La rotisserie de la Reine Pedauque disparurent des fenêtres, qui se refermèrent, et, tandis que le jeune seigneur causait avec ses gens, je m'approchai de Catherine dont les larmes séchaient sur ses joues, au joli creux de son sourire.
Publié le 11/04/2014
Extrait du document
«
Jacques Tournebroche, me dit un jour ce bon maître, n'êtes-vous point frappé des variations de la morale à
travers les siècles? Les livres assemblés dans cette admirable Astaracienne témoignent de l'incertitude des
hommes à ce sujet.
Si j'y fais réflexion, mon fils, c'est pour loger dans votre esprit cette idée solide et salutaire
qu'il n'est point de bonnes moeurs en dehors de la religion et que les maximes des philosophes, qui prétendent
instituer une morale naturelle, ne sont que lubies et billevesées.
La raison des bonnes moeurs ne se trouve
point dans la nature qui est, par elle-même, indifférente, ignorant le mal comme le bien.
Elle est dans la
Parole divine, qu'il ne faut point transgresser, à moins de s'en repentir ensuite convenablement.
Les lois
humaines sont fondées sur l'utilité, et ce ne peut être qu'une utilité apparente et illusoire, car on ne sait pas
naturellement ce qui est utile aux hommes, ni ce qui leur convient en réalité.
Encore y a-t-il dans nos
Coutumiers une bonne moitié des articles auxquels le préjugé seul a donné naissance.
Soutenues par la
menace du châtiment, les lois humaines peuvent être éludées par ruse et dissimulation.
Tout homme capable
de réflexion est au-dessus d'elles.
Ce sont proprement des attrape-nigauds.
Il n'en est pas de même, mon fils, des lois divines.
Celles-là sont imprescriptibles, inéluctables et stables.
Leur absurdité n'est qu'apparente et cache une sagesse inconcevable.
Si elles blessent notre raison, c'est parce
qu'elles y sont supérieures et qu'elles s'accordent avec les vraies fins de l'homme, et non avec ses fins
apparentes.
Il convient de les observer, quand on a le bonheur de les connaître.
Toutefois, je ne fais pas de
difficulté d'avouer que l'observation de ces lois, contenues dans le Décalogue et dans les commandements de
l'Église, est difficile, la plupart du temps, et même impossible sans la grâce qui se fait parfois attendre,
puisque c'est un devoir de l'espérer.
C'est pourquoi nous sommes tous de pauvres pécheurs.
Et c'est là qu'il faut admirer l'économie de la religion chrétienne, qui fonde principalement le salut sur le
repentir.
Il est à remarquer, mon fils, que les plus grands saints sont des pénitents, et, comme le repentir se
proportionne à la faute, c'est dans les plus grands pécheurs que se trouve l'étoffe des plus grands saints.
Je
pourrais illustrer cette doctrine d'un grand nombre d'exemples admirables.
Mais j'en ai dit assez pour vous
faire sentir que la matière première de la sainteté est la concupiscence, l'incontinence, toutes les impuretés de
la chair et de l'esprit.
Il importe seulement, après avoir amassé cette matière, de la travailler selon l'art
théologique et de la modeler pour ainsi dire en figure de pénitence, ce qui est l'affaire de quelques années, de
quelques jours et parfois d'un seul instant, comme il se voit dans le cas de la contrition parfaite.
Jacques
Tournebroche, si vous m'avez bien entendu, vous ne vous épuiserez pas dans des soins misérables pour
devenir honnête homme selon le monde, et vous vous étudierez uniquement à satisfaire à la justice divine.
Je ne laissai pas de sentir la haute sagesse renfermée dans les maximes de mon bon maître.
Je craignais
seulement que cette morale, au cas où elle serait pratiquée sans discernement, ne portât l'homme aux plus
grands désordres.
Je fis part de mes doutes à M.
Jérôme Goignard, qui me rassura en ces termes:
Jacobus Tournebroche, vous ne prenez pas garde à ce que je viens de vous dire expressément, à savoir que
ce que vous appelez désordres, n'est tel en effet que dans l'opinion des légistes et des juges tant civils
qu'ecclésiastiques et par rapport aux lois humaines, qui sont arbitraires et transitoires, et qu'en un mot se
conduire selon ces lois est le fait d'une âme moutonnière.
Un homme d'esprit ne se pique pas d'agir selon les
règles en usage au Châtelet et chez l'official.
Il s'inquiète de faire son salut et il ne se croit pas déshonoré pour
aller au ciel par les voies détournées que suivirent les plus grands saints.
Si la bienheureuse Pélagie n'avait
point exercé la profession de laquelle vous savez que vit Jeannette la vielleuse, sous le porche de
Saint-Benoît-le-Bétourné, cette sainte n'aurait pas eu lieu d'en faire une ample et copieuse pénitence, et il est
infiniment probable qu'après avoir vécu comme une matrone dans une médiocre et banale honnêteté, elle ne
jouerait pas du psaltérion, au moment où je vous parle, devant le tabernacle où le Saint des Saints repose dans
sa gloire.
Appelez-vous désordre une si belle ordonnance de la vie d'une prédestinée? Non point! Il faut
laisser ces façons basses de dire à M.
le lieutenant de police qui, après sa mort, ne trouvera peut-être pas une
petite place derrière les malheureuses qu'aujourd'hui il traîne ignominieusement à l'hôpital.
Hors la perte de
l'âme et la damnation éternelle, il ne saurait y avoir ni désordre, ni crime, ni mal aucun dans ce monde
périssable, où tout doit se régler et s'ajuster en vue du monde divin.
Reconnaissez donc, Tournebroche, mon La rotisserie de la Reine Pedauque
La rotisserie de la Reine Pedauque 44.
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