhabitent lesgens du
monde, cachent sousmille masques.
Ici,lamusique retentitetattire dansdepetites pièces ; les
cinématographes, avecleurs affiches violentes, promettent dessplendeurs inouïes ;depetites lanternes carrées
se dérobent souslesportes et,comme parsignes, avecunsalut confidentiel, vousadressent uneinvite très
nette ; parl’entrebâillement d’uneporte, brillelachair nuesous deschiffons dorés.Danslescafés braillent les
voix desivrognes etmonte letapage desquerelles entrejoueurs.
Lesmatelots ricanentquandilsserencontrent
en celieu ; leursregards mornes s’animent d’unefouledepromesses, carici,tout setrouve : lesfemmes etlejeu,
l’ivresse etlespectacle, l’aventure, grandeousordide.
Maistoutcelaestdans l’ombre ; toutcelaestrenfermé
secrètement derrièrelesvolets desfenêtres hypocritement baissés ;toutcelanesepasse qu’àl’intérieur, etcette
apparente réserveestdoublement excitanteparlaséduction dumystère etde lafacilité d’accès.
Cesrues sont les
mêmes àHambourg qu’àColombo{27}
et
àla Havane ; ellessontlesmêmes partout, commelesont aussi lesgrandes avenues duluxe, carles
sommets oules bas-fonds delavie ont partout lamême forme ; cesrues inciviles, émouvantes parcequ’elles
révèlent etattirantes parcequ’elles cachent, sontlesderniers restesfantastiques d’unmonde auxsens déréglés,
où les instincts sedéchaînent encorebrutalement etsans frein, uneforêt sombre depassions, unhallier pleinde
bêtes sauvages.
Lerêve peut s’ydonner carrière..
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