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La Chartreuse de Parme Les yeux de la jeune fille avaient déjà pris une tout autre expression; mais, suivant les instructions cent fois répétées de son père, elle répondit avec un air d'ignorance que le langage de ses yeux contredisait hautement: Je n'ai rien appris, monseigneur.

Publié le 12/04/2014

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La Chartreuse de Parme Les yeux de la jeune fille avaient déjà pris une tout autre expression; mais, suivant les instructions cent fois répétées de son père, elle répondit avec un air d'ignorance que le langage de ses yeux contredisait hautement: Je n'ai rien appris, monseigneur. Mon premier grand vicaire, le pauvre Fabrice del Dongo, qui est coupable comme moi de la mort de ce brigand de Giletti, a été enlevé à Bologne où il vivait sous le nom supposé de Joseph Bossi; on l'a renfermé dans votre citadelle il y est arrivé enchaîné à la voiture même qui lé portait. Une sorte de geôlier nommé Barbone, qui jadis eut sa grâce après avoir assassiné un de ses frères, a voulu faire éprouver une violence personnelle à Fabrice; mais mon jeune ami n'est point homme à souffrir une insulte. Il a jeté à ses pieds son infâme adversaire, sur quoi on l'a descendu dans un cachot à vingt pieds sous terre, après lui avoir mis les menottes. Les menottes, non. Ah! vous savez quelque chose! s'écria l'archevêque, et les traits du vieillard perdirent de leur profonde expression de découragement; mais, avant tout, on peut approcher de ce balcon et nous interrompre: seriez-vous assez charitable pour remettre vous-même à don Cesare mon anneau pastoral que voici? La jeune fille avait pris l'anneau, mais ne savait où le placer pour ne pas courir la chance de le perdre. Mettez-le au pouce, dit l'archevêque; et il le plaça lui-même. Puis-je compter que vous remettrez cet anneau? Oui, monseigneur. Voulez-vous me promettre le secret sur ce que je vais ajouter, même dans le cas où vous ne trouveriez pas convenable d'accéder à ma demande? Mais oui, monseigneur, répondit la jeune fille toute tremblante en voyant l'air sombre et sérieux que le vieillard avait pris tout à coup... Notre respectable archevêque, ajouta-t-elle, ne peut que me donner des ordres dignes de lui et de moi. Dites à don Cesare que je lui recommande mon fils adoptif: je sais que les sbires qui l'ont enlevé ne lui ont pas donné le temps de prendre son bréviaire, je prie don Cesare de lui faire tenir le sien, et si M. votre oncle veut l'envoyer demain à l'archevêché, je me charge de remplacer le livre par lui donné à Fabrice. Je prie don Cesare de faire tenir également l'anneau que porte cette jolie main, à M. del Dongo. L'archevêque fut interrompu par le général Fabio Conti qui venait prendre sa fille pour la conduire à sa voiture; il y eut là un petit moment de conversation qui ne fut pas dépourvu d'adresse de la part du prélat. Sans parler en aucune façon du nouveau prisonnier, il s'arrangea de façon à ce que le courant du discours pût amener convenablement dans sa bouche certaines maximes morales et politiques; par exemple: Il y a des moments de crise dans la vie des cours qui décident pour longtemps de l'existence des plus grands personnages; il y aurait une imprudence notable à changer en haine personnelle l'état d'éloignement politique qui est souvent le résultat fort simple de positions opposées. L'archevêque, se laissant un peu emporter par le profond chagrin que lui causait une arrestation si imprévue, alla jusqu'à dire qu'il fallait assurément conserver les positions dont on jouissait, mais qu'il y aurait une imprudence bien gratuite à s'attirer pour la suite des haines furibondes en se prêtant à de certaines choses que l'on n'oublie point. Quand le général fut dans son carrosse avec sa fille: CHAPITRE XV 147 La Chartreuse de Parme Ceci peut s'appeler des menaces, lui dit-il... des menaces à un homme de ma sorte! Il n'y eut pas d'autres paroles échangées entre le père et la fille pendant vingt minutes. En recevant l'anneau pastoral de l'archevêque, Clélia s'était bien promis de parler à son père, lorsqu'elle serait en voiture, du petit service que le prélat lui demandait. Mais après le mot menaces prononcé avec colère, elle se tint pour assurée que son père intercepterait la commission; elle recouvrait cet anneau de la main gauche et le serrait avec passion. Durant tout le temps que l'on mit pour aller du ministère de l'Intérieur à la citadelle, elle se demanda s'il serait criminel à elle de ne pas parler à son père. Elle était fort pieuse, fort timorée, et son coeur, si tranquille d'ordinaire, battait 'avec une violence inaccoutumée mais enfin le qui vive de la sentinelle placée sur le rempart au-dessus de la porte retentit à l'approche de la voiture, avant que Clélia eût trouvé les termes convenables pour disposer son père à ne pas refuser, tant elle avait peur d'être refusée! En montant les trois cent soixante marches qui conduisaient au palais du gouverneur, Clélia ne trouva rien. Elle se hâta de parler à son oncle, qui la gronda et refusa de se prêter à rien. CHAPITRE XVI Eh bien! s'écria le général, en apercevant son frère don Cesare, voilà la duchesse qui va dépenser cent mille écus pour se moquer de moi et faire sauver le prisonnier! Mais pour le moment, nous sommes obligés de laisser Fabrice dans sa prison, tout au faîte de la citadelle de Parme; on le garde bien, et nous l'y retrouverons peut-être un peu changé. Nous allons nous occuper avant tout de la cour, où des intrigues fort compliquées, et surtout les passions d'une femme malheureuse vont décider de son sort. En montant les trois cent quatre-vingt-dix marches' de sa prison à la tour Farnèse, sous les yeux du gouverneur, Fabrice, qui avait tant redouté ce moment, trouva qu'il n'avait pas le temps de songer au malheur. En rentrant chez elle après la soirée du comte Zurla, la duchesse renvoya ses femmes d'un geste puis, se laissant tomber tout habillée sur son lit Fabrice, s'écria-t-elle à haute voix, est au pouvoir de ses ennemis, et peut-être à cause de moi ils lui donneront du poison! Comment peindre le moment de désespoir qui suivit cet exposé de la situation, chez une femme aussi peu raisonnable, aussi esclave de la sensation présente, et, sans se l'avouer, éperdument amoureuse du Jeune prisonnier? Ce furent des cris inarticulés des transports de rage, des mouvements convulsifs, mais pas une larme. Elle renvoyait ses femmes pour les cacher, elle pensait qu'elle allait éclater en sanglots dès qu'elle se trouverait seule; mais les larmes, ce premier soulagement des grandes douleurs, lui manquèrent tout à fait. La colère, l'indignation, le sentiment de son infériorité vis-à-vis du prince, dominaient trop cette âme altière. "Suis-je assez humiliée! s'écriait-elle à chaque instant; on m'outrage, et, bien plus, on expose la vie de Fabrice! et je ne me vengerai pas! Halte-là, mon prince! vous me tuez, soit, vous en avez le pouvoir; mais ensuite moi j'aurai votre vie. Hélas! pauvre Fabrice, à quoi cela te servirait-il? Quelle différence avec ce jour où je voulus quitter Parme! et pourtant alors je me croyais malheureuse... quel aveuglement! J'allais briser toutes les habitudes d'une vie agréable : hélas! sans le savoir, je touchais à un événement qui allait à jamais décider de mon sort. Si, par ses infâmes habitudes de plate courtisanerie, le comte n'eût supprimé le mot CHAPITRE XVI 148
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« \24 Ceci peut s'appeler des menaces, lui dit-il...

