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La rotisserie de la Reine Pedauque Mais Catherine ne bougeait point et pleurait encore.

Publié le 11/04/2014

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La rotisserie de la Reine Pedauque Mais Catherine ne bougeait point et pleurait encore. Il l'alla tirer par le bras, par la taille. Elle résistait. Il fut pressant: --Allons! viens, mignonne. Elle s'entêtait à ne point changer de place, tenant embrassés le lit et les matelas. Son amant perdit patience, et cria d'une voix rude avec mille jurements: --Lève-toi, garce! Aussitôt elle se leva et, souriant dans les larmes, lui prit le bras et entra dans la salle à manger, avec un air de victime heureuse. Elle s'assit entre M. d'Anquetil et moi, la tête renversée sur l'épaule de son amant et cherchant du pied mon pied sous la table. --Messieurs, dit notre hôte, pardonnez à ma vivacité un mouvement que je ne saurais regretter, puisqu'il me donne l'honneur de vous traiter ici. Je ne puis en vérité souffrir tous les caprices de cette jolie fille, et je suis devenu très ombrageux depuis que je l'ai surprise avec son capucin. --Mon ami, lui dit Catherine en pressant mon pied sous le sien, votre jalousie s'égare. Sachez que je n'ai de goût que pour M. Jacques. --Elle raille, dit M. d'Anquetil. --N'en doutez point, répondis-je. On voit qu'elle n'aime que vous. --Sans me flatter, répliqua-t-il, je lui ai inspiré quelque attachement. Mais elle est coquette. --A boire! dit M. l'abbé Coignard. M. d'Anquetil passa la dame-jeanne à mon bon maître et s'écria: --Pardi, l'abbé, vous qui êtes d'église, vous nous direz pourquoi les femmes aiment les capucins. M. Coignard s'essuya les lèvres et dit: --La raison en est que les capucins aiment avec humilité et ne se refusent à rien. La raison en est encore que ni la réflexion ni la politesse n'affaiblit leurs instincts naturels. Monsieur, votre vin est généreux. --Vous me faites trop d'honneur, répondit M. d'Anquetil. C'est le vin de M. de la Guéritaude. Je lui ai pris sa maîtresse. Je puis bien lui prendre ses bouteilles. --Rien n'est plus juste, répliqua mon bon maître. Je vois, monsieur, que vous vous élevez au-dessus des préjugés. --Ne m'en louez pas plus qu'il ne convient, l'abbé, répondit M. d'Anquetil. Ma naissance me rend aisé ce qui serait difficile au vulgaire. Un homme du commun est forcé de mettre de la retenue dans toutes ses actions. Il est assujetti à une exacte probité; mais un gentilhomme a l'honneur de se battre pour le Roi et pour le plaisir. La rotisserie de la Reine Pedauque 55 La rotisserie de la Reine Pedauque Cela le dispense de s'embarrasser dans des niaiseries. J'ai servi sous M. de Villars, j'ai fait la guerre de succession et j'ai risqué d'être tué sans raison à la bataille de Parme. C'est bien le moins qu'en retour je puisse rosser mes gens, frustrer mes créanciers et prendre à mes amis, s'il me plaît, leur femme ou même leur maîtresse. --Vous parlez noblement, dit mon bon maître, et vous montrez jaloux de maintenir les prérogatives de la noblesse. --Je n'ai point, reprit M. d'Anquetil, de ces scrupules qui intimident la foule des hommes et que je tiens bons seulement pour arrêter les timides et contenir les malheureux. --A la bonne heure! dit mon bon maître. --Je ne crois pas à la vertu, dit l'autre. --Vous avez raison, dit encore mon maître. De la façon qu'est fait, l'animal humain, il ne saurait être vertueux sans quelque déformation. Voyez, par exemple, cette jolie fille qui soupe avec nous: sa petite tête, sa belle gorge, son ventre d'une merveilleuse rondeur, et le reste. En quel endroit de sa personne pourrait-elle loger un grain de vertu? Il n'y a point la place, tant tout cela est ferme, plein de suc, solide et rebondi. La vertu, comme le corbeau, niche dans les ruines. Elle habite les creux et les rides des corps. Moi-même, monsieur, qui méditai dès mon enfance les maximes austères de la religion et de la philosophie, je n'ai pu insinuer en moi quelque vertu qu'à travers les brèches faites par la souffrance et par l'âge à ma constitution. Encore me suis-je, à chaque fois, insufflé moins de vertu que d'orgueil. Aussi ai-je coutume de faire au divin Créateur du monde cette prière: "Mon Dieu, gardez-moi de la vertu, si elle m'éloigne de la sainteté." Ah! la sainteté, voilà ce qu'il est possible et nécessaire d'atteindre! Voilà notre convenable fin! Puissions-nous y parvenir un jour! En attendant, donnez-moi à boire. --Je vous confierai, dit M. d'Anquetil, que je ne crois pas en Dieu. --Pour le coup, dit l'abbé, je vous blâme, monsieur. Il faut croire en Dieu et dans toutes les vérités de notre sainte religion. M. d'Anquetil se récria: --Vous vous moquez, l'abbé, et nous prenez pour plus niais que nous ne sommes. Je ne crois, vous dis-je, ni à Dieu, ni au diable, et ne vais jamais à la messe, si ce n'est à la messe du Roi. Les sermons des prêtres ne sont que des contes de bonne femme, supportables tout au plus pour les temps où ma grand'mère vit l'abbé de Choisy rendre, habillé en femme, le pain bénit à Saint-Jacques-du-Haut-Pas. Il y avait peut-être de la religion en ce temps-là. Il n'y en a plus, Dieu merci! --Par tous les saints et par tous les diables, mon ami, ne parlez pas ainsi, s'écria Catherine. Dieu existe, aussi vrai que ce pâté est sur la table, et la preuve en est que, me trouvant un certain jour de l'an passé en grande détresse et dénuement, j'allai, sur le conseil de frère Ange, brûler un cierge dans l'église des Capucins, et que le lendemain, je rencontrai à la promenade M. de la Guéritaude, qui me donna cet hôtel avec tous les meubles, et le cellier plein de ce vin que nous buvons aujourd'hui, et assez d'argent pour vivre honnêtement. --Fi, fi! dit M. d'Anquetil, la sotte qui met Dieu dans de sales affaires, ce qui est si choquant qu'on en est blessé, même athée. --Monsieur, dit mon bon maître, il vaut infiniment mieux compromettre Dieu dans de sales affaires, comme fait cette simple fille, que de le chasser, à votre exemple, du monde qu'il a créé. S'il n'a pas spécialement La rotisserie de la Reine Pedauque 56

