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La Conquete De Plassans --Ah!

Publié le 11/04/2014

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La Conquete De Plassans --Ah! bien, qu'il attende. Monseigneur Rousselot avait eu un léger tressaillement, mais il fit un geste de décision presque plaisant, il regarda l'abbé Faujas d'un air d'intelligence. --Tenez, sortez par ici, lui dit-il en ouvrant une porte cachée sous une portière. Il l'arrêta sur le seuil, il continua à le regarder en riant. --Fenil va être furieux.... Vous me promettez de me défendre contre lui, s'il crie trop fort? Je vous le mets sur les bras, je vous en avertis. Je compte bien aussi que vous ne laisserez pas réélire le marquis de Lagrifoul.... Dame! c'est sur vous que je m'appuie maintenant, cher monsieur Faujas. Il le salua du bout de sa main blanche, puis rentra nonchalamment dans la tiédeur de son cabinet. L'abbé était resté courbé, surpris de l'aisance toute féminine avec laquelle monseigneur Rousselot changeait de maître et se livrait au plus fort. Alors seulement il sentit que l'évêque venait de se moquer de lui, comme il devait se moquer de l'abbé Fenil, du fauteuil moelleux où il traduisait Horace. Le jeudi suivant, vers dix heures, au moment où la belle société de Plassans s'écrasait dans le salon vert des Rougon, l'abbé Faujas parut sur le seuil. Il était superbe, grand, rose, vêtu d'une soutane fine qui luisait comme un satin. Il resta grave avec un léger sourire, à peine un pli aimable des lèvres, tout juste ce qu'il fallait pour éclairer sa face austère d'un rayon de bonhomie. --Ah! c'est ce cher curé! cria gaiement madame de Condamin. Mais la maîtresse de la maison se précipita; elle prit dans ses deux mains une des mains de l'abbé, l'amenant au milieu du salon, le cajolant du regard, avec un doux balancement de tête. --Quelle surprise, quelle bonne surprise! répéta-t-elle. Voilà un siècle qu'on ne vous a vu. Il faut donc que le bonheur tombe chez vous, pour que vous vous souveniez de vos amis? Lui, saluait avec aisance. Autour de lui, c'était une ovation flatteuse, un chuchotement de femmes ravies. Madame Delangre et madame Rastoil n'attendirent pas qu'il vînt les saluer; elles s'avancèrent pour le complimenter de sa nomination qui était officielle depuis le matin. Le maire, le juge de paix, jusqu'à monsieur de Bourdeu, lui donnèrent des poignées de main vigoureuses. --Hein! quel gaillard! murmura M. de Condamin à l'oreille du docteur Porquier; il ira loin. Je l'ai flairé dès le premier jour.... Vous savez qu'ils mentent comme des arracheurs de dents, la vieille Rougon et lui, avec leurs simagrées. Je l'ai vu se glisser ici plus de dix fois, à la nuit tombante. Ils doivent tremper dans de jolies histoires, tous les deux! Mais le docteur Porquier eût une peur atroce que M. de Condamin ne le compromît; il se hâta de le quitter pour serrer, comme les autres, la main de l'abbé Faujas, bien qu'il ne lui eût jamais adressé la parole. Cette entrée triomphale fut le grand événement de la soirée. L'abbé s'étant assis, un triple cercle de jupes l'entoura. Il causa avec une charmante bonhomie, parla de toutes choses, évitant soigneusement de répondre aux allusions. Félicité l'ayant questionné directement, il se contenta de dire qu'il n'habiterait pas la cure, qu'il préférait le logement où il vivait si tranquille, depuis près de trois ans. Marthe était là, parmi les dames, très-réservée, ainsi qu'à son ordinaire. Elle avait simplement souri à l'abbé, le regardant de loin, un peu pâle, l'air las et inquiet. Mais, lorsqu'il eut fait connaître son intention de ne pas quitter la rue Balande, elle rougit beaucoup, elle se leva pour passer dans le petit salon, comme suffoquée par la chaleur. Madame Paloque, auprès de laquelle M. de Condamin était allé s'asseoir, ricana en lui disant assez haut pour être entendue: XI 77 La Conquete De Plassans --C'est propre, n'est-ce pas?... Elle devrait au moins ne pas lui donner des rendez-vous ici, puisqu'ils ont toute la journée chez eux. Seul, M. de Condamin se mit à rire. Les autres personnes prirent un air froid. Madame Paloque, comprenant qu'elle venait de se faire du tort, essaya de tourner la chose en plaisanterie. Cependant, dans les coins, on causait de l'abbé Fenil. La grande curiosité était de savoir s'il allait venir. M. de Bourdeu, un des amis du grand vicaire, raconta doctement qu'il était souffrant. La nouvelle de cette indisposition fut accueillie par des sourires discrets. Tout le monde était au courant de la révolution qui avait eu lieu à l'évêché. L'abbé Surin donnait à ces dames des détails très-curieux, sur l'horrible scène survenue entre monseigneur et le grand vicaire. Ce dernier, battu par monseigneur, faisait raconter qu'une attaque de goutte le clouait chez lui. Mais ce n'était pas là un dénoûment, et l'abbé Surin ajoutait que «l'on en verrait bien d'autres.» Cela se répétait à l'oreille avec de petites exclamations, des hochements de tête, des moues de surprise et de doute. Pour l'instant, du moins, c'était l'abbé Faujas qui l'emportait. Aussi les belles dévotes se chauffaient-elles doucement à ce soleil levant. Vers le milieu de la soirée, l'abbé Bourrette entra. Les conversations se turent, on le regarda curieusement. Personne n'ignorait que, la veille encore, il comptait sur la cure de Saint-Saturnin; il avait suppléé l'abbé Compan pendant sa longue maladie; la place était à lui. Il resta un instant sur le seuil sans remarquer le mouvement que son arrivée produisait, un peu essoufflé, les paupières battantes. Puis, ayant aperçu l'abbé Faujas, il se précipita, lui serra les deux mains avec effusion, en s'écriant: --Ah! mon bon ami, laissez-moi vous féliciter.... Je viens de chez vous, où j'ai appris par votre mère que vous étiez ici.... Je suis bien heureux de vous rencontrer. L'abbé Faujas s'était levé, gêné, malgré son grand sang-froid, surpris par ces tendresses qu'il n'attendait point. --Oui, murmura-t-il, j'ai dû accepter, malgré mon peu de mérite.... J'avais d'abord refusé, citant à monseigneur des prêtres plus dignes, vous citant vous-même.... L'abbé Bourrette cligna les yeux; et, l'emmenant à l'écart, baissant la voix: --Monseigneur m'a tout conté.... Il paraît que Fenil ne voulait absolument pas entendre parler de moi. Il aurait mis le feu au diocèse, si j'avais été nommé: ce sont ses propres paroles. Mon crime est d'avoir fermé les yeux à ce pauvre Compan.... Et il exigeait, comme vous le savez, la nomination de l'abbé Chardon. Un homme pieux sans doute, mais d'une insuffisance notoire. Le grand vicaire comptait régner sous son nom à Saint-Saturnin.... C'est alors que monseigneur vous a donné la place pour lui échapper et lui faire pièce. Cela me venge. Je suis enchanté, mon cher ami.... Est-ce que vous connaissiez l'histoire? --Non, pas dans les détails. --Eh bien! les choses se sont passées ainsi, je vous l'affirme. Je tiens les faits de la bouche même de monseigneur.... Entre nous, il m'a laissé entrevoir un beau dédommagement. Le second grand vicaire, l'abbé Vial, a depuis longtemps le désir d'aller se fixer à Rome; la place serait libre, vous entendez. Enfin, silence sur tout ceci.... Je ne donnerais pas ma journée pour beaucoup d'argent. Et il continuait à serrer les mains de l'abbé Faujas, tandis que sa large face jubilait d'aise. Autour d'eux, les dames se regardaient d'un air étonné, avec des sourires. Mais la joie du bonhomme était si franche, qu'elle finit par se communiquer à tout le salon vert, où l'ovation faite au nouveau curé prit un caractère plus intime et plus attendri. Les jupes se rapprochèrent; on parla des orgues de la cathédrale, qui avaient besoin d'être réparées; madame de Condamin promit un reposoir superbe pour la procession de la prochaine Fête-Dieu. XI 78

« —C'est propre, n'est-ce pas?...

Elle devrait au moins ne pas lui donner des rendez-vous ici, puisqu'ils ont toute la journée chez eux. Seul, M.

de Condamin se mit à rire.

Les autres personnes prirent un air froid.

Madame Paloque, comprenant qu'elle venait de se faire du tort, essaya de tourner la chose en plaisanterie.

Cependant, dans les coins, on causait de l'abbé Fenil.

La grande curiosité était de savoir s'il allait venir.

M.

de Bourdeu, un des amis du grand vicaire, raconta doctement qu'il était souffrant.

La nouvelle de cette indisposition fut accueillie par des sourires discrets.

Tout le monde était au courant de la révolution qui avait eu lieu à l'évêché.

L'abbé Surin donnait à ces dames des détails très-curieux, sur l'horrible scène survenue entre monseigneur et le grand vicaire.

Ce dernier, battu par monseigneur, faisait raconter qu'une attaque de goutte le clouait chez lui.

Mais ce n'était pas là un dénoûment, et l'abbé Surin ajoutait que «l'on en verrait bien d'autres.» Cela se répétait à l'oreille avec de petites exclamations, des hochements de tête, des moues de surprise et de doute.

Pour l'instant, du moins, c'était l'abbé Faujas qui l'emportait.

Aussi les belles dévotes se chauffaient-elles doucement à ce soleil levant. Vers le milieu de la soirée, l'abbé Bourrette entra.

Les conversations se turent, on le regarda curieusement. Personne n'ignorait que, la veille encore, il comptait sur la cure de Saint-Saturnin; il avait suppléé l'abbé Compan pendant sa longue maladie; la place était à lui.

Il resta un instant sur le seuil sans remarquer le mouvement que son arrivée produisait, un peu essoufflé, les paupières battantes.

Puis, ayant aperçu l'abbé Faujas, il se précipita, lui serra les deux mains avec effusion, en s'écriant: —Ah! mon bon ami, laissez-moi vous féliciter....

Je viens de chez vous, où j'ai appris par votre mère que vous étiez ici....

Je suis bien heureux de vous rencontrer. L'abbé Faujas s'était levé, gêné, malgré son grand sang-froid, surpris par ces tendresses qu'il n'attendait point. —Oui, murmura-t-il, j'ai dû accepter, malgré mon peu de mérite....

J'avais d'abord refusé, citant à monseigneur des prêtres plus dignes, vous citant vous-même.... L'abbé Bourrette cligna les yeux; et, l'emmenant à l'écart, baissant la voix: —Monseigneur m'a tout conté....

Il paraît que Fenil ne voulait absolument pas entendre parler de moi.

Il aurait mis le feu au diocèse, si j'avais été nommé: ce sont ses propres paroles.

Mon crime est d'avoir fermé les yeux à ce pauvre Compan....

Et il exigeait, comme vous le savez, la nomination de l'abbé Chardon.

Un homme pieux sans doute, mais d'une insuffisance notoire.

Le grand vicaire comptait régner sous son nom à Saint-Saturnin....

C'est alors que monseigneur vous a donné la place pour lui échapper et lui faire pièce.

Cela me venge.

Je suis enchanté, mon cher ami....

Est-ce que vous connaissiez l'histoire? —Non, pas dans les détails. —Eh bien! les choses se sont passées ainsi, je vous l'affirme.

Je tiens les faits de la bouche même de monseigneur....

Entre nous, il m'a laissé entrevoir un beau dédommagement.

Le second grand vicaire, l'abbé Vial, a depuis longtemps le désir d'aller se fixer à Rome; la place serait libre, vous entendez.

Enfin, silence sur tout ceci....

Je ne donnerais pas ma journée pour beaucoup d'argent. Et il continuait à serrer les mains de l'abbé Faujas, tandis que sa large face jubilait d'aise.

Autour d'eux, les dames se regardaient d'un air étonné, avec des sourires.

Mais la joie du bonhomme était si franche, qu'elle finit par se communiquer à tout le salon vert, où l'ovation faite au nouveau curé prit un caractère plus intime et plus attendri.

Les jupes se rapprochèrent; on parla des orgues de la cathédrale, qui avaient besoin d'être réparées; madame de Condamin promit un reposoir superbe pour la procession de la prochaine Fête-Dieu.

La Conquete De Plassans XI 78. »

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