La Chartreuse de Parme réflexions, dans les moments passionnés, paraissent de l'esprit fort plat, comme ferait à Paris un calembour en pareille circonstance.
Publié le 12/04/2014
Extrait du document
«
\24 Puisque les convenances de mon rang me défendent de me donner le suprême bonheur de vous épouser, je
vous jurerai sur la sainte hostie consacrée, de ne jamais me marier sans votre permission par écrit.
Je sens
bien, ajoutait-il, que je vous fais perdre la main d'un premier ministre, homme d'esprit et fort aimable; mais
enfin il a cinquante-six ans, et moi je n'en ai pas encore vingt-deux.
Je croirais vous faire injure et mériter
vos refus si je vous parlais des avantages étrangers à l'amour; mais tout ce qui tient à l'argent dans ma cour
parle avec admiration de la preuve d'amour que le comte vous donne, en vous laissant la dépositaire de tout ce
qui lui appartient.
Je serai trop heureux de l'imiter en ce point.
Vous ferez un meilleur usage de ma fortune
que moi-même, et vous aurez l'entière disposition de la somme annuelle que mes ministres remettent à
l'intendant général de ma couronne; de façon que ce sera vous, madame la duchesse, qui déciderez des
sommes que je pourrai dépenser chaque mois.
La duchesse trouvait tous ces détails bien longs; les dangers de Fabrice lui perçaient le coeur.
\24 Mais vous ne savez donc pas, mon prince, s'écria-t-elle, qu'en ce moment, on empoisonne Fabrice dans
votre citadelle! Sauvez-le! je crois tout.
L'arrangement de cette phrase était d'une maladresse complète.
Au seul mot de poison, tout l'abandon, toute la
bonne foi que ce pauvre prince moral apportait dans cette conversation disparurent en un clin d'oeil; la
duchesse ne s'aperçut de cette maladresse que lorsqu'il n'était plus temps d'y remédier, et son désespoir fut
augmenté, chose qu'elle croyait impossible."Si je n'eusse pas parlé de poison, se dit-elle, il m'accordait la
liberté de Fabrice.
_ cher Fabrice! ajouta-t-elle, il est donc écrit que c'est moi qui dois te percer le coeur par
mes sottises!"
La duchesse eut besoin de beaucoup de temps et de coquetteries pour faire revenir le prince à ses propos
d'amour passionné; mais il resta profondément effarouché.
C'était son esprit seul qui parlait; son âme avait été
glacée par l'idée du poison d'abord, et ensuite par cette autre idée, aussi désobligeante que la première était
terrible: on administre du poison dans mes Etats, et cela sans me le dire! Rassi veut donc me déshonorer aux
yeux de l'Europe! Et Dieu sait ce que je lirai le mois prochain dans les journaux de Paris!
Tout à coup l'âme de ce jeune homme si timide se taisant, son esprit arriva à une idée.
\24 Chère duchesse! vous savez si je vous suis attaché.
Vos idées atroces sur le poison ne sont pas fondées,
j'aime à le croire; mais enfin elles me donnent aussi à penser, elles me font presque oublier pour un instant la
passion que j'ai pour vous, et qui est la seule que de ma vie j'ai éprouvée.
Je sens que je ne suis pas aimable; je
ne suis qu'un enfant bien amoureux; mais enfin mettez-moi à l'épreuve.
Le prince s'animait assez en tenant ce langage.
\24 Sauvez Fabrice, et je crois tout! Sans doute je suis entraînée par les craintes folles d'une âme de mère, mais
envoyez à l'instant chercher Fabrice à la citadelle, que je le voie.
S'il vit encore envoyez-le du palais à la
prison de la ville, où ii restera des mois entiers, si Votre Altesse l'exige, et jusqu'à son jugement.
La duchesse vit avec désespoir que le prince, au lieu d'accorder d'un mot une chose aussi simple, était devenu
sombre; il était fort rouge, il regardait la duchesse, puis baissait les yeux et ses joues pâlissaient.
L'idée de
poison, mal à propos mise en avant, lui avait suggéré une idée digne de son père ou de Philippe II: mais il
n'osait l'exprimer.
\24 Tenez, madame, lui dit-il enfin comme se faisant violence, et d'un ton fort peu gracieux, vous me méprisez
comme un enfant, et de plus, comme un être sans grâces: eh bien! je vais vous dire une chose horrible, mais
qui m'est suggérée à l'instant par la passion profonde et vraie que j'ai pour vous.
Si je croyais le moins du
monde au poison, j'aurais déjà agi, mon devoir m'en faisait une loi; mais je ne vois dans votre demande qu'une La Chartreuse de Parme
CHAPITRE XXV 240.
»
↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓
Liens utiles
- Évoquant le romancier qui par son art soumet l'esprit et l'imagination de son lecteur, Marcel Proust écrivait : « Par lui nous sommes le véritable Protée qui revêt successivement toutes les formes de la vie. A les échanger ainsi les unes contre les autres, nous sentons que pour notre être, devenu si agile et si fort, elles ne sont qu'un jeu, un masque lamentable ou plaisant, mais qui n'a rien de bien réel. Notre infortune ou notre fortune cesse pour un instant de nous tyranniser, nous
- La Chartreuse de Parme de Stendhal (analyse détaillée)
- La Chartreuse de Parme de Stendhal
- Stendhal: La Chartreuse de Parme
- Chartreuse de Parme (la), de Stendhal