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LA BONNE ÉDUCATION

Publié le 12/08/2011

Extrait du document

LE JUSTE : Eh bien! je dirai ce qu'il en était de l'ancienne éducation, quand c'était moi, avec les justes maximes que je soutiens, qui étais à l'honneur et que la bonne conduite régnait. D'abord, il n'était pas question qu'on entendît un enfant souffler mot; et puis il fallait voir dans les rues les jeunes gens marcher en bon ordre pour se rendre à l'école de musique, groupés par quartiers, en tenue légère, neigeât-il comme plâtre! Et on les formait à savoir chanter un hymne sans se ratatiner sur leur séant; par exemple : Redoutable Pallas, qui abats les remparts! ou bien Une clameur au loin répercutée en faisant vibrer les robustes accents de la tradition ancestrale; et si l'un d'eux faisait le pitre, ou roulait une roulade à la mode du jour, une de ces ariettes qui déraillent à chaque tournant, il lui en cuisait; il était amplement rossé, comme assassin des muses. A table, pas question de s'adjuger le bon morceau, - même d'un raifort! — de chiper aux gens d'âge anis ou persil, de faire la fine bouche, ni de ricaner en gloussant, ni de croiser les jambes!

L'INJUSTE : Vieilles rengaines, tout cela!

LE JUSTE : C'est pourtant ces préceptes-là qui m'ont permis d'éduquer et de former les combattants du Marathon. Tandis que toi, tu apprends aux gamins d'aujourd'hui à vivre dès l'enfance emmitouflés dans des paletots! Ainsi donc, jeune homme, montre-toi vaillant, choisis-moi, choisis le raisonnement droit. Grâce à moi, tu sauras t'abstenir avec dégoût de traîner sur le pavé et dans les maisons de bains, tu sauras rougir de tout ce qui est honteux; et si l'on te raille, prendre feu, et te lever de ton siège en l'honneur des gens d'âge quand ils approchent; et ne pas traiter tes parents par-dessous la jambe; et éviter toute autre conduite honteuse qui souillerait la pudeur qui est l'éclat de ton charme; et ne pas te ruer dans quelque boîte à danseuses, de peur que profitant de ce que tu seras bouche bée là devant, une petite catin ne te mette le grappin dessus et voilà ta réputation en miettes! - et ne pas répliquer à ton père, ni le traiter de vieux fossile en lui rappelant hargneusement l'âge qu'il a pris depuis le temps que tu as reçu la becquée!

L'INJUSTE : Vingt dieux! Si tu te laisses mener sur ces chemins-là, jeune homme, tu auras tout de la race des niquedouilles, on t'appellera Dadais-jus de navet!

LE JUSTE : Mais non! resplendissant, épanoui, tu passeras ton temps dans les gymnases, au lieu de traîner sur la place à jacasser des alambiquages barbelés, comme on fait à présent; et de te laminer la cervelle pour une chinoiserie ergotemberlificotante. Tu descendras au Parc des Loisirs, où sous les oliviers sacrés tu t'exerceras à la course, le front ceint d'une souple couronne de jonc, avec un camarade aussi vertueux que toi, fleurant le chèvrefeuille, la libre paix du coeur, le peuplier et ses jonchées de feuillage argenté; et le printemps te versera son allégresse, lorsque le platane et l'ormeau se chuchotent leurs secrets. Si tu fais ce que je te dis, en t'appliquant à mes leçons, tu auras toujours : le teint bien vermeil; les épaules larges; le torse musclé; la langue succincte. Mais si tu adoptes les façons d'à présent, d'abord tu auras : le teint tout blafard; les épaules maigres; le torse fluet; la langue pendante; et la harangue à n'en plus finir! Et puis (montrant son adversaire) il te fera tenir pour vil tout ce qui est beau, pour beau tout ce qui est vil. Et par-dessus le marché, il fera de toi le plus immonde des ruffians.

ARISTOPHANE, 423 av. J.-C. Les Nuées, Gallimard.

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