La Chartreuse de Parme s'étant aperçue de sa mortelle jalousie, elle voulait la lui reprocher et en même temps l'en consoler par ces regards si tendres.
Publié le 12/04/2014
Extrait du document
«
Fabrice ne devina point son bonheur, trouvant le lendemain les fenêtres de la cantatrice soigneusement
fermées, et ne la voyant nulle part, la plaisanterie commença à lui sembler longue.
Il avait des remords."Dans
quelle situation est-ce que je mets ce pauvre comte Mosca, lui ministre de la Police! on le croira mon
complice, je serai venu dans ce pays pour casser le cou à sa fortune! Mais si j'abandonne un projet si
longtemps suivi, que dira la duchesse quand je lui conterai mes essais d'amour?"
Un soir que prêt à quitter la partie il se faisait ainsi la morale, en rôdant sous les grands arbres qui séparent le
palais de la Fausta de la citadelle, il remarqua qu'il était suivi par un espion de fort petite taille; ce fut en vain
que pour s'en débarrasser il alla passer par plusieurs rues, toujours cet être microscopique semblait attaché à
ses pas.
Impatienté, il courut dans une rue solitaire située le long de la Parma, et où ses gens étaient en
embuscade; sur un signe qu'il fit ils sautèrent sur le pauvre petit espion qui se précipita à leurs genoux; c'était
la Bettina, femme de chambre de la Fausta; après trois jours d'ennui et de réclusion, déguisée en homme pour
échapper au poignard du comte M ***, dont sa maîtresse et elle avaient grand-peur, elle avait entrepris de
venir dire à Fabrice qu'on l'aimait à la passion et qu'on brûlait de le voir; mais on ne pouvait plus paraître à
l'église de Saint-Jean!"Il était temps, se dit Fabrice, vive l'insistance!"
La petite femme de chambre était fort jolie, ce qui enleva Fabrice à ses rêveries morales.
Elle lui apprit que la
promenade et toutes les rues où il avait passé ce soir-là étaient soigneusement gardées, sans qu'il y parût, par
des espions de M ***.
Ils avaient loué des chambres au rez-de-chaussée ou au premier étage, cachés derrière
les persiennes et gardant un profond silence, ils observaient tout ce qui se passait dans la rue, en apparence la
plus solitaire, et entendaient ce qu'on y disait.
\24Si ces espions eussent reconnu ma voix, dit la petite Bettina, j'étais poignardée sans rémission à ma rentrée
au logis, et peut-être ma pauvre maîtresse avec moi.
Cette terreur la rendait charmante, aux yeux de Fabrice.
\24 Le comte M ***, continua-t-elle, est furieux, et Madame sait qu'il est capable de tout...
Elle m'a chargée de
vous dire qu'elle voudrait être à cent lieues d'ici avec vous!
Alors elle raconta la scène du jour de la Saint-Etienne et la fureur de M ***, qui n'avait perdu aucun des
regards et des signes d'amour que la Fausta, ce jour-là folle de Fabrice, lui avait adressés.
Le comte avait tiré
son poignard, avait saisi la Fausta par les cheveux, et, sans sa présence d'esprit, elle était perdue.
Fabrice fit monter la jolie Bettina dans un petit appartement qu'il avait près de là.
Il lui raconta qu'il était de
Turin, fils d'un grand personnage qui pour le moment se trouvait à Parme, ce qui l'obligeait à garder beaucoup
de ménagements.
La Bettina lui répondit en riant qu'il était bien plus grand seigneur qu'il ne voulait le
paraître.
Notre héros eut besoin d'un peu de temps avant de comprendre que la charmante fille le prenait pour
un non moindre personnage que le prince héréditaire lui-même.
La Fausta commençait à avoir peur et à aimer
Fabrice; elle avait pris sur elle de ne pas dire ce nom à sa femme de chambre, et de lui parler du prince.
Fabrice finit par avouer à la jolie fille qu'elle avait deviné juste:
\24 Mais si mon nom est ébruité, ajouta-t-il, malgré la grande passion dont j'ai donné tant de preuves à ta
maîtresse, je serai obligé de cesser de la voir, et aussitôt les ministres de mon père, ces méchants drôles que je
destituerai un jour, ne manqueront pas de lui envoyer l'ordre de vider le pays, que jusqu'ici elle a embelli de sa
présence.
Vers le matin, Fabrice combina avec la petite camériste plusieurs projets de rendez-vous pour arriver à la
Fausta: il fit appeler Ludovic et un autre de ses gens fort adroit, qui s'entendirent avec la Bettina, pendant qu'il
écrivait à la Fausta la lettre la plus extravagante, la situation comportait toutes les exagérations de la tragédie,
et Fabrice ne s'en fit pas faute.
Ce ne fut qu'à la pointe du jour qu'il se sépara de la petite camériste, fort
contente des façons du jeune prince.
La Chartreuse de Parme
CHAPITRE XIII 122.
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