La Main Gauche de son souffle, je pris mon chapeau, afin de me sauver.
Publié le 11/04/2014
Extrait du document
«
Pas de lune! Quelle nuit! j'avais peur, une peur affreuse dans ces étroits sentiers, entre deux lignes de tombes!
Des tombes! des tombes! des tombes! Toujours des tombes! A droite, à gauche, devant moi, autour de moi,
partout, des tombes! Je m'assis sur une d'elles, car je ne pouvais plus marcher tant mes genoux fléchissaient.
J'entendais battre mon coeur! Et j'entendais autre chose aussi! Quoi? un bruit confus innommable! Était-ce
dans ma tête affolée, dans la nuit impénétrable, ou sous la terre mystérieuse, sous la terre ensemencée de
cadavres humains, ce bruit? Je regardais autour de moi!
Combien de temps suis-je resté là? Je ne sais pas.
J'étais paralysé par la terreur, j'étais ivre d'épouvante, prêt à
hurler, prêt à mourir.
Et soudain il me sembla que la dalle de marbre sur laquelle j'étais assis remuait.
Certes, elle remuait, comme
si on l'eût soulevée.
D'un bond je me jetai sur le tombeau voisin, et je vis, oui, je vis la pierre que je venais de
quitter se dresser toute droite; et le mort apparut, un squelette nu qui, de son dos courbé la rejetait.
Je voyais,
je voyais très bien, quoique la nuit fût profonde.
Sur la croix je pus lire:
«Ici repose Jacques Olivant, décédé à l'âge de cinquante et un ans.
Il aimait les siens, fut honnête et bon, et
mourut dans la paix du Seigneur.»
Maintenant le mort aussi lisait les choses écrites sur son tombeau.
Puis il ramassa une pierre dans le chemin,
une petite pierre aiguë, et se mit à les gratter avec soin, ces choses.
Il les effaça tout à fait, lentement,
regardant de ses yeux vides la place où tout à l'heure elles étaient gravées; et, du bout de l'os qui avait été son
index, il écrivit en lettres lumineuses comme ces lignes qu'on trace aux murs avec le bout d'une allumette:
«Ici repose Jacques Olivant, décédé à l'âge de cinquante et un ans.
Il hâta par ses duretés la mort de son père
dont il désirait hériter, il tortura sa femme, tourmenta ses enfants, trompa ses voisins, vola quand il le put et
mourut misérable.»
Quand il eût achevé d'écrire, le mort immobile contempla son oeuvre.
Et je m'aperçus, on me retournant, que
toutes les tombes étaient ouvertes, que tous les cadavres en étaient sortis, que tous avaient effacé les
mensonges inscrits par les parents sur la pierre funéraire, pour y rétablir la vérité.
Et je voyais que tous avaient été les bourreaux de leurs proches, haineux, déshonnêtes, hypocrites, menteurs,
fourbes, calomniateurs, envieux, qu'ils avaient volé, trompé, accompli tous les actes honteux, tous les actes
abominables, ces bons pères, ces épouses fidèles, ces fils dévoués, ces jeunes filles chastes, ces commerçants
probes, ces hommes et ces femmes dits irréprochables.
Ils écrivaient tous en même temps, sur le seuil de leur demeure éternelle, la cruelle, terrible et sainte vérité que
tout le monde ignore ou feint d'ignorer sur la terre.
Je pensai qu'elle aussi avait dû la tracer sur sa tombe.
Et sans peur maintenant, courant au milieu des cercueils
entr'ouverts, au milieu des cadavres, au milieu des squelettes, j'allai vers elle, sûr que je la trouverais aussitôt.
Je la reconnus de loin, sans voir le visage enveloppé du suaire.
Et sur la croix de marbre où tout à l'heure j'avais lu:
«Elle aima, fut aimée, et mourut.»
J'aperçus.
«Étant sortie un jour pour tromper son amant, elle eut froid sous la pluie, et mourut.» La Main Gauche
LA MORTE 78.
»
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