Devoir de Philosophie

La Curée de ses amis qui allait être exproprié, rue de la Pépinière; il eut bien soin de dire à chacun des deux compères qu'il ne parlerait de cette affaire à aucun autre membre de la commission, que c'était une chose en l'air, mais qu'il comptait sur toute sa bienveillance.

Publié le 11/04/2014

Extrait du document

La Curée de ses amis qui allait être exproprié, rue de la Pépinière; il eut bien soin de dire à chacun des deux compères qu'il ne parlerait de cette affaire à aucun autre membre de la commission, que c'était une chose en l'air, mais qu'il comptait sur toute sa bienveillance. L'agent voyer avait eu raison de craindre et de prendre ses précautions. Quand le dossier relatif à son immeuble arriva devant la commission des indemnités, il se trouva justement qu'un des membres habitait la rue d'Astorg et connaissait la maison. Ce membre se récria sur le chiffre de cinq cent mille francs, que, selon lui, on devait réduire de plus de moitié. Aristide avait eu l'impudence de faire demander sept cent mille francs. Ce jour-là, M. Toutin- Laroche, d'ordinaire très désagréable pour ses collègues, était d'une humeur plus massacrante encore que de coutume. Il se fâcha, il prit la défense des propriétaires. Nous sommes tous propriétaires, messieurs, criait-il... L'empereur veut faire de grandes choses, ne lésinons pas sur des misères... Cette maison doit valoir les cinq cent mille francs; c'est un de nos hommes, un employé de la Ville, qui a fixé ce chiffre... Vraiment, on dirait que nous vivons dans la forêt de Bondy; vous verrez que nous finirons par nous soupçonner entre nous. Le baron Gouraud, appesanti sur son siège, regardait du coin de l'oeil, d'un air surpris, M. Toutin-Laroche jetant feu et flamme en faveur du propriétaire de la rue de la Pépinière. Il eut un soupçon. Mais, en somme, comme cette sortie violente le dispensait de prendre la parole, il se mit à hocher doucement la tête, en signe d'approbation absolue. Le membre de la rue d'Astorg résistait, révolté, ne voulant pas plier devant les deux tyrans de la commission dans une question où il était plus compétent que ces messieurs. Ce fut alors que M. Toutin-Laroche, ayant remarqué les signes approbatifs du baron, s'empara vivement du dossier et dit d'une voix sèche: C'est bien. Nous éclaircirons vos doutes... Si vous le permettez, je me charge de l'affaire, et le baron Gouraud fera l'enquête avec moi. Oui, oui, dit gravement le baron, rien de louche ne doit entacher nos décisions. Le dossier avait déjà disparu dans les vastes poches de M. Toutin-Laroche. La commission dut s'incliner. Sur le quai, comme ils sortaient, les deux compères se regardèrent sans rire. Ils se sentaient complices, ce qui redoublait leur aplomb. Deux esprits vulgaires eussent provoqué une explication; eux continuèrent à plaider la cause des propriétaires, comme si on eût pu les entendre encore, et à déplorer l'esprit de méfiance qui se glissait partout. Au moment où ils allaient se quitter: - Ah! j'oubliais, mon cher collègue, dit le baron avec un sourire, je pars tout à l'heure pour la campagne. Vous seriez bien aimable d'aller faire sans moi cette petite enquête... Et surtout ne me vendez pas, ces messieurs se plaignent de ce que je prends trop de vacances. Soyez tranquille, répondit M. Toutin-Laroche, je vais de ce pas rue de la Pépinière. Il rentra tranquillement chez lui, avec une pointe d'admiration pour le baron, qui dénouait si joliment les situations délicates. Il garda le dossier dans sa poche, et, à la séance suivante, il déclara, d'un ton péremptoire, au nom du baron et au sien, qu'entre l'offre de cinq cent mille francs et la demande de sept cent mille francs il fallait prendre un moyen terme et accorder six cent mille francs. Il n'y eut pas la moindre opposition. Le membre de la rue d'Astorg, qui avait réfléchi sans doute, dit avec une grande bonhomie qu'il s'était trompé: il avait cru qu'il s'agissait de la maison voisine. Ce fut ainsi qu'Aristide Saccard remporta sa première victoire. Il quadrupla sa mise de fonds et gagna deux complices. Une seule chose l'inquiéta; lorsqu'il voulut anéantir les fameux livres de Mme Sidonie, il ne les PARTIE II 45 La Curée trouva plus. Il courut chez Larsonneau, qui lui avoua carrément qu'il les avait, en effet, et qu'il les gardait. L'autre ne se fâcha pas; il sembla dire qu'il n'avait eu de l'inquiétude que pour ce cher ami, beaucoup plus compromis que lui par ces écritures presque entièrement de sa main, mais qu'il était rassuré, du moment où elles se trouvaient en sa possession. Au fond, il eût volontiers étranglé le « cher ami »; il se souvenait d'une pièce fort compromettante, d'un inventaire faux, qu'il avait eu la bêtise de dresser, et qui devait être resté