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La rotisserie de la Reine Pedauque Ayant ainsi parlé, M.

Publié le 11/04/2014

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La rotisserie de la Reine Pedauque Ayant ainsi parlé, M. d'Astarac nous poussa dans le pavillon et nous fit monter, par un escalier à vis, dans une chambre où se tenait, au milieu de manuscrits épars, dans un grand fauteuil à oreilles, un vieillard aux yeux vifs, au nez busqué, dont le menton fuyant laissait échapper deux maigres ruisseaux de barbe blanche. Un bonnet de velours, en forme de couronne impériale, couvrait sa tête chauve, et son corps, d'une maigreur qui n'était point humaine, s'enveloppait d'une vieille robe de soie jaune, éblouissante et sordide. Bien que ses regards perçants fussent tournés vers nous, il ne marqua par aucun signe qu'il s'apercevait de notre venue. Son visage exprimait un entêtement douloureux, et il roulait lentement, entre ses doigts ridés, le roseau qui lui servait à écrire. --N'attendez pas de Mosaïde des paroles vaines, nous dit M. d'Astarac. Depuis longtemps, ce sage ne s'entretient plus qu'avec les Génies et moi. Ses discours sont sublimes. Comme il ne consentira pas, sans doute, à converser avec vous, messieurs, je vous donnerai en peu de mots une idée de son mérite. Le premier, il a pénétré le sens spirituel des livres de Moïse, d'après la valeur des caractères hébraïques, laquelle dépend de l'ordre des lettres dans l'alphabet. Cet ordre avait été brouillé à partir de la onzième lettre. Mosaïde l'a rétabli, ce que n'avaient pu faire Atrabis, Philon, Avicenne, Raymond Lulle, Pic de la Mirandole, Reuchelin, Henri Morus et Robert Flydd. Mosaïde sait le nombre de l'or qui correspond à Jéhovah dans le monde des Esprits. Et vous concevez, messieurs, que cela est d'une conséquence infinie. Mon bon maître tira sa boîte de sa poche et, nous l'ayant présentée avec civilité, huma une prise de tabac et dit: --Ne croyez-vous pas, monsieur d'Astarac, que ces connaissances sont extrêmement propres à vous mener au diable, à l'issue de cette vie transitoire. Car enfin, ce seigneur Mosaïde erre visiblement dans l'interprétation des saintes écritures. Quand Notre Seigneur mourut sur la croix pour le salut des hommes, la synagogue sentit un bandeau descendre sur ses yeux; elle chancela comme une femme ivre, et sa couronne tomba de sa tête. Depuis lors, l'intelligence de l'Ancien Testament est renfermée dans l'Église catholique à laquelle j'appartiens malgré mes iniquités multiples. A ces mots, Mosaïde, semblable à un dieu bouc, sourit d'une manière effrayante et dit à mon bon maître d'une voix lente, aigre et comme lointaine: --La Mashore ne t'a pas confié ses secrets et la Mischna ne t'a pas révélé ses mystères. --Mosaïde, reprit M. d'Astarac, interprète avec clarté, non seulement les livres de Moïse, mais celui d'Enoch, qui est bien plus considérable, et que les chrétiens ont rejeté faute de le comprendre, comme le coq de la fable arabe dédaigna la perle tombée dans son grain. Ce livre d'Enoch, monsieur l'abbé Coignard, est d'autant plus précieux qu'on y voit les premiers entretiens des filles des hommes avec les Sylphes. Car vous entendez bien que ces anges, qu'Enoch nous montre liant avec des femmes un commerce d'amour, sont des Sylphes et des Salamandres. --Je l'entendrai, monsieur, répondit mon bon maître, pour ne pas vous contrarier. Mais par ce qui nous a été conservé du livre d'Enoch, qui est visiblement apocryphe, je soupçonne que ces anges étaient, non point des Sylphes, mais des marchands phéniciens. --Et sur quoi, demanda M. d'Astarac, fondez-vous une opinion si singulière? --Je la fonde, monsieur, sur ce qu'il est dit dans ce livre que les anges apprirent aux femmes l'usage des bracelets et des colliers, l'art de se peindre les sourcils et d'employer toute sorte de teintures. Il est dit encore au même livre, que les anges enseignèrent aux filles des hommes les propriétés des racines et des arbres, les enchantements, l'art d'observer les étoiles. De bonne foi, monsieur, ces anges-là n'ont-ils pas tout l'air de La rotisserie de la Reine Pedauque 33 La rotisserie de la Reine Pedauque Tyriens ou de Sidoniens débarquant sur quelque côte à demi déserte et déballant au pied des rochers leur pacotille pour