La Main Gauche Toutes ces suppositions m'assaillirent et me fatiguèrent si bien que tout doucement je glissai à mon tour dans un sommeil profond.
Publié le 11/04/2014
Extrait du document
«
Ce fut tout.
Une heure plus tard, ma belle Arabe était installée dans une grande chambre claire; et comme je venais
m'assurer que tout allait bien, elle me demanda, d'un ton suppliant, de lui faire cadeau d'une armoire à glace.
Je promis, puis je la laissai accroupie sur un tapis du Djebel-Amour, une cigarette à la bouche, et bavardant
avec la vieille Arabe que j'avais envoyé chercher, comme si elles se connaissaient depuis des années.
II
Pendant un mois, je fus très heureux avec elle et je m'attachai d'une façon bizarre à cette créature d'une autre
race, qui me semblait presque d'une autre espèce, née sur une planète voisine.
Je ne l'aimais pasnonon n'aime point les filles de ce continent primitif.
Entre elles et nous, même entre
elles et leurs mâles naturels, les Arabes, jamais n'éclôt la petite fleur bleue des pays du Nord.
Elles sont trop
près de l'animalité humaine, elles ont un coeur trop rudimentaire, une sensibilité trop peu affinée, pour éveiller
dans nos âmes l'exaltation sentimentale qui est la poésie de l'amour.
Rien d'intellectuel, aucune ivresse de la
pensée ne se mêle à l'ivresse sensuelle que provoquent en nous ces êtres charmants et nuls.
Elles nous tiennent pourtant, elles nous prennent, comme les autres, mais d'une façon différente, moins tenace,
moins cruelle, moins douloureuse.
Ce que j'éprouvai pour celle-ci, je ne saurais encore l'expliquer d'une façon précise.
Je vous disais tout à
l'heure que ce pays, cette Afrique nue, sans arts, vide de toutes les joies intelligentes, fait peu à peu la
conquête de notre chair par un charme inconnaissable et sûr, par la caresse de l'air, par la douceur constante
des aurores et des soirs, par sa lumière délicieuse, par le bien-être discret dont elle baigne tous nos organes!
Eh bien! Allouma me prit de la même façon, par mille attraits cachés, captivants et physiques, par la séduction
pénétrante non point de ses embrassements, car elle était d'une nonchalance toute orientale, mais de ses doux
abandons.
Je la laissais absolument libre d'aller et de venir à sa guise et elle passait au moins une après-midi sur deux
dans le campement voisin, au milieu des femmes de mes agriculteurs indigènes.
Souvent aussi, elle demeurait
durant une journée presque entière, à se mirer dans l'armoire à glace en acajou que j'avais fait venir de
Miliana.
Elle s'admirait en toute conscience, debout, devant la grande porte de verre où elle suivait ses
mouvements avec une attention profonde et grave.
Elle marchait la tête un peu penchée en arrière, pour juger
ses hanches et ses reins, tournait, s'éloignait, se rapprochait, puis, fatiguée enfin de se mouvoir, elle s'asseyait
sur un coussin et demeurait en face d'elle-même, les yeux dans ses yeux, le visage sévère, l'âme noyée dans
cette contemplation.
Bientôt, je m'aperçus qu'elle sortait presque chaque jour après le déjeuner, et qu'elle disparaissait
complètement jusqu'au soir.
Un peu inquiet, je demandai à Mohammed s'il savait ce qu'elle pouvait faire pendant ces longues heures
d'absence.
Il répondit avec tranquillité:
Ne te tourmente pas, c'est bientôt le Ramadan.
Elle doit aller à ses dévotions.
Lui aussi semblait ravi de la présence d'Allouma dans la maison; mais pas une fois je ne surpris entre eux le
moindre signe un peu suspect, pas une fois, ils n'eurent l'air de se cacher de moi, de s'entendre, de me
dissimuler quelque chose.
J'acceptais donc la situation telle quelle sans la comprendre, laissant agir le temps, le hasard et la vie.
La Main Gauche
II 10.
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