La Bete Humaine Eh!
Publié le 11/04/2014
Extrait du document
«
Ce soir-là, Pecqueux arriva au dépôt très ivre.
Le lendemain du jour où il avait surpris Philomène et Jacques,
il était remonté sur la machine 608, comme chauffeur, avec ce dernier; et, depuis ce temps, il ne faisait
aucune allusion, assombri, ayant l'air de ne point oser regarder son chef.
Mais celui-ci le sentait de plus en
plus révolté, refusant d'obéir, l'accueillant d'un grognement sourd, dès qu'il lui donnait un ordre.
Ils avaient
fini par cesser complètement de se parler.
Cette tôle mouvante, ce petit pont qui les emportait autrefois, si
unis, n'était plus à cette heure que la planche étroite et dangereuse où se heurtait leur rivalité.
La haine
grandissait, ils en étaient à se dévorer dans ces quelques pieds carrés, filant à toute vitesse, et d'où les aurait
précipités la moindre secousse.
Et, ce soir-là, en voyant Pecqueux ivre, Jacques se méfia; car il le savait trop
sournois pour se fâcher à jeun, le vin seul déchaînait en lui la brute.
Le train qui devait partir vers six heures, fut retardé.
Il était nuit déjà, lorsqu'on embarqua les soldats comme
des moutons, dans des wagons à bestiaux.
On avait simplement cloué des planches en guise de banquettes, on
les empilait là-dedans, par escouades, bourrant les voitures au-delà du possible; si bien qu'ils s'y trouvaient
assis les uns sur les autres, quelques-uns debout, serrés à ne pas remuer un bras.
Dès leur arrivée à Paris, un
autre train les attendait, pour les diriger sur le Rhin.
Ils étaient déjà écrasés de fatigue, dans l'ahurissement du
départ.
Mais, comme on leur avait distribué de l'eau-de-vie, et que beaucoup s'étaient répandus chez les
débitants du voisinage, ils avaient une gaieté échauffée et brutale, très rouges, les yeux hors de la tête.
Et, dès
que le train s'ébranla, sortant de la gare, ils se mirent à chanter.
Jacques, tout de suite, regarda le ciel, dont une vapeur d'orage cachait les étoiles.
La nuit serait très sombre,
pas un souffle n'agitait l'air brûlant; et le vent de la course, toujours si frais, semblait tiède.
A l'horizon noir, il
n'y avait d'autres feux que les étincelles vives des signaux.
Il augmenta la pression pour franchir la grande
rampe d'Harfleur à Saint-Romain.
Malgré l'étude qu'il faisait d'elle depuis des semaines, il n'était pas maître
encore de la machine 608, trop neuve, dont les caprices, les écarts de jeunesse le surprenaient.
Cette nuit-là,
particulièrement, il la sentait rétive, fantasque, prête à s'emballer pour quelques morceaux de charbon de trop.
Aussi, la main sur le volant du changement de marche, surveillait-il le feu, de plus en plus inquiet des allures
de son chauffeur.
La petite lampe qui éclairait le niveau de l'eau, laissait la plate-forme dans une pénombre,
que la porte du foyer, rougie, rendait violâtre.
Il distinguait mal Pecqueux, il avait eu aux jambes, à deux
reprises, la sensation d'un frôlement, comme si des doigts se fussent exercés à le prendre là.
Mais ce n'était
sans doute qu'une maladresse d'ivrogne, car il l'entendait, dans le bruit, ricaner très haut, casser son charbon,
à coups de marteau exagérés, se battre avec la pelle.
Toutes les minutes, il ouvrait la porte, jetait du
combustible sur la grille, en quantité déraisonnable.
\24Assez! cria Jacques.
L'autre affecta de ne pas comprendre, continua à enfourner des pelletées coup sur coup; et, comme le
mécanicien lui empoignait le bras, il se tourna, menaçant, tenant enfin la querelle qu'il cherchait, dans la
fureur montante de son ivresse.
\24Touche pas, ou je cogne!...
ça m'amuse, moi, qu'on aille vite!
Le train, maintenant, roulait, à toute vitesse, sur le plateau qui va de Bolbec à Motteville.
Il devait filer d'un
trait à Paris, sans arrêt aucun, sauf aux points marqués pour prendre de l'eau.
L'énorme masse, les dix-huit
wagons, chargés, bondés de bétail humain, traversaient la campagne noire, dans un grondement continu.
Et
ces hommes qu'on charriait au massacre, chantaient, chantaient à tue-tête, d'une clameur si haute, qu'elle
dominait le bruit des roues.
Jacques, du pied, avait refermé la porte.
Puis, manoeuvrant l'injecteur, se contenant encore:
\24Il y a trop de feu...
Dormez, si vous êtes saoul.
La Bete Humaine
XII 194.
»
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