La Chartreuse de Parme Que faut-il faire pour plaire à ces beaux yeux?
Publié le 12/04/2014
Extrait du document
«
Le prince chercha des yeux ceux de la duchesse, laquelle, sans le remercier comme il s'y attendait, lui fit une
révérence extrêmement respectueuse et sortit rapidement.
\24 Quelle femme! dit le prince en se tournant vers le comte Mosca.
Celui-ci, ravi de l'exil de la marquise Raversi qui facilitait toutes ses actions comme ministre, parla pendant
une grosse demi-heure en courtisan consommé; il voulait consoler l'amour-propre du souverain, et ne prit
congé que lorsqu'il le vit bien convaincu que l'histoire anecdotique de Louis XIV n'avait pas de page plus
belle que celle qu'il venait de fournir à ses historiens futurs.
En rentrant chez elle, la duchesse ferma sa porte, et dit qu'on n'admît personne, pas même le comte.
Elle
voulait se trouver seule avec elle-même, et voir un peu quelle idée elle devait se former de la scène qui venait
d'avoir lieu.
Elle avait agi au hasard et pour se faire plaisir au moment même; mais à quelque démarche qu'elle
se fût laissé entraîner elle y eût tenu avec fermeté.
Elle ne se fût point blâmée en revenant au sang-froid,
encore moins repentie: tel était le caractère auquel elle devait d'être encore à trente-six ans la plus jolie
femme de la cour.
Elle rêvait en ce moment à ce que Parme pouvait offrir d'agréable, comme elle eût fait au retour d'un long
voyage, tant de neuf heures à onze elle avait cru fermement quitter ce pays pour toujours.
"Ce pauvre comte a fait une plaisante figure lorsqu'il a connu mon départ en présence du prince...
Au fait, c'est
un homme aimable et d'un coeur bien rare! Il eût quitté ses ministères pour me suivre...
Mais aussi pendant
cinq années entières il n'a pas eu une distraction à me reprocher.
Quelles femmes mariées à l'autel pourraient
en dire autant à leur seigneur et maître? Il faut convenir qu'il n'est point important, point pédant; il ne donne
nullement l'envie de le tromper; devant moi il semble toujours avoir honte de sa puissance...
Il faisait une
drôle de figure en présence de son seigneur et maître; s'il était là je l'embrasserais...
Mais pour rien au monde
je ne me chargerais d'amuser un ministre qui a perdu son portefeuille, c'est une maladie dont on ne guérit qu'à
la mort, et...
qui fait mourir.
Quel malheur ce serait d'être ministre jeune! Il faut que je le lui écrive, c'est une
de ces choses qu'il doit savoir officiellement avant de se brouiller avec son prince...
Mais j'oubliais mes bons
domestiques."
La duchesse sonna.
Ses femmes étaient toujours occupées à faire des malles; la voiture était avancée sous le
portique et on la chargeait; tous les domestiques qui n'avaient pas de travail à faire entouraient cette voiture,
les larmes aux yeux.
La Chékina, qui dans les grandes occasions entrait seule chez la duchesse, lui apprit tous
ces détails.
\24 Faites-les monter dit la duchesse.
Un instant après elle passa dans la salle d'attente.
\24 On m'a promis, leur dit-elle, que la sentence contre mon neveu ne serait pas signée par le souverain (c'est
ainsi qu'on parle en Italie); je suspends mon départ, nous verrons si mes ennemis auront le crédit de faire
changer cette résolution.
Après un petit silence, les domestiques se mirent à crier : "Vive Mme la duchesse!"et applaudirent avec
fureur.
La duchesse, qui était déjà dans la pièce voisine, reparut comme une actrice applaudie, fit une petite
révérence pleine de grâce à ses gens et leur dit:
\24 Mes amis, je vous remercie.
Si elle eût dit un mot, tous, en ce moment, eussent marché contre le palais pour l'attaquer.
Elle fit un signe à
un postillon, ancien contrebandier et homme dévoué, qui la suivit.
La Chartreuse de Parme
LIVRE SECONDE 134.
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