tenter les filles des tribus sauvages? Ces trafiquants leur donnaient des colliers de cuivre, des amulettes et des médicaments, contre de l'ambre, de l'encens et des pelleteries, et ils étonnaient ces belles créatures ignorantes en leur parlant des étoiles avec une connaissance acquise dans la navigation. Voilà qui est clair et je voudrais bien savoir par quel endroit M. Mosaïde y pourrait contredire. Mosaïde garda le silence et M. d'Astarac sourit de nouveau. --Monsieur Coignard, dit-il, vous ne raisonnez pas trop mal, dans l'ignorance où vous êtes encore de la gnose et de la cabbale. Et ce que vous dites me fait songer qu'il pouvait se trouver quelques Gnomes métallurgistes et orfèvres parmi ces Sylphes qui s'unirent d'amour aux filles des hommes. Les Gnomes, en effet, s'occupent volontiers d'orfèvrerie, et il est probable que ce furent ces ingénieux démons qui forgèrent ces bracelets que vous croyez de fabrication phénicienne. Mais vous aurez quelque désavantage, monsieur, je vous en préviens, à vous mesurer avec Mosaïde sur la connaissance des antiquités humaines. Il en a retrouvé les monuments qu'on croyait perdus et, entre autres, la colonne de Seth et les oracles de Sambéthé, fille de Noé, la plus ancienne des Sibylles. --Oh! s'écria mon bon maître en bondissant sur le plancher poudreux d'où s'éleva un nuage de poussière, oh! que de rêveries! C'en est trop, vous vous moquez! et M. Mosaïde ne peut emmagasiner tant de folies dans sa tête, sous son grand bonnet qui ressemble à la couronne de Charlemagne. Cette colonne de Seth est une invention ridicule de ce plat Flavius Josèphe, un conte absurde qui n'avait encore trompé personne avant vous. Quant aux prédictions de Sambéthé, fille de Noé, je serais bien curieux de les connaître, et M. Mosaïde, qui paraît assez avare de ses paroles, m'obligerait en en faisant passer quelques-unes par sa bouche, car il ne lui est pas possible, je me plais à le reconnaître, de les proférer par la voie plus secrète à travers laquelle les sibylles anciennes avaient coutume de faire passer leurs mystérieuses réponses. Mosaïde, qui ne semblait point entendre, dit tout à coup: --La fille de Noé a parlé; Sambéthé a dit: "L'homme vain qui rit et qui raille n'entendra pas la voix qui sort du septième tabernacle; l'impie ira misérablement à sa ruine." Sur cet oracle nous prîmes tous trois congé de Mosaïde. Cette année-là, l'été fut radieux, d'où me vint l'envie d'aller dans les promenades. Un jour, comme j'errais sous les arbres du Cours-la-Reine, avec deux petits écus que j'avais trouvés le matin dans la pochette de ma culotte et qui étaient le premier effet par lequel mon faiseur d'or eût encore montré sa munificence, je m'assis devant la porte d'un limonadier, à une table que sa petitesse appropriait à ma solitude et à ma modestie, et là je me mis à songer à la bizarrerie de ma destinée, tandis qu'à mes côtés, des mousquetaires buvaient du vin d'Espagne avec des filles du monde. Je doutais si la Croix-des-Sablons, M. d'Astarac, Mosaïde, le papyrus de Zozime et mon bel habit n'étaient point des songes dont j'allais me réveiller, pour me retrouver en veste de basin devant la broche de la Reine Pédauque. Je sortis de ma rêverie en me sentant tiré par la manche. Et je vis devant moi frère Ange, dont le visage disparaissait entre son capuchon et sa barbe. --Monsieur Jacques Ménétrier, me dit-il, à voix basse, une demoiselle, qui vous veut du bien, vous attend dans son carrosse sur la chaussée, entre la rivière et la porte de la Conférence. Le cour me battit très fort. Effrayé et ravi de cette aventure, je me rendis tout de suite à l'endroit indiqué par le capucin, en marchant toutefois d'un pas tranquille, qui me parut le plus avantageux. Parvenu sur le quai, je vis un carrosse avec une petite main posée sur le bord de la portière. La rotisserie de la Reine Pedauque 34

« Tyriens ou de Sidoniens débarquant sur quelque côte à demi déserte et déballant au pied des rochers leur pacotille pour tenter les filles des tribus sauvages? Ces trafiquants leur donnaient des colliers de cuivre, des amulettes et des médicaments, contre de l'ambre, de l'encens et des pelleteries, et ils étonnaient ces belles créatures ignorantes en leur parlant des étoiles avec une connaissance acquise dans la navigation.

