La Curée de ses amis qui allait être exproprié, rue de la Pépinière; il eut bien soin de dire à chacun des deux compères qu'il ne parlerait de cette affaire à aucun autre membre de la commission, que c'était une chose en l'air, mais qu'il comptait sur toute sa bienveillance.
Publié le 11/04/2014
Extrait du document
«
trouva plus.
Il courut chez Larsonneau, qui lui avoua carrément qu'il les avait, en effet, et qu'il les gardait.
L'autre ne se fâcha pas; il sembla dire qu'il n'avait eu de l'inquiétude que pour ce cher ami, beaucoup plus
compromis que lui par ces écritures presque entièrement de sa main, mais qu'il était rassuré, du moment où
elles se trouvaient en sa possession.
Au fond, il eût volontiers étranglé le « cher ami »; il se souvenait d'une
pièce fort compromettante, d'un inventaire faux, qu'il avait eu la bêtise de dresser, et qui devait être resté dans
l'un des registres.
Larsonneau, payé grassement, alla monter un cabinet d'affaires rue de Rivoli, où il eut des
bureaux meublés avec le luxe d'un appartement de fille.
Saccard, après avoir quitté l'Hôtel de Ville, pouvant
mettre en branle un roulement de fonds considérable, se lança dans la spéculation à outrance, tandis que
Renée, grisée, folle, emplissait Paris du bruit de ses équipages, de l'éclat de ses diamants, du vertige de sa vie
adorable et tapageuse.
Parfois, le mari et la femme, ces deux fièvres chaudes de l'argent et du plaisir, allaient dans les brouillards
glacés de l'île Saint-Louis.
Il leur semblait qu'ils entraient dans une ville morte.
L'hôtel Béraud, bâti vers le commencement du dix-septième siècle, était une de ces constructions carrées,
noires et graves, aux étroites et hautes fenêtres, nombreuses au Marais, et qu'on loue à des pensionnats, à des
fabricants d'eau de Seltz, à des entrepositaires de vins et d'alcools.
Seulement, il était admirablement
conservé.
Sur la rue Saint-Louis-en-l'Ile, il n'avait que trois étages, des étages de quinze à vingt pieds de
hauteur.
Le rez-de-chaussée, plus écrasé, était percé de fenêtres garnies d'énormes barres de fer, s'enfonçant
lugubrement dans la sombre épaisseur des murs, et d'une porte arrondie, presque aussi haute que large, à
marteau de fonte, peinte en gros vert et garnie de clous énormes qui dessinaient des étoiles et des losanges sur
les deux vantaux.
Cette porte était typique, avec les bornes qui la flanquaient, renversées à demi et largement
cerclées de fer.
On voyait qu'anciennement on avait ménagé le lit d'un ruisseau, au milieu de la porte, entre
les pentes légères du cailloutage du porche; mais M.
Béraud s'était décidé à boucher ce ruisseau en faisant
bitumer l'entrée ; ce fut, d'ailleurs, le seul sacrifice aux architectes modernes qu'il accepta jamais.
Les fenêtres
des étages étaient garnies de minces rampes de fer forgé, laissant voir leurs croisées colossales à fortes
boiseries brunes et à petits carreaux verdâtres.
En haut, devant les mansardes, le toit s'interrompait, la
gouttière continuait seule son chemin pour conduire les eaux de pluie aux tuyaux de descente.
Et ce qui
augmentait encore la nudité austère de la façade, c'était l'absence absolue de persiennes et de jalousies, le
soleil ne venant en aucune saison sur ces pierres pâles et mélancoliques.
Cette façade, avec son air vénérable,
sa sévérité bourgeoise, dormait solennellement dans le recueillement du quartier, dans le silence de la rue que
les voitures ne troublaient guère.
A l'intérieur de l'hôtel, se trouvait une cour carrée, entourée d'arcades, une réduction de la place Royale,
dallée d'énormes pavés, ce qui achevait de donner à cette maison morte l'apparence d'un cloître.
En face du
porche, une fontaine, une tête de lion à demi effacée, et dont on ne voyait plus que la gueule entrouverte
jetait, par un tube de fer, une eau lourde et monotone, dans une auge verte de mousse, polie sur les bords par
l'usure.
Cette eau était glaciale.
Des herbes poussaient entre les pavés.
L'été, un mince coin de soleil
descendait dans la cour, et cette visite rare avait blanchi un angle de la façade, au midi, tandis que les trois
autres pans, moroses et noirâtres, étaient zébrés de moisissures.
Là, au fond de cette cour fraîche et muette
comme un puits, éclairée d'un jour blanc d'hiver, on se serait cru à mille lieues de ce nouveau Paris où
flambaient toutes les chaudes jouissances, dans le vacarme des millions.
Les appartements de l'hôtel avaient le calme triste, la solennité froide de la cour.
Desservis par un large
escalier à rampe de fer, où les pas et la toux des visiteurs sonnaient comme sous une voûte d'église, ils
s'étendaient en longues enfilades de vastes et hautes pièces, dans lesquelles se perdaient de vieux meubles, de
bois sombre et trapu; et le demi-jour n'était peuplé que par les personnages des tapisseries, dont on apercevait
vaguement les grands corps blêmes.
Tout le luxe de l'ancienne bourgeoisie parisienne était là, un luxe
inusable et sans mollesse, des sièges dont le chêne est recouvert à peine d'un peu d'étoupe, des lits aux étoffes
rigides, des bahuts à linge où la rudesse des planches compromettrait singulièrement la frêle existence des
robes modernes.
M.
Béraud du Châtel avait choisi son appartement dans la partie la plus noire de l'hôtel, La Curée
PARTIE II 46.
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