« Cela le dispense de s'embarrasser dans des niaiseries.

J'ai servi sous M.

de Villars, j'ai fait la guerre de succession et j'ai risqué d'être tué sans raison à la bataille de Parme.

C'est bien le moins qu'en retour je puisse rosser mes gens, frustrer mes créanciers et prendre à mes amis, s'il me plaît, leur femme ou même leur maîtresse. —Vous parlez noblement, dit mon bon maître, et vous montrez jaloux de maintenir les prérogatives de la noblesse. —Je n'ai point, reprit M.

d'Anquetil, de ces scrupules qui intimident la foule des hommes et que je tiens bons seulement pour arrêter les timides et contenir les malheureux. —A la bonne heure! dit mon bon maître. —Je ne crois pas à la vertu, dit l'autre. —Vous avez raison, dit encore mon maître.

De la façon qu'est fait, l'animal humain, il ne saurait être vertueux sans quelque déformation.

Voyez, par exemple, cette jolie fille qui soupe avec nous: sa petite tête, sa belle gorge, son ventre d'une merveilleuse rondeur, et le reste.

En quel endroit de sa personne pourrait-elle loger un grain de vertu? Il n'y a point la place, tant tout cela est ferme, plein de suc, solide et rebondi.

La vertu, comme le corbeau, niche dans les ruines.

Elle habite les creux et les rides des corps.

Moi-même, monsieur, qui méditai dès mon enfance les maximes austères de la religion et de la philosophie, je n'ai pu insinuer en moi quelque vertu qu'à travers les brèches faites par la souffrance et par l'âge à ma constitution.

Encore me suis-je, à chaque fois, insufflé moins de vertu que d'orgueil.

Aussi ai-je coutume de faire au divin Créateur du monde cette prière: “Mon Dieu, gardez-moi de la vertu, si elle m'éloigne de la sainteté.” Ah! la sainteté, voilà ce qu'il est possible et nécessaire d'atteindre! Voilà notre convenable fin! Puissions-nous y parvenir un jour! En attendant, donnez-moi à boire. —Je vous confierai, dit M.

d'Anquetil, que je ne crois pas en Dieu. —Pour le coup, dit l'abbé, je vous blâme, monsieur.

Il faut croire en Dieu et dans toutes les vérités de notre sainte religion. M.

d'Anquetil se récria: —Vous vous moquez, l'abbé, et nous prenez pour plus niais que nous ne sommes.

Je ne crois, vous dis-je, ni à Dieu, ni au diable, et ne vais jamais à la messe, si ce n'est à la messe du Roi.

Les sermons des prêtres ne sont que des contes de bonne femme, supportables tout au plus pour les temps où ma grand'mère vit l'abbé de Choisy rendre, habillé en femme, le pain bénit à Saint-Jacques-du-Haut-Pas.

Il y avait peut-être de la religion en ce temps-là.

Il n'y en a plus, Dieu merci! —Par tous les saints et par tous les diables, mon ami, ne parlez pas ainsi, s'écria Catherine.

Dieu existe, aussi vrai que ce pâté est sur la table, et la preuve en est que, me trouvant un certain jour de l'an passé en grande détresse et dénuement, j'allai, sur le conseil de frère Ange, brûler un cierge dans l'église des Capucins, et que le lendemain, je rencontrai à la promenade M.

de la Guéritaude, qui me donna cet hôtel avec tous les meubles, et le cellier plein de ce vin que nous buvons aujourd'hui, et assez d'argent pour vivre honnêtement. —Fi, fi! dit M.

d'Anquetil, la sotte qui met Dieu dans de sales affaires, ce qui est si choquant qu'on en est blessé, même athée. —Monsieur, dit mon bon maître, il vaut infiniment mieux compromettre Dieu dans de sales affaires, comme fait cette simple fille, que de le chasser, à votre exemple, du monde qu'il a créé.

S'il n'a pas spécialement La rotisserie de la Reine Pedauque La rotisserie de la Reine Pedauque 56. »

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