dans l'un des registres. Larsonneau, payé grassement, alla monter un cabinet d'affaires rue de Rivoli, où il eut des bureaux meublés avec le luxe d'un appartement de fille. Saccard, après avoir quitté l'Hôtel de Ville, pouvant mettre en branle un roulement de fonds considérable, se lança dans la spéculation à outrance, tandis que Renée, grisée, folle, emplissait Paris du bruit de ses équipages, de l'éclat de ses diamants, du vertige de sa vie adorable et tapageuse. Parfois, le mari et la femme, ces deux fièvres chaudes de l'argent et du plaisir, allaient dans les brouillards glacés de l'île Saint-Louis. Il leur semblait qu'ils entraient dans une ville morte. L'hôtel Béraud, bâti vers le commencement du dix-septième siècle, était une de ces constructions carrées, noires et graves, aux étroites et hautes fenêtres, nombreuses au Marais, et qu'on loue à des pensionnats, à des fabricants d'eau de Seltz, à des entrepositaires de vins et d'alcools. Seulement, il était admirablement conservé. Sur la rue Saint-Louis-en-l'Ile, il n'avait que trois étages, des étages de quinze à vingt pieds de hauteur. Le rez-de-chaussée, plus écrasé, était percé de fenêtres garnies d'énormes barres de fer, s'enfonçant lugubrement dans la sombre épaisseur des murs, et d'une porte arrondie, presque aussi haute que large, à marteau de fonte, peinte en gros vert et garnie de clous énormes qui dessinaient des étoiles et des losanges sur les deux vantaux. Cette porte était typique, avec les bornes qui la flanquaient, renversées à demi et largement cerclées de fer. On voyait qu'anciennement on avait ménagé le lit d'un ruisseau, au milieu de la porte, entre les pentes légères du cailloutage du porche; mais M. Béraud s'était décidé à boucher ce ruisseau en faisant bitumer l'entrée ; ce fut, d'ailleurs, le seul sacrifice aux architectes modernes qu'il accepta jamais. Les fenêtres des étages étaient garnies de minces rampes de fer forgé, laissant voir leurs croisées colossales à fortes boiseries brunes et à petits carreaux verdâtres. En haut, devant les mansardes, le toit s'interrompait, la gouttière continuait seule son chemin pour conduire les eaux de pluie aux tuyaux de descente. Et ce qui augmentait encore la nudité austère de la façade, c'était l'absence absolue de persiennes et de jalousies, le soleil ne venant en aucune saison sur ces pierres pâles et mélancoliques. Cette façade, avec son air vénérable, sa sévérité bourgeoise, dormait solennellement dans le recueillement du quartier, dans le silence de la rue que les voitures ne troublaient guère. A l'intérieur de l'hôtel, se trouvait une cour carrée, entourée d'arcades, une réduction de la place Royale, dallée d'énormes pavés, ce qui achevait de donner à cette maison morte l'apparence d'un cloître. En face du porche, une fontaine, une tête de lion à demi effacée, et dont on ne voyait plus que la gueule entrouverte jetait, par un tube de fer, une eau lourde et monotone, dans une auge verte de mousse, polie sur les bords par l'usure. Cette eau était glaciale. Des herbes poussaient entre les pavés. L'été, un mince coin de soleil descendait dans la cour, et cette visite rare avait blanchi un angle de la façade, au midi, tandis que les trois autres pans, moroses et noirâtres, étaient zébrés de moisissures. Là, au fond de cette cour fraîche et muette comme un puits, éclairée d'un jour blanc d'hiver, on se serait cru à mille lieues de ce nouveau Paris où flambaient toutes les chaudes jouissances, dans le vacarme des millions. Les appartements de l'hôtel avaient le calme triste, la solennité froide de la cour. Desservis par un large escalier à rampe de fer, où les pas et la toux des visiteurs sonnaient comme sous une voûte d'église, ils s'étendaient en longues enfilades de vastes et hautes pièces, dans lesquelles se perdaient de vieux meubles, de bois sombre et trapu; et le demi-jour n'était peuplé que par les personnages des tapisseries, dont on apercevait vaguement les grands corps blêmes. Tout le luxe de l'ancienne bourgeoisie parisienne était là, un luxe inusable et sans mollesse, des sièges dont le chêne est recouvert à peine d'un peu d'étoupe, des lits aux étoffes rigides, des bahuts à linge où la rudesse des planches compromettrait singulièrement la frêle existence des robes modernes. M. Béraud du Châtel avait choisi son appartement dans la partie la plus noire de l'hôtel, PARTIE II 46

« trouva plus.

Il courut chez Larsonneau, qui lui avoua carrément qu'il les avait, en effet, et qu'il les gardait. L'autre ne se fâcha pas; il sembla dire qu'il n'avait eu de l'inquiétude que pour ce cher ami, beaucoup plus compromis que lui par ces écritures presque entièrement de sa main, mais qu'il était rassuré, du moment où elles se trouvaient en sa possession.