Voilà qui est clair et je voudrais bien savoir par quel endroit M.

Mosaïde y pourrait contredire. Mosaïde garda le silence et M.

d'Astarac sourit de nouveau. —Monsieur Coignard, dit-il, vous ne raisonnez pas trop mal, dans l'ignorance où vous êtes encore de la gnose et de la cabbale.

Et ce que vous dites me fait songer qu'il pouvait se trouver quelques Gnomes métallurgistes et orfèvres parmi ces Sylphes qui s'unirent d'amour aux filles des hommes.

Les Gnomes, en effet, s'occupent volontiers d'orfèvrerie, et il est probable que ce furent ces ingénieux démons qui forgèrent ces bracelets que vous croyez de fabrication phénicienne.

Mais vous aurez quelque désavantage, monsieur, je vous en préviens, à vous mesurer avec Mosaïde sur la connaissance des antiquités humaines.

Il en a retrouvé les monuments qu'on croyait perdus et, entre autres, la colonne de Seth et les oracles de Sambéthé, fille de Noé, la plus ancienne des Sibylles. —Oh! s'écria mon bon maître en bondissant sur le plancher poudreux d'où s'éleva un nuage de poussière, oh! que de rêveries! C'en est trop, vous vous moquez! et M.

Mosaïde ne peut emmagasiner tant de folies dans sa tête, sous son grand bonnet qui ressemble à la couronne de Charlemagne.

Cette colonne de Seth est une invention ridicule de ce plat Flavius Josèphe, un conte absurde qui n'avait encore trompé personne avant vous. Quant aux prédictions de Sambéthé, fille de Noé, je serais bien curieux de les connaître, et M.

Mosaïde, qui paraît assez avare de ses paroles, m'obligerait en en faisant passer quelques-unes par sa bouche, car il ne lui est pas possible, je me plais à le reconnaître, de les proférer par la voie plus secrète à travers laquelle les sibylles anciennes avaient coutume de faire passer leurs mystérieuses réponses. Mosaïde, qui ne semblait point entendre, dit tout à coup: —La fille de Noé a parlé; Sambéthé a dit: “L'homme vain qui rit et qui raille n'entendra pas la voix qui sort du septième tabernacle; l'impie ira misérablement à sa ruine.” Sur cet oracle nous prîmes tous trois congé de Mosaïde. Cette année-là, l'été fut radieux, d'où me vint l'envie d'aller dans les promenades.

Un jour, comme j'errais sous les arbres du Cours-la-Reine, avec deux petits écus que j'avais trouvés le matin dans la pochette de ma culotte et qui étaient le premier effet par lequel mon faiseur d'or eût encore montré sa munificence, je m'assis devant la porte d'un limonadier, à une table que sa petitesse appropriait à ma solitude et à ma modestie, et là je me mis à songer à la bizarrerie de ma destinée, tandis qu'à mes côtés, des mousquetaires buvaient du vin d'Espagne avec des filles du monde.

Je doutais si la Croix-des-Sablons, M.

d'Astarac, Mosaïde, le papyrus de Zozime et mon bel habit n'étaient point des songes dont j'allais me réveiller, pour me retrouver en veste de basin devant la broche de la Reine Pédauque. Je sortis de ma rêverie en me sentant tiré par la manche.

Et je vis devant moi frère Ange, dont le visage disparaissait entre son capuchon et sa barbe. —Monsieur Jacques Ménétrier, me dit-il, à voix basse, une demoiselle, qui vous veut du bien, vous attend dans son carrosse sur la chaussée, entre la rivière et la porte de la Conférence. Le cour me battit très fort.

Effrayé et ravi de cette aventure, je me rendis tout de suite à l'endroit indiqué par le capucin, en marchant toutefois d'un pas tranquille, qui me parut le plus avantageux.

Parvenu sur le quai, je vis un carrosse avec une petite main posée sur le bord de la portière.

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