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La tentation de Saint Antoine LA JEUNE Cependant, tu crois a la resurrection de la chair, qui est le transport de la vie dans l'eternite!

Publié le 11/04/2014

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La tentation de Saint Antoine LA JEUNE Cependant, tu crois a la resurrection de la chair, qui est le transport de la vie dans l'eternite! La Vieille, pendant qu'elle parlait, s'est encore decharnee; et au-dessus de son crane, qui n'a plus de cheveux, une chauve-souris fait des cercles dans l'air. La Jeune est devenue plus grasse. Sa robe chatoie, ses narines battent, ses yeux roulent moelleusement. LA PREMIERE dit, en ouvrant les bras: Viens, je suis la consolation, le repos, l'oubli, l'eternelle serenite! et LA SECONDE en offrant ses seins: Je suis l'endormeuse, la joie, la vie, le bonheur inepuisable! Antoine tourne les talons pour s'enfuir. Chacune lui met la main sur l'epaule. Le linceul s'ecarte, et decouvre le squelette de La Mort. La robe se fend, et laisse voir le corps entier de La Luxure, qui a la taille mince avec la croupe enorme et de grands cheveux ondes s'envolant par le bout. Antoine reste immobile entre les deux, les considerant. LA MORT lui dit: Tout de suite ou tout a l'heure, qu'importe! Tu m'appartiens, comme les soleils, les peuples, les villes, les rois, la neige des monts, l'herbe des champs. Je vole plus haut que l'epervier, je cours plus vite que la gazelle, j'atteins meme l'esperance, j'ai vaincu le fils de Dieu! LA LUXURE Ne resiste pas; je suis l'omnipotente! Les forets retentissent de mes soupirs, les flots sont remues par mes agitations. La vertu, le courage, la piete se dissolvent au parfum de ma bouche. J'accompagne l'homme pendant tous les pas qu'il fait;--et au seuil du tombeau il se retourne vers moi! LA MORT Je te decouvrirai ce que tu tachais de saisir, a la lueur des flambeaux, sur la face des morts,--ou quand tu vagabondais au dela des Pyramides, dans ces grands sables composes de debris humains. De temps a autre, un fragment de crane roulait sous ta sandale. Tu prenais de la poussiere, tu la faisais couler entre tes doigts; et ta VI. 107 La tentation de Saint Antoine pensee, confondue avec elle, s'abimait dans le neant. LA LUXURE Mon gouffre est plus profond! Des marbres ont inspire d'obscenes amours. On se precipite a des rencontres qui effrayent. On rive des chaines que l'on maudit. D'ou vient l'ensorcellement des courtisanes, l'extravagance des reves, l'immensite de ma tristesse? LA MORT Mon ironie depasse toutes les autres! Il y a des convulsions de plaisir aux funerailles des rois, a l'extermination d'un peuple;--et on fait la guerre avec de la musique, des panaches, des drapeaux, des harnais d'or, un deploiement de ceremonie pour me rendre plus d'hommages. LA LUXURE Ma colere vaut la tienne. Je hurle, je mords. J'ai des sueurs d'agonisant et des aspects de cadavre. LA MORT C'est moi qui te rends serieuse; enlacons-nous! La Mort ricane, la Luxure rugit. Elles se prennent par la taille, et chantent ensemble: --Je hate la dissolution de la matiere! --Je facilite l'eparpillement des germes! --Tu detruis, pour mes renouvellements! --Tu engendres, pour mes destructions! --Active ma puissance! --Feconde ma pourriture! Et leur voix, dont les echos se deroulant emplissent l'horizon, devient tellement forte qu'Antoine en tombe a la renverse. Une secousse, de temps a autre, lui fait entr'ouvrir les yeux; et il apercoit au milieu des tenebres une maniere de monstre devant lui. C'est une tete de mort, avec une couronne de roses. Elle domine un torse de femme d'une blancheur nacree. En dessous, un linceul etoile de points d'or fait comme une queue;--et tout le corps ondule, a la maniere d'un ver gigantesque qui se tiendrait debout. La vision s'attenue, disparait. ANTOINE se releve. VI. 108

« pensee, confondue avec elle, s'abimait dans le neant. LA LUXURE Mon gouffre est plus profond! Des marbres ont inspire d'obscenes amours.

On se precipite a des rencontres qui effrayent.

On rive des chaines que l'on maudit.

D'ou vient l'ensorcellement des courtisanes, l'extravagance des reves, l'immensite de ma tristesse? LA MORT Mon ironie depasse toutes les autres! Il y a des convulsions de plaisir aux funerailles des rois, a l'extermination d'un peuple;—et on fait la guerre avec de la musique, des panaches, des drapeaux, des harnais d'or, un deploiement de ceremonie pour me rendre plus d'hommages. LA LUXURE Ma colere vaut la tienne.

Je hurle, je mords.

J'ai des sueurs d'agonisant et des aspects de cadavre. LA MORT C'est moi qui te rends serieuse; enlacons-nous! La Mort ricane, la Luxure rugit.

Elles se prennent par la taille, et chantent ensemble: —Je hate la dissolution de la matiere! —Je facilite l'eparpillement des germes! —Tu detruis, pour mes renouvellements! —Tu engendres, pour mes destructions! —Active ma puissance! —Feconde ma pourriture! Et leur voix, dont les echos se deroulant emplissent l'horizon, devient tellement forte qu'Antoine en tombe a la renverse. Une secousse, de temps a autre, lui fait entr'ouvrir les yeux; et il apercoit au milieu des tenebres une maniere de monstre devant lui. C'est une tete de mort, avec une couronne de roses.

Elle domine un torse de femme d'une blancheur nacree.

En dessous, un linceul etoile de points d'or fait comme une queue;—et tout le corps ondule, a la maniere d'un ver gigantesque qui se tiendrait debout. La vision s'attenue, disparait. ANTOINE se releve.

La tentation de Saint Antoine VI.

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