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Publié le 29/10/2013
Extrait du document
«
La fabrication de l'information
le temps des citadelles
termes de menaces potentielles pour la quiétude des
citadelles - vague d'émigration, flambée de violence ou
effondrement économique.
Ce nouveau dispositif du pouvoir existe d'une façon
fractale, c'est-à-dire que cette forme unique, cette distri-
bution géographique, se reproduit à l'infini du plus grand
vers le plus petit, du niveau mondial jusqu'à l'appar-
tement privé.
Il y a des pays intouchables et des pays no
man's land.
À l'intérieur de chacun d'eux, les villes, les
quartiers vont à leur tour être fractionnés de la même
façon.
Si, à l'époque des deux blocs, le pouvoir s'exer-
çait au nom d'un danger frontal venant de l'extérieur,
clairement identifiable, nul ne sait plus trop, au temps
des citadelles, quelle forme va prendre la menace.
Elle
entoure, assiège sans qu'on sache très bien où elle va à
nouveau frapper.
Comme la « cinquième colonne » pen-
dant la guerre froide, le risque plane aussi à l'intérieur
même des forteresses : la drogue, les étrangers, les mala-
dies, les mendiants dans la rue...
Voilà qui motive notre
rigidité, disent les gouvernants.
Le catalogue des menaces
est suffisamment étendu, voire infini, pour justifier le
quadrillage de l'ensemble de la vie, du quotidien.
Et cha-
cun finit par se vivre comme une petite citadelle, elle-
même assiégée par le chômage, la nourriture, l'exposition
au soleil, l'eau ou l'air.
Cette distribution du monde et des individus, toute
hérissée de cloisonnements et de barricades, s'organise
autour de la notion d'« insécurité ».
Ainsi sera qualifié le
moindre acte de violence, la plus légère crainte.
Dans la
plupart des cas, il s'agit de situations réelles, de défis à
affronter effectivement.
L'abus, en revanche, se trouve
dans l'amalgame, cette manière de rassembler le tout, de
la vache folle jusqu'aux attentats, sous un même chapeau
baptisé « insécurité ».
Né d'une constellation complexe, le
monde des citadelles avait besoin d'une cosmogonie
pour l'expliquer et d'un récit pour la justifier.
C'est celui
de l'insécurité.
Le sentiment de peur, diffus et omnipré-
sent, va dès lors structurer toutes les situations.
Sans tenter de le remettre en cause, la majorité des
médias occidentaux l'ont repris à leur compte, le posant
comme un des mythes centraux de leur fameuse taxino-
mie.
De droite, de gauche, ou de nulle part, on n'écrira
pas l'« immigration », mais plus volontiers le «problème
de l'immigration », instaurant qu'il s'agit d'un sujet forcé-
ment obscur et lourd.
Le fait que ce phénomène social
soit d'emblée situé dans le registre de l'inquiétude ne
sera en revanche jamais remis en cause.
Plus générale-
ment, le nouveau découpage du monde constitue une
des grilles les plus efficaces, parfois consciente et parfois
non, qui va peser dans les choix faits par les journaux.
Chaque reportage va ainsi se décider et s'orienter de
lui-même selon qu'un événement a lieu dans une cita-
delle ou un no man's land.
La «vraie vie» se déroule for-
cément dans les forteresses.
En dehors de quelques
abus, y règne la démocratie, le libre marché, toute cette
ossature institutionnelle que nous envie forcément le
reste du monde.
Même pour les critiquer, il convient de
suivre siège par siège chaque changement de gouverne-
ment, et on ne plaisante pas avec les sommets interna-
tionaux.
Les millions de dollars que brasse un banquier
de Genève ont plus de poids que ceux des rois du
pétrole, les drogues que prennent les cyclistes du Tour
de France doivent, au fond, être moins terribles que
celles des gymnastes chinoises.
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