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La destitution du duc du Maine

Publié le 23/04/2011

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maine

   Enfin le Garde dès sceaux ouvrit la bouche, et dès la première période il annonça la chute d'un des frères (1) et la conservation de l'autre (2). L'effet de cette période sur tous les visages est inexprimable. Quelque occupé que je fusse à contenir le mien, je n'en perdis pourtant aucune chose. L'étonnement prévalut aux autres passions. Beaucoup parurent aises, soit équité, soit haine pour lé duc du Maine, soit affection pour le comte de Toulouse ; plusieurs consternés. Le premier président perdit toute contenance ; son visage, si suffisant et si audacieux, fut saisi d'un mouvement convulsif ; l'excès seul de sa rage le préserva de l'évanouissement. Ce fut bien pis à la lecture de la déclaration. Chaque mot était législatif et portait une chute nouvelle. L attention était générale, tenait chacun immobile pour n'en pas perdre un mot, et les yeux sur le greffier gui lisait. Vers le tiers de cette lecture, le premier président, grinçant le peu de dents qui lui restaient, se laissa tomber le front sur son bâton, qu'il tenait à deux mains, et, en cette singulière posture et si marquée, acheva d'entendre cette lecture si accablante pour lui, si résurrective (1) pour nous. Moi cependant je me mourais de joie; j'en étais à craindre la défaillance ; mon cœur, dilaté à l'excès, ne trouvait plus d'espace à s'étendre. La violence que je me faisais pour ne rien laisser échapper était infinie, et néanmoins ce tourment était délicieux. [...] (2). Je triomphais, je me vengeais, je nageais dans ma vengeance ; je jouissais du plein accomplissement des désirs les plus véhéments et les plus continus de toute ma vie. J'étais tenté de ne me plus soucier de rien. Toutefois je ne laissais pas d'entendre cette vivifiante lecture, dont tous les mots résonnaient sur mon cœur comme l'archet sur un instrument, et d'examiner en même temps les impressions différentes qu'elle faisait sur chacun.    Saint-Simon, Mémoires pour l'année 1718.    Vous ferez un commentaire composé de ce texte en montrant comment l'art de la narration et l'imagination du mémorialiste sont mis au service de la passion.    (1) Le duc du Maine, bâtard de Louis XIV, qui perd ses prérogatives de prince du sang. (2) Le comte de Toulouse, autre bâtard du roi.

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