La Curée Il baissa encore la voix.
Publié le 11/04/2014
Extrait du document
«
loin.
Depuis un instant, la vue de Maxime et de Louise, comme elle traversait une allée, avait brusquement arrêté
la jeune femme derrière un arbuste.
Autour d'elle, la serre chaude, pareille à une nef d'église, et dont de
minces colonnettes de fer montaient d'un jet soutenir le vitrail cintré, étalait ses végétations grasses, ses
nappes de feuilles puissantes, ses fusées épanouies de verdure.
Au milieu, dans un bassin ovale, au ras du sol, vivait, de la vie mystérieuse et glauque des plantes d'eau, toute
la flore aquatique des pays du soleil.
Des Cyclanthus, dressant leurs panaches verts, entouraient, d'une
ceinture monumentale, le jet d'eau, qui ressemblait au chapiteau tronqué de quelque colonne cyclopéenne.
Puis, aux deux bouts, de grands Tornélia élevaient leurs broussailles étranges au-dessus du bassin, leurs bois
secs, dénudés, tordus comme des serpents malades, et laissant tomber des racines aériennes, semblables à des
filets de pêcheur pendus au grand air.
Près du bord, un Pandanus de Java épanouissait sa gerbe de feuilles
verdâtres, striées de blanc, minces comme des épées, épineuses et dentelées comme des poignards malais.
Et,
à fleur d'eau, dans la tiédeur de la nappe dormante doucement chauffée, des Nymphéa ouvraient leurs étoiles
roses, tandis que des Furyal les laissaient traîner leurs feuilles rondes, leurs feuilles lépreuses, nageant à plat
comme des dos de crapauds monstrueux couverts de pustules.
Pour gazon, une large bande de Sélaginelle entourait le bassin.
Cette fougère naine formait un épais tapis de
mousse, d'un vert tendre.
Et, au-delà de la grande allée circulaire, quatre énormes massifs allaient d'un élan
vigoureux jusqu'au cintre: les Palmiers, légèrement penchés dans leur grâce, épanouissaient leurs éventails,
étalaient leurs têtes arrondies, laissaient pendre leurs palmes, comme des avirons lassés par leur éternel
voyage dans le bleu de l'air, les grands Bambous de l'Inde montaient droits, frêles et durs, faisant tomber de
haut leur pluie légère de feuilles; un Ravenala, l'arbre du voyageur, dressait son bouquet d'immenses écrans
chinois; et, dans un coin, un Bananier, chargé de ses fruits, allongeait de toutes parts ses longues feuilles
horizontales, où deux amants pourraient se coucher à l'aise en se serrant l'un contre l'autre.
Aux angles, il y
avait des Euphorbes d'Abyssinie, ces cierges épineux, contrefaits, pleins de bosses honteuses, suant le poison.
Et, sous les arbres, pour couvrir le sol, des fougères basses, les Adiantum, les Ptérides mettaient leurs
dentelles délicates, leurs fines découpures.
Les Alsophila, d'espèce plus haute, étageaient leurs rangs de
rameaux symétriques, sexangulaires, si réguliers, qu'on aurait dit de grandes pièces de faïence destinées à
contenir les fruits de quelque dessert gigantesque.
Puis, une bordure de Bégonia et de Caladium entourait les
massifs; les Bégonia, à feuilles torses, tachées superbement de vert et de rouge; les Caladium, dont les
feuilles en fer de lance, blanches et à nervures vertes, ressemblent à de larges ailes de papillon; plantes
bizarres dont le feuillage vit étrangement, avec un éclat sombre ou palissant de fleurs malsaines.
Derrière les massifs, une seconde allée, plus étroite faisait le tour de la serre.
Là, sur des gradins, cachant à
demi les tuyaux de chauffage, fleurissaient les Maranta, douces au toucher comme du velours, les Gloxinia,
aux cloches violettes, les Dracéna, semblables à des lames de vieille laque vernie.
Mais un des charmes de ce jardin d'hiver était aux quatre coins, des antres de verdure, des berceaux profonds,
que recouvraient d'épais rideaux de lianes.
Des bouts de forêt vierge avaient bâti, en ces endroits, leurs murs
de feuilles, leurs fouillis impénétrables de tiges, de jets souples, s'accrochant aux branches, franchissant le
vide d'un vol hardi, retombant de la voûte comme des glands de tentures riches.
Un pied de Vanille, dont les
grosses gousses mûres exhalaient des senteurs pénétrantes, courait sur la rondeur d'un portique garni de
mousse; les Coques du Levant tapissaient les colonnettes de leurs feuilles rondes; les Bauhinia, aux grappes
rouges, les Quisqualus, dont les fleurs pendaient comme des colliers de verroterie, filaient, se coulaient, se
nouaient, ainsi que des couleuvres minces, jouant et s'allongeant sans fin dans le noir des verdures.
Et, sous les arceaux, entre les massifs, çà et là, des chaînettes de fer soutenaient des corbeilles, dans lesquelles
s'étalaient des Orchidées, les plantes bizarres du plein ciel, qui poussent de toutes parts leurs rejets trapus,
noueux et déjetés comme des membres infirmes.
Il y avait les Sabots de Vénus, dont la fleur ressemble à une La Curée
La Curée 22.
»
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