La Curée Par grâce, dit-il, finissons-en avec cette désagréable question d'argent.
Publié le 11/04/2014
Extrait du document
«
Il s'oubliait.
Il parla longtemps ainsi avec un cynisme railleur qui perçait par instants sous son air bonhomme.
Il mit en avant son frère le député, son père le receveur particulier de Plassans.
Il finit par faire la conquête de
la tante Elisabeth, qui voyait avec une joie involontaire, sous les doigts de cet habile homme, le drame dont
elle souffrait depuis un mois, se terminer en une comédie presque gaie.
Il fut convenu qu'on irait chez le
notaire le lendemain.
Dès que Mme Aubertot se fut retirée, il se rendit à l'Hôtel de Ville, y passa la journée à fouiller certains
documents connus de lui.
Chez le notaire, il éleva une difficulté, il dit que la dot de Renée ne se composant
que de biens-fonds, il craignait pour elle beaucoup de tracas, et qu'il croyait sage de vendre au moins
l'immeuble de la rue de la Pépinière pour lui constituer une rente sur le grand-livre.
Mme Aubertot voulut en
référer à M.
Béraud du Châtel, toujours cloîtré dans son appartement.
Saccard se remit en course jusqu'au
soir.
Il alla rue de la Pépinière, il courut Paris de l'air songeur d'un général à la veille d'une bataille décisive.
Le lendemain, Mme Aubertot dit que M.
Béraud du Châtel s'en remettait complètement à elle.
Le contrat fut
rédigé sur les bases déjà débattues.
Saccard apportait deux cent mille francs, Renée avait en dot la propriété
de la Sologne et l'immeuble de la rue de la Pépinière, qu'elle s'engageait à vendre; en outre, en cas de mort de
son premier enfant, elle restait seule propriétaire des terrains de Charonne que lui donnait sa tante.
Le contrat
fut établi sur le régime de la séparation des biens qui conserve aux époux l'entière administration de leur
fortune.
La tante Elisabeth, qui écoutait attentivement le notaire, parut satisfaite de ce régime dont les
dispositions semblaient assurer l'indépendance de sa nièce, en mettant sa fortune à l'abri de toute tentative.
Saccard avait un vague sourire, en voyant la bonne dame approuver chaque clause d'un signe de tête.
Le
mariage fut fixé au terme le plus court.
Quand tout fut réglé, Saccard alla cérémonieusement annoncer à son frère Eugène son union avec Mlle Renée
Béraud du Châtel.
Ce coup de maître étonna le député.
Comme il laissait voir sa sut prise:
\24 Tu m'as dit de chercher, dit l'employé, j'ai cherché et j'ai trouvé.
Eugène, dérouté d'abord, entrevit alors la vérité.
Et d'une voix charmante:
\24 Allons, tu es un homme habile...
Tu viens me demander pour témoin, n'est- ce pas? Compte sur moi...
S'il
le faut, je mènerai à ta noce tout le côté droit du Corps législatif; ça te poserait joliment...
Puis, comme il avait ouvert la porte, d'un ton plus bas:
\24 Dis?...
Je ne veux pas trop me compromettre en ce moment, nous avons une loi fort dure à faire voter...
La
grossesse, au moins, n'est pas trop avancée?
Saccard lui jeta un regard si aigu qu'Eugène se dit en refermant la porte « Voilà une plaisanterie qui me
coûterait cher si je n'étais pas un Rougon.»
Le mariage eut lieu dans l'église Saint-Louis-en-l'Ile.
Saccard et Renée ne se virent que la veille de ce grand
jour.
La scène se passa le soir, à la tombée de la nuit, dans une salle basse de l'hôtel Béraud.
Ils s'examinèrent
curieusement.
Renée, depuis qu'on négociait son mariage, avait retrouvé son allure d'écervelée, sa tête folle.
C'était une grande fille, d'une beauté exquise et turbulente, qui avait poussé librement dans ses caprices de
pensionnaire.
Elle trouva Saccard petit, laid, mais d'une laideur tourmentée et intelligente qui ne lui déplut
pas; il fut, d'ailleurs, parfait de ton et de manières.
Lui fit une légère grimace en l'apercevant; elle lui sembla
sans doute trop grande, plus grande que lui.
Ils échangèrent quelques paroles sans embarras.
Si le père s'était
trouvé là, il aurait pu croire, en effet, qu'ils se connaissaient depuis longtemps, qu'ils avaient derrière eux
quelque faute commune.
La tante Elisabeth, présente à l'entretien, rougissait pour eux.
La Curée
PARTIE II 38.
»
↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓
Liens utiles
- QUESTION D’ARGENT (La). d’Alexandre Dumas fils
- Question 124 Bénéficiant de l'état de grâce, la gauche au pouvoir accélère le processus de transformation de la société française.
- Question 160: L'affaire Pechiney met en cause, en janvier 1989, la collusion du pouvoir et des puissances d'argent.
- L'HISTORIEN ET LA QUESTION DU SUICIDE
- Question d’interprétation Comment Dom Juan défend-il dans ce discours de l’hypocrisie ?