des menaces à un homme de ma sorte! Il n'y eut pas d'autres paroles échangées entre le père et la fille pendant vingt minutes. En recevant l'anneau pastoral de l'archevêque, Clélia s'était bien promis de parler à son père, lorsqu'elle serait en voiture, du petit service que le prélat lui demandait.

Mais après le mot menaces prononcé avec colère, elle se tint pour assurée que son père intercepterait la commission; elle recouvrait cet anneau de la main gauche et le serrait avec passion.

Durant tout le temps que l'on mit pour aller du ministère de l'Intérieur à la citadelle, elle se demanda s'il serait criminel à elle de ne pas parler à son père.

Elle était fort pieuse, fort timorée, et son coeur, si tranquille d'ordinaire, battait 'avec une violence inaccoutumée mais enfin le qui vive de la sentinelle placée sur le rempart au-dessus de la porte retentit à l'approche de la voiture, avant que Clélia eût trouvé les termes convenables pour disposer son père à ne pas refuser, tant elle avait peur d'être refusée! En montant les trois cent soixante marches qui conduisaient au palais du gouverneur, Clélia ne trouva rien. Elle se hâta de parler à son oncle, qui la gronda et refusa de se prêter à rien. CHAPITRE XVI \24Eh bien! s'écria le général, en apercevant son frère don Cesare, voilà la duchesse qui va dépenser cent mille écus pour se moquer de moi et faire sauver le prisonnier! Mais pour le moment, nous sommes obligés de laisser Fabrice dans sa prison, tout au faîte de la citadelle de Parme; on le garde bien, et nous l'y retrouverons peut-être un peu changé.

Nous allons nous occuper avant tout de la cour, où des intrigues fort compliquées, et surtout les passions d'une femme malheureuse vont décider de son sort.

En montant les trois cent quatre-vingt-dix marches' de sa prison à la tour Farnèse, sous les yeux du gouverneur, Fabrice, qui avait tant redouté ce moment, trouva qu'il n'avait pas le temps de songer au malheur. En rentrant chez elle après la soirée du comte Zurla, la duchesse renvoya ses femmes d'un geste puis, se laissant tomber tout habillée sur son lit \24 Fabrice, s'écria-t-elle à haute voix, est au pouvoir de ses ennemis, et peut-être à cause de moi ils lui donneront du poison! Comment peindre le moment de désespoir qui suivit cet exposé de la situation, chez une femme aussi peu raisonnable, aussi esclave de la sensation présente, et, sans se l'avouer, éperdument amoureuse du Jeune prisonnier? Ce furent des cris inarticulés des transports de rage, des mouvements convulsifs, mais pas une larme.

Elle renvoyait ses femmes pour les cacher, elle pensait qu'elle allait éclater en sanglots dès qu'elle se trouverait seule; mais les larmes, ce premier soulagement des grandes douleurs, lui manquèrent tout à fait.

La colère, l'indignation, le sentiment de son infériorité vis-à-vis du prince, dominaient trop cette âme altière. "Suis-je assez humiliée! s'écriait-elle à chaque instant; on m'outrage, et, bien plus, on expose la vie de Fabrice! et je ne me vengerai pas! Halte-là, mon prince! vous me tuez, soit, vous en avez le pouvoir; mais ensuite moi j'aurai votre vie.

Hélas! pauvre Fabrice, à quoi cela te servirait-il? Quelle différence avec ce jour où je voulus quitter Parme! et pourtant alors je me croyais malheureuse...

quel aveuglement! J'allais briser toutes les habitudes d'une vie agréable : hélas! sans le savoir, je touchais à un événement qui allait à jamais décider de mon sort.

Si, par ses infâmes habitudes de plate courtisanerie, le comte n'eût supprimé le mot La Chartreuse de Parme CHAPITRE XVI 148. »

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