La Chartreuse de Parme Fabrice doubla le pas, les femmes le suivirent en criant, et beaucoup de pauvres mâles, accourant par toutes les rues, firent une sorte de petite sédition.
Publié le 12/04/2014
Extrait du document
«
Trois jours après le départ de Pépé, il fut bien étonné de recevoir une lettre énorme fermée avec une tresse de
soie comme du temps de Louis XIV, et adressée à Son Excellence révérendissime monseigneur Fabrice del
Dongo, premier grand-vicaire du diocèse de Parme, chanoine, etc.
"Mais, est-ce que je suis encore tout cela?"se dit-il en riant.
L'épître de l'archevêque Landriani était un
chef-d'oeuvre de logique et de clarté; elle n'avait pas moins de dix-neuf grandes pages, et racontait fort bien
tout ce qui s'était passé à Parme à l'occasion de la mort de Giletti.
Une armée française commandée par le maréchal Ney et marchant sur la ville n'aurait pas produit plus d'effet,
lui disait le bon archevêque; à l'exception de la duchesse et de moi, mon très cher fils, tout le monde croit que
vous vous êtes donné le plaisir de tuer l'histrion Giletti.
Ce malheur vous fût-il arrivé ce sont de ces choses
qu'on assoupit avec deux cents louis et une absence de six mois, mais la Raversi veut renverser le comte
Mosca à l'aide de cet incident.
Ce n'est point l'affreux péché du meurtre que le public blâme en vous, c'est
uniquement la maladresse ou plutôt l'insolence de ne pas avoir daigné recourir à un bulo (sorte de fier-à-bras
subalterne).
Je vous traduis ici en termes clairs les discours qui m'environnent, car depuis ce malheur à jamais
déplorable, je me rends tous les jours dans trois maisons des plus considérables de la ville pour avoir
l'occasion de vous justifier.
Et jamais je n'ai cru faire un plus saint usage du peu d'éloquence que le Ciel a
daigné m'accorder.
Les écailles tombaient des yeux de Fabrice, les nombreuses lettres de la duchesse, remplies de transports
d'amitié, ne daignaient jamais raconter.
La duchesse lui jurait de quitter Parme à jamais, si bientôt il n'y
rentrait triomphant.
"Le comte fera pour toi, lui disait-elle dans la lettre qui accompagnait celle de l'archevêque, tout ce qui est
humainement possible.
Quant à moi, tu as changé mon caractère avec cette belle équipée; je suis maintenant
aussi avare que le banquier Tombone; j'ai renvoyé tous mes ouvriers, j'ai fait plus, j'ai dicté au comte
l'inventaire de ma fortune, qui s'est trouvée bien moins considérable que je ne le pensais.
Après la mort de
l'excellent comte Pietranera, que, par parenthèses, tu aurais bien plutôt dû venger, au lieu de t'exposer contre
un être de l'espèce de Giletti, je restai avec douze cents livres de rente et cinq mille francs de dette; je me
souviens, entre autres choses, que j'avais deux douzaines et demie de souliers de satin blanc venant de Paris, et
une seule paire de souliers pour marcher dans la rue.
Je me suis presque décidée à prendre les trois cent mille
francs que me laisse le duc, et que je voulais employer en entier à lui élever un tombeau magnifique.
Au reste,
c'est la marquise Raversi qui est ta principale ennemie, c'est-à-dire la mienne; si tu t'ennuies seul à Bologne,
tu n'as qu'à dire un mot, j'irai te rejoindre.
Voici quatre nouvelles lettres de change, etc."
La duchesse ne disait mot à Fabrice de l'opinion qu'on avait à Parme sur son affaire, elle voulait avant tout le
consoler et, dans tous les cas, la mort d'un être ridicule tel que Giletti ne lui semblait pas de nature à être
reprochée sérieusement à un del Dongo.
\24 Combien de Giletti nos ancêtres n'ont-ils pas envoyés dans l'autre monde, disait-elle au comte, sans que
personne se soit mis en tête de leur en faire un reproche?
Fabrice tout étonné, et qui entrevoyait pour la première fois le véritable état des choses, se mit à étudier la
lettre de l'archevêque.
Par malheur, l'archevêque lui-même le croyait plus au fait qu'il ne l'était réellement.
Fabrice comprit que ce qui faisait surtout le triomphe de la marquise Raversi, c'est qu'il était impossible de
trouver des témoins de visu de ce fatal combat.
Le valet de chambre qui le premier en avait apporté la
nouvelle à Parme était à l'auberge du village Sanguigna lorsqu'il avait eu lieu; la petite Marietta et la vieille
femme qui lui servait de mère avaient disparu, et la marquise avait acheté le veturino qui conduisait la voiture
et qui faisait maintenant une déposition abominable.
La Chartreuse de Parme
CHAPITRE XII 112.
»
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