La Curée de battre de ses gros souliers de provincial ce pavé brûlant d'où il comptait faire jaillir des millions.
Publié le 11/04/2014
Extrait du document
«
\24 Oh! je sais que tu es intelligent, poursuivit Eugène, et que tu ne commettrais plus une sottise
improductive...
Dès qu'une bonne occasion se présentera, je te caserai.
Si d'ici là tu avais besoin d'une pièce
de vingt francs, viens me la demander.
Ils causèrent un instant de l'insurrection du Midi, dans laquelle leur père avait gagné sa recette particulière.
Eugène s'habillait tout en causant.
Dans la rue, au moment de le quitter, il retint son frère un instant encore, il
lui dit à voix plus basse:
- Tu m'obligeras en ne battant pas le pavé et en attendant tranquillement chez toi l'emploi que je te promets...
Il me serait désagréable de voir mon frère faire antichambre.
Aristide avait du respect pour Eugène, qui lui semblait un gaillard hors ligne.
Il ne lui pardonna pas ses
défiances, ni sa franchise un peu rude; mais il alla docilement s'enfermer rue Saint-Jacques.
Il était venu avec
cinq cents francs que lui avait prêtés le père de sa femme.
Les frais du voyage payés, il fit durer un mois les
trois cents francs qui lui restaient.
Angèle était une grosse mangeuse; elle crut, en outre, devoir rafraîchir sa
toilette de gala par une garniture de rubans mauves.
Ce mois d'attente parut interminable à Aristide.
L'impatience le brûlait.
Lorsqu'il se mettait à la fenêtre, et qu'il sentait sous lui le labeur géant de Paris, il lui
prenait des envies folles de se jeter d'un bond dans la fournaise, pour y pétrir l'or de ses mains fiévreuses,
comme une cire molle.
Il aspirait ces souffles encore vagues qui montaient de la grande cité, ces souffles de
l'empire naissant, où traînaient déjà des odeurs d'alcôves et de tripots financiers, des chaleurs de jouissances.
Les fumets légers qui lui arrivaient lui disaient qu'il était sur la bonne piste que le gibier courait devant lui,
que la grande chasse impériale, la chasse aux aventures, aux femmes, aux millions, commençait enfin.
Ses
narines battaient, son instinct de bête affamée saisissait merveilleusement au passage les moindres indices de
la curée chaude dont la ville allait être le théâtre.
Deux fois, il alla chez son frère, pour activer ses démarches.
Eugène l'accueillit avec brusquerie, lui répétant
qu'il ne l'oubliait pas, mais qu'il fallait attendre.
Il reçut enfin une lettre qui le priait de passer rue de
Penthièvre.
Il y alla, le coeur battant à grands coups, comme à un rendez-vous d'amour.
Il trouva Eugène devant son éternelle petite table noire, dans la grande pièce glacée qui lui servait de bureau.
Dès qu'il l'aperçut, l'avocat lui tendit un papier, en disant:
\24 Tiens, j'ai reçu ton affaire hier.
Tu es nommé commissaire voyer adjoint à l'Hôtel de Ville.
Tu auras deux
mille quatre cents francs d'appointements.
Aristide était resté debout.
Il blêmit et ne prit pas le papier, croyant que son frère se moquait de lui.
Il avait
espéré au moins une place de six mille francs.
Eugène, devinant ce qui se passait en lui, tourna sa chaise, et,
se croisant les bras:
\24 Serais-tu un sot? demanda-t-il avec quelque colère...
Tu fais des rêves de fille, n'est-ce pas? Tu voudrais
habiter un bel appartement, avoir des domestiques, bien manger, dormir dans la soie, te satisfaire tout de suite
aux bras de la première venue, dans un boudoir meublé en deux heures...
Toi et tes pareils, si nous vous
laissions faire, vous videriez les coffres avant même qu'ils fussent pleins.
Eh! bon Dieu! aie quelque patience!
Vois comme je vis, et prends au moins la peine de te baisser pour ramasser une fortune.
Il parlait avec un mépris profond des impatiences d'écolier de son frère.
On sentait, dans sa parole rude, des
ambitions plus hautes, des désirs de puissance pure; ce naïf appétit de l'argent devait lui paraître bourgeois et
puéril.
Il continua d'une voix plus douce, avec un fin sourire:
\24 Certes tes dispositions sont excellentes, et je n'ai garde de les contrarier.
Les hommes comme toi sont
précieux.
Nous comptons bien choisir nos bons amis parmi les plus affamés.
Va, sois tranquille, nous La Curée
PARTIE II 26.
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