Au fond, il eût volontiers étranglé le « cher ami »; il se souvenait d'une pièce fort compromettante, d'un inventaire faux, qu'il avait eu la bêtise de dresser, et qui devait être resté dans l'un des registres.

Larsonneau, payé grassement, alla monter un cabinet d'affaires rue de Rivoli, où il eut des bureaux meublés avec le luxe d'un appartement de fille.

Saccard, après avoir quitté l'Hôtel de Ville, pouvant mettre en branle un roulement de fonds considérable, se lança dans la spéculation à outrance, tandis que Renée, grisée, folle, emplissait Paris du bruit de ses équipages, de l'éclat de ses diamants, du vertige de sa vie adorable et tapageuse.

Parfois, le mari et la femme, ces deux fièvres chaudes de l'argent et du plaisir, allaient dans les brouillards glacés de l'île Saint-Louis.

Il leur semblait qu'ils entraient dans une ville morte.

L'hôtel Béraud, bâti vers le commencement du dix-septième siècle, était une de ces constructions carrées, noires et graves, aux étroites et hautes fenêtres, nombreuses au Marais, et qu'on loue à des pensionnats, à des fabricants d'eau de Seltz, à des entrepositaires de vins et d'alcools.

Seulement, il était admirablement conservé.

Sur la rue Saint-Louis-en-l'Ile, il n'avait que trois étages, des étages de quinze à vingt pieds de hauteur.

Le rez-de-chaussée, plus écrasé, était percé de fenêtres garnies d'énormes barres de fer, s'enfonçant lugubrement dans la sombre épaisseur des murs, et d'une porte arrondie, presque aussi haute que large, à marteau de fonte, peinte en gros vert et garnie de clous énormes qui dessinaient des étoiles et des losanges sur les deux vantaux.

Cette porte était typique, avec les bornes qui la flanquaient, renversées à demi et largement cerclées de fer.

On voyait qu'anciennement on avait ménagé le lit d'un ruisseau, au milieu de la porte, entre les pentes légères du cailloutage du porche; mais M.

Béraud s'était décidé à boucher ce ruisseau en faisant bitumer l'entrée ; ce fut, d'ailleurs, le seul sacrifice aux architectes modernes qu'il accepta jamais.

Les fenêtres des étages étaient garnies de minces rampes de fer forgé, laissant voir leurs croisées colossales à fortes boiseries brunes et à petits carreaux verdâtres.

En haut, devant les mansardes, le toit s'interrompait, la gouttière continuait seule son chemin pour conduire les eaux de pluie aux tuyaux de descente.

Et ce qui augmentait encore la nudité austère de la façade, c'était l'absence absolue de persiennes et de jalousies, le soleil ne venant en aucune saison sur ces pierres pâles et mélancoliques.

Cette façade, avec son air vénérable, sa sévérité bourgeoise, dormait solennellement dans le recueillement du quartier, dans le silence de la rue que les voitures ne troublaient guère.

A l'intérieur de l'hôtel, se trouvait une cour carrée, entourée d'arcades, une réduction de la place Royale, dallée d'énormes pavés, ce qui achevait de donner à cette maison morte l'apparence d'un cloître.

En face du porche, une fontaine, une tête de lion à demi effacée, et dont on ne voyait plus que la gueule entrouverte jetait, par un tube de fer, une eau lourde et monotone, dans une auge verte de mousse, polie sur les bords par l'usure.

Cette eau était glaciale.

Des herbes poussaient entre les pavés.

L'été, un mince coin de soleil descendait dans la cour, et cette visite rare avait blanchi un angle de la façade, au midi, tandis que les trois autres pans, moroses et noirâtres, étaient zébrés de moisissures.

Là, au fond de cette cour fraîche et muette comme un puits, éclairée d'un jour blanc d'hiver, on se serait cru à mille lieues de ce nouveau Paris où flambaient toutes les chaudes jouissances, dans le vacarme des millions.

Les appartements de l'hôtel avaient le calme triste, la solennité froide de la cour.

Desservis par un large escalier à rampe de fer, où les pas et la toux des visiteurs sonnaient comme sous une voûte d'église, ils s'étendaient en longues enfilades de vastes et hautes pièces, dans lesquelles se perdaient de vieux meubles, de bois sombre et trapu; et le demi-jour n'était peuplé que par les personnages des tapisseries, dont on apercevait vaguement les grands corps blêmes.

Tout le luxe de l'ancienne bourgeoisie parisienne était là, un luxe inusable et sans mollesse, des sièges dont le chêne est recouvert à peine d'un peu d'étoupe, des lits aux étoffes rigides, des bahuts à linge où la rudesse des planches compromettrait singulièrement la frêle existence des robes modernes.

M.

Béraud du Châtel avait choisi son appartement dans la partie la plus noire de l'hôtel, La Curée PARTIE II 46. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles