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La civilisation aujourd'hui

Publié le 13/06/2011

Extrait du document

« Il n'est pas aisé de rester soi-même et de pratiquer la tolérance à l'égard des autres civilisations ; que ce soit à travers une sorte de neutralité scientifique, ou dans la curiosité et l'enthousiasme pour les civilisations les plus lointaines, que ce soit même dans la nostalgie du passé aboli ou à travers un rêve d'innocence et de jouvence, que nous nous livrons à l'exotisme culturel, — la découverte de la pluralité des cultures n'est jamais un exercice inoffensif ; le détachement désabusé à l'égard de notre propre passé, voire le ressentiment contre nous-mêmes qui peuvent nourrir cet exotisme révèlent assez bien la nature du danger subtil qui nous menace. Au moment où nous découvrons qu'il y a des cultures et non pas une culture, au moment par conséquent où nous faisons l'aveu de la fin d'une sorte de monopole culturel, illusoire ou réel, nous sommes menacés de destruction par notre propre découverte ; il devient soudain possible qüil n'y ait plus que les autres, que nous soyons nous-mêmes un autre parmi les autres ; toute signification et tout but ayant disparu, il devient possible de se promener à travers les civilisations comme à travers des vestiges ou des ruines ; l'humanité entière devient une sorte de musée imaginaire : où irons-nous ce week-end ? visiter les ruines d'Angkor ou faire un tour au Tivoli de Copenhague ? Nous pouvons très bien nous représenter un temps qui est proche où n'importe quel chemin moyennement fortuné pourra se dépayser indéfiniment et goûter sa propre mort sous les espèces d'un interminable voyage sans but. A ce point extrême, le triomphe de la culture de consommation, universellement identique et intégralement anonyme, représenterait le degré zéro de la culture de création ; ce serait le scepticisme à l'échelle planétaire, nihilisme absolu dans le triomphe du bien-être. Il faut avouer que ce péril est au moins égal et peut-être plus probable que celui de la destruction automatique. «

Paul RICŒUR, in revue Esprit, 1961 Quels sont les dénouements historiques dont nous approchons si rapidement ? Je vois les marches et contremarches d'hommes surgir par millions, Je vois les frontières et démarcations des vieilles aristocraties brisées, Je vois les bornages des rois d'Europe déplacés. Je vois en ce jour le peuple commencer ses bornages (tous les autres s'effacent) Jamais ne se posèrent avant ce jour d'aussi aigus problèmes, Jamais ne fut l'homme de la moyenne plus énergique en son âme, plus semblable à un dieu. Voyez, comme il talonne et talonne, ne laissant aux masses nul repos ! Son pied hardi est partout sur terre et sur mer. Il colonise le Pacifique, les archipels, Avec le bateau à vapeur, le télégraphe électrique, le journal, les innombrables machines de guerre, Avec tout cela et les usines qui couvrent le monde, il enchaîne la géographie, relie toutes les terres ; Quels sont ces chuchotements, ô terre courant en avant de vous, passant sous les mers ? Toutes les nations conversent-elles? Va-t-il n'y avoir qu'un seul cœur pour le globe ? Est-ce que l'humanité se forme en masse ? Car, voyez, les tyrans tremblent, les couronnes pâlissent ! La terre, inquiète, affronte une ère nouvelle, peut-être une guerre générale divine. Personne ne sait ce qui arrivera demain, de tels présages emplissent les jours et les nuits ; Âge prophétique ! l'espace devant moi tandis que je marche, tandis que j'essaie en vain de le percer est plein de fantômes, Actes non encore nés, choses qui seront bientôt projettent leurs formes autour de moi. Cette ruée incroyable et ces flammes, cette étrange, cette extatique fièvez de rêves, ô âge, Tes rêves, ô âge comme ils me pénètrent, me traversent ! (je ne sais si je dors ou veille). Accomplies, l'Amérique et l'Europe pâlissent, s'enfonçant dans l'ombre derrière moi. L'inaccompli, plus gigantesque que jamais, avance, avance, sur moi.

Walt WHITMAN, L'âge moderne, Feuilles d'herbes, Seghers.

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